Traçabilité des produits: quelles obligations pour les professionnels?

Traçabilité des produits: quelles obligations pour les professionnels?
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Par Haas Avocats

Être le premier continent neutre pour le climat d’ici 2050 : tel est le défi de la Commission Européenne.

Frans Timmermans, vice-président de la Commission, précise sur ce point : « Il est temps d'en finir avec le modèle [ prélever, transformer, abîmer et jeter ], si nuisible à notre planète, à notre santé et à notre économie. Le temps est venu de se diriger vers une économie circulaire « recycler, réparer, réutiliser ».

Au niveau local comme européen, un corpus juridique existe. Il doit être aujourd’hui mobilisé comme dispositif positif visant à la mutation de nos sociétés.

Au cœur du dispositif de transition engagé, se pose ainsi la question de la traçabilité des produits. Cet objectif ambitieux s’adresse aussi bien aux consommateurs qu’aux professionnels, producteurs de produits générateurs de déchets.

S’extraire des déviances du « green washing », bâtir un discours loyal et transparent mettant en avant le critère environnemental s’imposent peu à peu. La dynamique est engagée ; renforcée par une réglementation en cours de déploiement.

Dans ce contexte, l’information des consommateurs reste le point central des obligations à la charge des professionnels. En sus des sanctions prévues par la réglementation applicable, chaque professionnel se doit aujourd’hui d’anticiper les choix de consommateurs pouvant décider de s’écarter d’un produit s’il estime que les informations environnementales sont insuffisantes ou ne lui conviennent pas.

Utopie de la transformation des « consommateurs-zombis » en « consomm’acteurs » ou réalité en devenir ? La question reste ouverte. Observons simplement ici que le droit arrive en anticipation. Il apporte un levier pertinent pour permettre à chacun d’agir en faveur de l’environnement. Il faut s’en saisir, tant du point de vue du consommateur que du point de vue du professionnel.

L’occasion de revenir sur les différentes obligations applicables à ces derniers au regard de l’épineuse question de la traçabilité.

L’obligation d’information sur les qualités et caractéristiques environnementales

A l’échelle locale, la loi contre le gaspillage et l’économie circulaire, dite « loi AGEC », participe à cette transition entre une économie linéaire et une économie circulaire.

 

En effet, elle impose aux professionnels soumis à la Responsabilité Elargie des Producteurs (REP) de fournir aux consommateurs un ensemble d’informations sur les qualités et les caractéristiques environnementales des produits.

 

Les informations à fournir seront différentes en fonction de la catégorie du produit envisagée. Quoi qu’il en soit, ces informations doivent être accessibles et visibles au moment de l’acte d’achat.

Selon l’article L541-9-1 du Code de l’environnement, ces informations concernent :

 

  • L'incorporation de matière recyclée ;
  • L’emploi de ressources renouvelables ;
  • La durabilité ;
  • La compostabilité ;
  • La réparabilité ;
  • Les possibilités de réemploi ;
  • La recyclabilité et la présence de substances dangereuses, de métaux précieux ou de terres rares, en cohérence avec le droit de l'Union européenne ;
  • La traçabilité géographique des grandes étapes de fabrication du produit.

Ces qualités et caractéristiques sont établies en privilégiant une analyse de l'ensemble du cycle de vie des produits.

En fournissant ces informations, les professionnels participent naturellement à la traçabilité des produits, une étape cruciale pour le développement d'une économie circulaire.

L’obligation de reprise sans frais des produits usagés

En application de l’article L.541-10-8 du Code de l’environnement, il peut être fait obligation aux distributeurs[1] de produits générateurs de déchets de reprendre sans frais ou de faire reprendre sans frais pour leur compte les produits usagés dont l’utilisateur final se défait, dans la limite de la quantité et du type de produit vendu ou des produits qu’il remplace.

 

Cette obligation ne concerne que certains types de produits tels que les éléments d’ameublement, les produits rembourrés d’assise ou de couchage, les équipements électriques et électroniques.

 

Lors d’une vente à distance, la reprise s’effectue au point de livraison, auprès d’un point de collecte de proximité, par la mise à disposition d’une solution de renvoi sans frais.

 

Deux types de reprises existent :

 

  • La reprise dite « 1 pour 1 » : les distributeurs reprennent sans frais les produits usagés de même type lorsqu’ils vendent un produit neuf, dans la limite du nombre de produits vendus. Selon la typologie de produits, ce mode de reprise peut ou non être soumis à certains critères de chiffre d’affaires et/ou de seuil de surface, tel que cela est prévu pour les éléments d’ameublement. A l’inverse, il n’y a pas de critères à respecter pour les distributeurs d’équipements électriques et électroniques.
  • La reprise « 1 pour 0 » : dans la limite des produits de nature et de dimensions équivalentes qu’ils proposent à la vente, les distributeurs sont tenus à une obligation de reprise sans frais des déchets issus des produits du même type que ceux qu’ils commercialisent, sans obligation d’achat.

Le professionnel doit effectivement informer le consommateur des conditions de reprise mises à sa disposition, de manière visible, lisible et facilement accessible.

 

L’obligation de reprise pèse sur le vendeur des produits. Dans le cadre d’un modèle marketplace, si le vendeur référencé ne respecte pas ses obligations en matière de reprise, ces dernières seront à la charge de l’opérateur de la place de marché.

 

Une fois collectés dans le cadre de la reprise, les produits peuvent être réemployés, recyclés ou valorisés.

Vers le passeport numérique de produit (DPP) : un outil de traçabilité

Pour atteindre cet objectif d’économie circulaire, la Commission européenne a lancé l’initiative du Passeport numérique de produit (Digital Product Passport).

Elle en décrit les modalités dans sa proposition de règlement établissant un cadre pour la fixation d’exigences en matière d’écoconception applicables aux produits durables, publiée le 30 mars 2022.

Concrètement, la mise en place d’un passeport numérique de produit permettra d’enregistrer, de traiter et de partager par voie électronique les informations relatives au produit entre les entreprises de la chaîne d’approvisionnement, les autorités et les consommateurs.

Il est à ce stade envisagé dans le projet de règlement que les produits ne pourront être mis sur le marché ou mis en service que si un passeport de produit est disponible.

Que contiendra ce passeport numérique de produit ?

Ce passeport numérique prendra la forme d’une fiche produit électronique qui regroupera des informations clés sur le produit, telles que son origine, sa composition, ainsi que les options de réparation et de démontage disponibles. En sus, des informations sur la manière dont les différents composants du produit peuvent être recyclés seront également précisées.

Ce nouveau document rassemblera et centralisera ces informations de façon claire, structurée et facilement accessible à l'ensemble des parties prenantes de la chaîne de valeur du produit, que ce soient les producteurs, les importateurs, les réparateurs, les recycleurs ou les consommateurs.

Quels seront les produits concernés ?

Le règlement s'appliquera à tout bien physique, y compris les composants et les produits intermédiaires, mis sur le marché dans l'Union européenne. Précisons que les produits électriques et électroniques, les batteries et les produits textiles sont priorisés dans l’application de ce texte.

Quels bénéfices pour les professionnels derrière la mise en place de ce passeport ?

Tout d'abord, ce document renforcera la visibilité et la crédibilité des entreprises concernant leurs engagements relatifs aux produits durables. Grâce à cette fiche d'identité numérique, les consommateurs pourront connaître les impacts environnementaux de leurs achats, ce qui les aidera à faire des choix éclairés.

En outre, ce passeport numérique favorisera la transparence tant pour les entreprises de la chaîne d'approvisionnement, que pour les consommateurs, améliorant ainsi l'efficacité du transfert d'informations. Il sera un canal privilégié de communication entre les vendeurs et les clients, renforçant ainsi la confiance des consommateurs envers les entreprises.

Par ailleurs, il pourra servir de certificat d'authenticité et de propriété pour les vendeurs, contribuant ainsi à réduire les risques de contrefaçon et à promouvoir la vente de produits d'occasion.

Ce passeport numérique permettra également aux entreprises de prouver facilement leur conformité aux diverses réglementations en vigueur. Symétriquement, il permettra aux autorités publiques de vérifier les informations fournies et de garantir le respect des normes européennes, renforçant, une nouvelle fois, la confiance dans les produits et les entreprises.

Sur quel choix technologique reposera ce passeport numérique des produits ?

Différentes voies peuvent à ce stade être envisagées.

D’une part, il pourrait être possible d’opter pour une gestion centralisée des données, où les informations liées aux produits seraient stockées dans une base de données gérées par un tiers.

D’autre part, la gestion décentralisée des données, reposant sur un passeport validé par une blockchain, pourrait être un choix stratégique. En effet, les attributs inhérents à la blockchain publique - telles que la transparence ou l’immuabilité - permettraient de garantir l'intégrité et la sécurité du passeport numérique.

Quoi qu’il en soit, ce passeport numérique représentera une avancée majeure dans la transition vers une économie circulaire, qui offrira aux professionnels une meilleure visibilité, crédibilité et transparence en matière de durabilité.

Tous les secteurs d’activité seront impactés et notamment l’ameublement, les jouets, le textile, l’horlogerie…

Il convient d’ores et déjà de se préparer à ces nouvelles obligations légales et de repérer les solutions technologiques existantes.

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Le cabinet HAAS Avocats est spécialisé depuis plus de vingt-cinq ans en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle. Plaçant l’Humain au cœur de l’innovation et du droit, le Cabinet HAAS Avocats accompagne acteurs publics et privés sur de nombreux sujets en lien avec les questions de traçabilité évoquées ci-dessus (distribution, e-commerce, contrats, droit du numérique, logistique, propriété de la donnée etc.). Pour nous contacter, cliquez ici.

 

[1] Conformément à l’article R.541-158 du Code de l’environnement, « est considérée comme distributeur toute personne physique ou morale qui, quelle que soit la technique de distribution utilisée, y compris par communication à distance, fournit à l’utilisateur final à titre commercial des produits relevant du régime de responsabilité élargie du producteur et soumis à l’obligation de reprise en application de l’article L.541-10-8 du Code de l’environnement ».

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