Par Haas Avocats
Le préjudice moral peut se définir comme une « atteinte aux sentiments »[1].
Ainsi, s’il est évident que les personnes physiques (particuliers) peuvent en bénéficier, la reconnaissance d’un tel préjudice en faveur de personnes morales (sociétés, associations, etc) est plus nébuleuse. En effet, les personnes morales étant issues d’une fiction juridique, il peut être complexe d’envisager que ces dernières puissent réellement souffrir de préjudices moraux.
Néanmoins, les personnes morales se sont progressivement vu attribuer, par le législateur et la jurisprudence, des droits et prérogatives similaires aux personnes physiques.
Le préjudice moral fait partie de ces droits et sa reconnaissance ainsi que son appréciation par les juges ont dû être mises en perspective avec le statut de personne morale.
Principe de reconnaissance du préjudice moral pour les entreprises
La reconnaissance de la possibilité pour une entreprise de subir et d’obtenir réparation d’un préjudice moral a été consacré en 2012 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation.[2]
Ainsi, le préjudice moral d’une société peut être octroyé :
- sur le fondement de l’article 1240 du Code civil[3],
- mais également sur le fondement des articles 2 et 3 du Code pénal, lesquels ouvrent une action civile à tous ceux qui ont personnellement souffert d’un dommage, notamment moral, découlant des faits objet de la poursuite, sans en exclure les personnes morales de droit public ou de droit privé [4] .
La reconnaissance du préjudice moral d’une entreprise s’apprécie ainsi sur plusieurs aspects, lesquels permettent à l’entreprise de tenter d’évaluer l’ampleur d’un tel préjudice pour en solliciter la réparation.
Critères d’évaluation du préjudice moral d’une entreprise
Si la reconnaissance de l’existence d’un potentiel préjudice moral subi par une entreprise ne fait plus débat, l’estimation et l’évaluation d’un préjudice pose, pour sa part, plusieurs difficultés.
En effet d’une part, le préjudice moral peut s’évaluer sur l’appréciation d’éléments immatériels : l’image, la réputation, lesquels sont construits par l’entreprise tout au long de son activité.
D’ailleurs, en pratique, les entreprises invoquent souvent l’atteinte à leur image pour demander la réparation de leur préjudice moral.
D’autre part, le préjudice subi peut également se manifester de manière plus sinueuse par exemple à travers l’état d’esprit des salariés de l’entreprise se traduisant à la fois par de potentielles vagues de départs mais aussi par les difficultés de l’entreprise à recruter.
Pour autant, le calcul de ce que représente un tel préjudice moral pour l’entreprise peut sembler diffus, d’autant plus que le montant des dommages et intérêts effectivement alloués en réparation de ce préjudice sont soumis à l’appréciation souveraine des juges sur la base d’un quantum que le demandeur doit justifier de manière détaillée.
Pour ce faire, la Cour d’appel de Paris a pu retenir que les documents permettant d’établir le préjudice moral d’une entreprise peuvent notamment être :
- des études de marchés,
- des sondages d’opinion auprès de la clientèle du demandeur,
- les budgets alloués par l’entreprises pour la promotion de son activité avant et après les faits litigieux susceptibles d’avoir entaché sa réputation et son image,
- les surcoûts internes destinés à remédier à une vague de départs de salariés par exemple etc.
Ainsi, il est possible de considérer que les méthodes permettant de quantifier un préjudice moral pour une entreprise peuvent consister à démontrer ses investissements humains et financiers destinés à créer et maintenir l’image de sa marque, à évaluer la « rentabilité prévisionnelle » de l’entreprise et plus précisément de ses marques [5] etc.
Pour autant, qu’en est-il du quantum de la réparation d’un tel préjudice ?
Étendue de la réparation du préjudice moral pour les entreprises
Comme indiqué précédemment, les montants alloués pour la réparation effective du préjudice moral de l’entreprise découlent de l’appréciation souveraine des juges.
Pour apprécier l’ampleur de l’atteinte à l’image et à la réputation d’une entreprise, lesdits juges ont pu s’appuyer sur :
- La divulgation d’information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent, constitutif de dénigrement à l’égard d’une entreprise ; ou encore
- l’action parasitaire ou de concurrence déloyale ayant pour conséquence un détournement de clientèle
La chambre criminelle a également pu retenir en 2007 la réparation du préjudice moral de la ville de Cannes pour atteinte à sa notoriété.[6]
Ainsi, ont déjà été allouées au titre de la réparation du préjudice moral d’une entreprise :
- la somme de 10 000 € en raison de l’atteinte à l’image de la marque eu égard au dénigrement perpétré par un concurrent, ou encore
- la somme de 10 000 € en raison de l’atteinte à l’image et à la réputation de l’entreprise dès lors que la résolution du contrat n’a pas permis de mener à bien un chantier « prestigieux » ni de terminer les conceptions prévues contractuellement au titre de ce chantier.
Pour autant, malgré cette reconnaissance du préjudice moral en faveur des personnes morales, l’étendue de ce droit reste plus restreinte que pour les des personnes physiques.
Ainsi, un préjudice corporel ou préjudice moral lié à une atteinte à la dignité ne peuvent être octroyés en faveur de personnes morales tandis que les montants alloués pour la réparation du préjudice extrapatrimonial d’une entreprise peuvent être considérés comme relativement faibles eu égard à l’ampleur que peuvent prendre certaines atteintes à la réputation ou à l’image.
Enfin il conviendra également de relever qu’au-delà de la reconnaissance de la possibilité pour une entreprise de subir un préjudice moral et le calcul de ce préjudice, l’élément clef de la réparation sollicitée reposera sur la démonstration du lien de causalité entre ces atteintes alléguées et le préjudice subi.
C’est en effet régulièrement en raison de l’absence de ce lien de causalité que bon nombre d’entreprises ont pu se voir priver de la réparation de leur préjudice.
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[1] Cornu G., Vocabulaire juridique, PUF, 2011, Vo Préjudice, p. 781
[2] Cass. com., 15 mai 2012, n° 11-10.278, Publié au bulletin
[3] « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
[4] Cass. crim., 21 mars 2018, n° 16-87.008 : JurisData n° 2018-004073
[5] Bulletin de l’ILEC, Article 357 de Monsieur Guy Jacquot, - « La valeur de l’intangible » - https://www.ilec.asso.fr/article_bulletin_ilec/4501
[6] Cass. crim., 14 mars 2007, n° 06- 81.010 : JurisData n° 2007-038462 ; Bull. crim., n° 83