Par Rachel Ruimy et Lucie Brecheteau
Dans une décision du 8 octobre 2020[1], la Cour de Justice de l’Union Européenne s’est prononcée sur le droit de rétractation exercé par un consommateur inscrit sur un site internet de rencontres après le commencement de l’exécution du contrat conclu avec l’éditeur du site.
Une telle interprétation offre des précisions utiles quant aux modalités d’exercice du droit de rétractation par un consommateur et aux conditions d’application des exceptions prévues en la matière.
1. Le rappel des faits et de la procédure
Le présent site de rencontres propose deux types d’adhésion à ses utilisateurs : une adhésion de base gratuite, permettant un usage restreint des services proposés et une adhésion « premium », payante, à laquelle l’utilisateur peut souscrire pour une durée pouvant aller de 6 à 24 mois.
En souscrivant à la version premium, l’utilisateur recevra immédiatement une sélection de propositions de rencontres établie à partir d’un test de la personnalité portant sur ses qualités, ses habitudes ainsi que ses centres d’intérêt pertinents.
Le 4 novembre 2018, un consommateur a conclu avec l’exploitant du site de rencontres un contrat fondé sur une adhésion « premium » pour une durée de 12 mois, à un prix deux fois plus élevé que celui facturé à d’autres utilisateurs pour un contrat de même durée conclu au cours de la même année. En outre, après avoir été informé de son droit de rétractation, ce consommateur confirme à son cocontractant qu’il devait commencer à fournir la prestation prévue au titre dudit contrat préalablement à l’expiration du délai de rétractation lui étant octroyé.
Toutefois, quatre jours après la conclusion du contrat, le consommateur a exercé son droit de rétractation, le contraignant ainsi à verser une indemnité compensatrice à l’exploitant du site de rencontres.
A posteriori, le consommateur a contesté devant un tribunal allemand ce versement. Face à ce litige, cette juridiction a décidé de surseoir à statuer et de poser à la CJUE un certain nombre de questions préjudicielles.
2. La portée de la décision
Certaines questions fondamentales ont été posées à la Cour de Justice de l’Union Européenne :
Comment calculer le montant de l’indemnité compensatrice due par un consommateur au titre de l’exercice de son droit de rétractation, une fois l’exécution du contrat engagée ?
Il est rappelé que lorsqu’un consommateur souhaite que l'exécution d'une prestation de service commence préalablement à l’expiration du délai de rétractation, le professionnel doit recueillir sa demande expresse par tout moyen[2].
Par ailleurs, l’indemnité due par un consommateur au titre de l’exercice de son droit de rétractation d’un contrat et ce préalablement à l’expiration du délai de rétractation, alors même que l’exécution de ce contrat a été engagée, doit être proportionnée au prix total de la prestation convenue[3].
Au regard de ces divers éléments issus de la directive n°2011/83/UE[4], la réponse de la Cour est univoque : le montant devant être payé par le consommateur exerçant son droit de rétractation après le début d’exécution du contrat doit être calculé en tenant compte de l’ensemble des prestations prévues au titre du contrat, qu’elles soient principales ou accessoires, et doit être calculé proportionnellement à celles-ci.
A ce titre, il est également précisé que le consommateur peut demander à un professionnel de commencer l’exécution d’une prestation durant le délai de rétractation dans le seul cas où le contrat prévoit qu’une ou plusieurs prestations sont fournies intégralement au début de l’exécution du contrat, de manière distincte, et à un prix devant être acquitté séparément.
La transmission d’un rapport d’évaluation de la personnalité au titre de l’exécution du contrat peut-elle être qualifiée de prestation partielle distincte, de « fourniture d’un contenu numérique non fourni sur un support matériel »[5] ?
La reconnaissance d’une telle qualification n’est pas sans impact pour le consommateur. En effet, une prestation portant sur la fourniture d’un contenu numérique non fourni sur un support matériel ne peut pas faire l’objet d’une rétractation par ce dernier[6].
Toutefois, le raisonnement retenu par la CJUE est clair et permet de rappeler le caractère particulièrement strict de cette exception : en l’espèce, la prestation fournie via le site Internet de rencontres, permettant notamment au consommateur de créer, traiter ou stocker des données au format numérique ne saurait être traduite comme la fourniture d’un contenu numérique.
A ce titre, le « contenu numérique » est défini de manière limitative au sein de la directive 2011/83/UE comme étant l’ensemble des « données qui sont produites et fournies sous une forme numérique, comme les programmes informatiques, les applications, les jeux, la musique, les vidéos ou les textes, que l’accès à ces données ait lieu au moyen du téléchargement ou du streaming, depuis un support matériel ou par tout autre moyen »[7].
Comment apprécier le caractère excessif du prix total convenu pour une prestation de services, en l’espèce deux fois plus élevé que le prix total convenu avec d’autres consommateurs pour une prestation identique ?
Pour rappel, dès lors que le prix total initialement fixé pour une prestation est excessif, le montant approprié est calculé sur la base de la valeur marchande de ce qui a été fourni[8].
Toutefois, pour déterminer le caractère excessif du prix d’une prestation, l’interprétation de la CJUE semble plus large. Selon elle, l’ensemble des éléments inhérents à la valeur marchande du service fourni sont pertinents pour apprécier ce caractère excessif.
A ce titre, peuvent être pris en considération :
- Le prix convenu entre le professionnel concerné et d’autres consommateurs pour l’exécution d’une prestation équivalente ou identique ;
- Le prix d’une prestation équivalente ou identique fournie par d’autres professionnels au moment de la conclusion du contrat.
Pour plus d’informations sur les principes et les exceptions du droit de rétractation, vous pouvez consulter notre article dédié à ce sujet. Concernant l’exercice du droit de rétractation dans le cadre d’une relation BtoB, vous pouvez consulter notre article dédié à ce sujet |
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[1] CJUE, 8 octobre 2020, EU c/ Digital GmbH, affaire C-641/19
[2] Article L.221-25, alinéa 1er du code de la consommation
[3] Article L.221-25, alinéa 2 du code de la consommation
[4] Directive n°2011/83/UE du Parlement et du Conseil du 25 octobre 2011
[5] Article L.221-28, 13° du code de la consommation
[6] Conformément à l’article L.221-28 du code de la consommation
[7] Considérant 19 de la Directive n°2011/83/UE du Parlement et du Conseil du 25 octobre 2011
[8] Article L.221-25, alinéa 2 du code de la consommation