Par Haas Avocats
La shrinkflation (ou « réduflation ») est un néologisme d’origine anglaise désignant la pratique consistant à réduire le poids d’une denrée tout en conservant voire augmentant le prix initial, le tout dans un volume d’apparence identique afin de cacher cette augmentation du prix.
Dès 2022, l’ONG Foodwatch a lancé une pétition visant à mettre fin à ces « arnaques sur l’étiquette ». Au vu de l’ampleur du phénomène, les distributeurs ont également tenté d’alerter les consommateurs par le biais d’affiches directement apposées en magasin. La justice est cependant venue encadrer les conditions dans lesquelles ces avertissements pouvaient être faits, notamment afin d’éviter tout dénigrement dans le cadre de ces tensions entre fournisseurs et distributeurs. Un arrêté ministériel du 16 avril 2024 est également venu préciser les obligations des distributeurs face à cette pratique.
Les obligations issues du Code de la consommation
Si le droit de la consommation français est traditionnellement protecteur du consommateur, force est de constater que la profusion de nouvelles pratiques place parfois ce dernier dans une situation peu favorable.
S’agissant de l’étiquetage, le Code de la consommation exige que « tout vendeur de produit ou tout prestataire de services informe le consommateur, par voie de marquage, d’étiquetage, d’affichage ou par tout procédé approprié sur les prix et les conditions particulières de la vente et de l’exécution des services » (article L112-1 du code de la consommation).
Précisons que la pratique selon laquelle le fournisseur augmente le prix au kilo/litre ne figure pas en tant que telle parmi les pratiques commerciales déloyales.
Nouvelle réglementation sur la Shrinkflation
En décembre 2023, le gouvernement français a transmis à la Commission européenne un projet d’arrêté relatif à l’information des consommateurs dans le cadre de telles variations de prix. A la suite de ces échanges, un arrêté du 16 avril 2024, en vigueur depuis le 1er juillet 2024, a été publié. Ce dernier est applicable « aux entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales opérant dans le secteur de la distribution des produits de grande consommation définis à l’article L. 441-4 du Code de commerce qui exploitent, directement ou indirectement, un magasin dont la surface de vente est supérieure à 400 mètres carrés ». Carrefour, Leclerc, Intermarché et de nombreux autres distributeurs sont concernés par le texte.
L’arrêté prévoit qu’en cas de modification de poids ou de volume à la baisse des produits de grande consommation à quantité nominale constante, les consommateurs doivent bénéficier d’une information spécifique. Les denrées alimentaires préemballées ou non, à quantité variable, notamment le vrac, sont quant à elles exclues du champ d’application du texte.
Cette information spécifique pèse sur les distributeurs, qui devront afficher, en sus des informations légales déjà obligatoires, la mention suivante :
« Pour ce produit, la quantité vendue est passée de X à Y et son prix au (préciser l'unité de mesure concernée) a augmenté de …% ou …€. »
Cette information devra être affichée :
- de façon visible, lisible et dans la même taille de caractères que celle utilisée pour l’indication du prix unitaire du produit ;
- pendant un délai de deux mois à compter de la date de mise en vente du produit dans sa qualité réduite.
Le non-respect des dispositions de l’arrêté est passible d’une amende administrative de 3.000 euros pour une personne physique et 15.000 euros pour une personne morale.
Les agents de la DGCCRF seront habilités à contrôler le respect des dispositions applicables.
Litiges et jugements : Intermarché et Carrefour au cœur des conflits sur la Shrinkflation
Ces derniers mois, le groupe Intermarché avait apposé à côté des produits concernés par la réduflation des affiches telles que : « Knorr, j’adorais », « ils n'y vont pas avec le dos de la cuillère » (produits Carte d’Or), « avant, Magnum ça voulait dire grand ». Unilever, à la tête de plusieurs marques concernées, a assigné en référé Intermarché devant le Tribunal de Commerce (T. Com. Paris, 8 février 2024, n°2024004179). Unilever soutenait qu’ITM Alimentaire International proposait à ses adhérents « une campagne de communication dénigrante et déloyale à son égard et [à l’égard] de ses produits », et « entend[ait] ainsi attirer l’attention des consommateurs vers ses produits de marque distributeur ». Ces agissements caractérisaient selon elle des actes de dénigrement.
Le Tribunal de commerce de Paris a rappelé qu’il n’y a pas de dénigrement lorsque l’information délivrée :
- se rapporte à un débat d’intérêt général,
- repose sur une base factuelle suffisante; et
- est exprimée avec mesure.
En l’occurrence, le Tribunal a considéré que les propos d’ITM Alimentaire International, non-outranciers :
- reposaient sur une base factuelle, les augmentations de prix allant jusqu’à 39% de manière concomitante à une diminution de 70g pour une gamme de produits par exemple ;
- s’inscrivaient « en outre dans le débat d’intérêt général sur les pratiques actuelles de réduflation et de hausses tarifaires injustifiées de certains industriels »;
- étaient exprimés avec mesure.
Le Tribunal a ainsi rejeté les demandes d’Unilever.
En 2023, les sociétés CARREFOUR et CARREFOUR France ont diffusé au sein de leurs différents points de vente des affiches relatives aux produits du groupe PEPSICO France, mentionnant la notion de « Shrinkflation » et indiquant « Ce produit a vu son contenant baisser et le tarif pratiqué par notre fournisseur augmenter. Nous nous engageons à renégocier ce tarif ». En 2024, les sociétés ont mis à jour les affiches comme suit : « Nous ne vendons plus cette marque pour cause de hausse de prix inacceptable ».
Arguant d’une pratique commerciale déloyale, la société PEPSICO France a agi en référé contre la société CARREFOUR afin notamment d’obtenir le retrait des affiches litigieuses.
Dans une ordonnance rendue le 24 janvier 2024, le Tribunal de commerce a considéré que le discours tenu par les sociétés CARREFOUR :
- revêtait un caractère vague et subjectif dès lors que CARREFOUR n’indiquait pas l’ordre de grandeur de l’augmentation réelle ou supposée du prix au kilo/litre et ne démontrait pas cet écart, fournissant ainsi des informations invérifiables ;
- concernaient des produits pour lesquels CARREFOUR commercialisait également des produits directement concurrents ;
- ne justifiait pas pourquoi CARREFOUR avait lancé cette campagne d’information en septembre 2023 alors que la société commercialisait depuis le début de l’année 2023 les produits concernés.
Le Tribunal en déduit que l’information véhiculée par CARREFOUR « est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service », conformément à la définition de pratique commerciale trompeuse faite par l’article L. 121-2 du Code de la consommation.
Le Tribunal a ainsi ordonné à CARREFOUR de mettre un terme à sa campagne d’affichage afin de faire cesser le trouble manifestement illicite qu’elle engendre.
Bien que le Code de la consommation impose déjà des règles en matière d’étiquetage, la gestion de la réduflation par les distributeurs a donné lieu à différentes décisions. L’arrêté du 16 avril 2024, applicable depuis le 1er juillet 2024, vient clarifier l’information devant parvenir au consommateur et sous quelle forme.
Si l’information du consommateur, dans le cadre d’un débat d’intérêt général, peut justifier certains propos à l’égard des pratiques de reduflation, il convient de rester prudent.
Afin d’éviter tout risque d’action judiciaire en dénigrement, il est conseillé de prendre attache avec un avocat spécialisé qui pourra valider la campagne de communication en amont.
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Le Cabinet HAAS Avocats est spécialisé depuis plus de vingt-cinq ans en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle. Il assiste et défend les personnes physiques et morales dans le cadre de contentieux judiciaires et extrajudiciaires. Dans un monde incertain, choisissez de vous faire accompagner par un cabinet d’avocats fiables. Pour nous contacter, cliquez ici.