Par Haas Avocats
La protection d’une œuvre sur la base du droit d’auteur suppose la démonstration de l’originalité de ladite œuvre et notamment de la traduction de l’empreinte de la personnalité de son auteur. A défaut, il est courant de rechercher la réparation de la violation de ses droits sur un autre fondement subsidiaire, notamment celui de la concurrence déloyale et du parasitisme.Pour autant, il convient là aussi de respecter certaines conditions, notamment en matière de charge de la preuve. Ce sont ces enjeux qui ont fait l’objet d’un récent jugement du tribunal judiciaire de Paris en date du 9 janvier 2025.
Contrefaçon, concurrence déloyale et pratiques commerciales déloyales via un site internet
Une université acquiert un nom de domaine pour le site de son projet « Expérimentation Navettes Autonomes (ENA) ». En 2023, un entrepreneur individuel rachète le nom de domaine qui avait expiré[1] et l’utilise pour exploiter un site qui reprend le logo et un texte du projet de l’université.
L’université assigne l’entrepreneur et son hébergeur O2Switch en contrefaçon de droits d’auteur, agissements parasitaires constitutifs de concurrence déloyale et pratiques commerciales trompeuses devant le tribunal judiciaire de Paris.
L’université demande que l’entrepreneur soit condamné au retrait des contenus qu’il a repris et au transfert forcé du nom de domaine à l’université.
Cependant, la troisième chambre du tribunal judiciaire de Paris rejette l’ensemble de demandes de l’université, considérant que le logo et les textes ne sont pas protégés par le droit d'auteur et que les actes de l’entrepreneur ne constituent pas un parasitisme ni une pratique commerciale trompeuse, et la condamne à payer 1€ à la société 02Switch pour procédure abusive.
Protection de l'œuvre sur le fondement du droit d’auteur : nécessité de démontrer l’originalité
Le critère principal de la protection d’une œuvre au titre du droit d’auteur est l’originalité. La jurisprudence rappelle régulièrement que toute création est éligible à la protection par le droit d’auteur « dès lors qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur c’est-à-dire porte la marque de son apport intellectuel ».[2] Ainsi, un site internet ou un logiciel peuvent bénéficier de la protection du droit d’auteur dans leur globalité ou dans certaines de leurs composantes à condition de démontrer un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de leur auteur.[3]
Le tribunal judiciaire de Paris rappelle qu’il revient à celui qui s’estime titulaire d’un droit d’auteur de démontrer les éléments d’originalité de son œuvre. Cette étape est essentielle puisqu’elle conditionne le succès d’une action en contrefaçon.[4]
Dans le cas d’espèce, l’investissement financier par la rémunération d’un graphiste et le choix des formes et des couleurs en adéquation avec le sens du projet n’ont pas été considérés comme suffisants pour caractériser l’originalité. La juridiction estime en effet que ces arguments ne décrivent pas les caractéristiques apparentes du logo, ne font pas apparaître les choix artistiques ni le processus créatif du graphiste, et ne reflètent pas la personnalité de l’auteur.
Le tribunal en conclut que le logo n’est pas protégé au titre des droits d’auteur.
Il en va même pour le texte car le langage utilisé est avant tout fonctionnel, ce qui ne démontre pas l’empreinte personnelle de son auteur.
Par ailleurs, l’université ne soutenait pas que son site était original en tant que combinaison d’éléments, de sorte qu’elle ne critiquait pas la reproduction de la structure du site ni la reprise du nom de domaine au titre de son action en contrefaçon.
La demande de retrait des contenus du site internet a donc été rejetée.
Nota : Cette solution pourrait être amenée à évoluer dans le futur en cas d’adoption de la proposition de loi sénatoriale portant réforme de la preuve de l’originalité de l’œuvre en cours d’étude à la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport du Sénat.[5]
Le projet prévoit en effet de réécrire l’article L.112-1 du code de la propriété intellectuelle pour partager la charge de la preuve, avec un second alinéa ainsi rédigé : « Il appartient à celui qui conteste l’originalité d’une œuvre d’établir que son existence est affectée d’un doute sérieux et, en présence d’une contestation ainsi motivée, à celui qui revendique des droits sur l’œuvre d’identifier ce qui la caractérise ».
Cette rédaction conserverait l’exigence d’originalité mais instaurerait la charge pour le défendeur de former des contestations sérieuses à l’encontre de cette originalité. |
Concurrence déloyale : l'importance des preuves numériques
La concurrence déloyale consiste en le fait pour un opérateur économique de commettre une faute qui cause un préjudice à un autre opérateur économique. C’est un abus dans la liberté d’entreprendre.
La concurrence déloyale peut résulter d’une variété de fautes comme :
- La confusion créée dans l’esprit du consommateur par l’assimilation à l’image ou aux produits d’une autre entreprise ;
- Le dénigrement qui consiste à diffuser publiquement des informations péjoratives sur un concurrent, peu importe que ces informations soient exactes ou non ;
- La désorganisation qui vise à sciemment nuire à l’organisation d’une société ou d’un marché ;
- Le parasitisme économique regroupant l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer indûment profit, sans bourse délier, de ses efforts.
Dans le cas soumis au tribunal judiciaire de Paris, l’université accuse l’entrepreneur d’agissements parasitaires. Pour prouver cette faute, il faut prouver :
- une valeur économique identifiée et individualisée qui pourrait résider dans la notoriété de son projet ou de son expertise dans le domaine, la réalité du travail de conception et de développement, le caractère innovant de la démarche conduite, ou encore les investissements de communication ou publicitaires ;
- la volonté de l’auteur des agissements parasitaires de se placer dans son sillage.[6]
Ici encore, la charge de la preuve repose sur l’université dès lors que c’est à celui qui se prétend victime de parasitisme d’identifier la valeur économique qu’il invoque.[7]
Cependant le tribunal considère que l’achat du nom de domaine avant son acquisition par l’entrepreneur et l’effort créatif d’un graphiste salarié pour créer le logo ne suffisent pas pour établir la valeur économique individualisée, tout en relevant que les captures d’écran relatives à la création du logo non datées et non sourcées, sur lesquelles apparait le nom du graphiste sans démontrer qu’il est salarié, n’établissent pas la preuve des faits.
Les juges motivent ce point en dressant une liste d’éléments qui faisaient défaut dans les captures d’écran produites par la société et qui auraient pu renforcer leur valeur probatoire : « non datées, ne permettant pas de vérifier l’origine de ces images, le support informatique sur lequel elles ont été prises, et si la personne dont le nom apparaît sur ces images est le graphiste évoqué par l’Université, encore moins s’il est l’un de ses salariés ».
Vigilance sur la force probante des captures d’écran
Les exigences concernant la production de captures d’écran comme preuves de faits dans les litiges sont relativement strictes. Il a déjà été reproché à des huissiers de ne pas avoir vidé la mémoire cache des pages consultées avant la prise de capture[8], ce qui aurait permis de garantir que la capture d’écran correspondait au site en ligne à ce moment précis. Concernant la volonté de l’entrepreneur de se placer dans le sillage de l’université, les captures d’écran n’établissent pas d’activité marchande sur le site de l’entrepreneur, et ne démontrent donc pas qu’il aurait tiré indûment profit d’efforts, du savoir-faire ou de la notoriété de l’université ni de son projet ENA. C’est donc à nouveau sur le terrain de la valeur probatoire des captures d’écran produites que le tribunal a motivé sa décision. |
Par conséquent, le tribunal judiciaire de Paris déboute l’université de l’ensemble de ses demandes. Peut-être la solution retenue aurait-elle été différente si l’université avait fait appel à un commissaire de justice pour réaliser les captures d’écran dans des conditions garantissant leur force probante ?
Nécessaire démonstration de l’activité commerciale lésée pour apprécier l’existence de pratiques commerciales déloyales
Ainsi que l’expose le tribunal judiciaire, le code de la consommation prohibe les pratiques commerciales déloyales[9] qui se divisent en deux catégories : la pratique commerciale trompeuse[10] et la pratique commerciale agressive[11] :
- La pratique commerciale agressive regroupe les hypothèses de sollicitations répétées et insistantes ou d’usage d’une contrainte physique ou morale ;
- la pratique commerciale est trompeuse lorsqu’elle crée une confusion avec un concurrent, repose sur des allégations fausses ou induisant en erreur, ou lorsqu’elle est mise en œuvre pour le compte d’une personne qui n’est pas clairement identifiable.
Les pratiques commerciales déloyales englobent ces deux infractions selon deux critères généraux :
- La contrariété aux exigences de la diligence professionnelle ;
- L’altération ou le risque d’altération substantielle du comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service.
Contrairement à leur apparent caractère cumulatif, chacun de ces critères suffit à lui seul pour qualifier l’infraction en application de la jurisprudence de l’Union Européenne.[12]
Encore faut-il prouver qu’un ou plusieurs des critères de la pratique prohibée sont remplis, obstacle que l’université ne surmonte pas. Après avoir relevé le manque de précision des allégations de l’université, la juridiction relève succinctement que l’université « n’explicite pas en tout état de cause en quoi le site litigieux (…) fournit un produit ou un service entrant dans le cadre d’une activité commerciale ».
L’université est donc également déboutée de ses prétentions sur le terrain du droit de la consommation.
Comme le relevait le conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique dans un rapport de 2020 sur la preuve de l’originalité, lequel a inspiré la proposition de loi actuellement en commission au Sénat sur la réforme de l’article L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle, « les exigences jurisprudentielles constituent un obstacle tel, pour les titulaires de droits, qu'il les conduit bien souvent à renoncer à agir ».[13] En effet, cette décision du tribunal judiciaire de Paris illustre que pour le moment, et quel que soit le fondement choisi, la charge de la preuve est fréquemment un obstacle difficile à surmonter qu’il convient d’aborder avec minutie pour assurer une protection efficace de ses œuvres.
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Le cabinet HAAS Avocats est spécialisé depuis plus de vingt-cinq ans en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle. Il accompagne de nombreux acteurs du numérique dans le cadre de leurs problématiques judiciaires et extrajudiciaires relatives au droit de la protection des données ou dans l’implémentation ou la mise à jour de leur procédure d’alerte professionnelle. Dans un monde incertain, choisissez de vous faire accompagner par un cabinet d’avocats fiables. Pour nous contacter, cliquez ici.
[1] L’article L.45-1 du code des postes et des communications électroniques prévoit que les noms de domaine en « .fr » sont attribués pour une durée limitée . Pour les renouveler, il est nécessaire de contacter le registraire ou bien de souscrire à un service de renouvellement automatique.
[2] Civ. 1re, 12 mai 2011, no 10-17.852
[3] CA Paris, pôle 5, 1re ch., 23 nov. 2021, no 21/02336
[4] CA Paris, pôle 5, 1re ch., 7 mai 2019, no 16/11002
[5] Proposition de loi portant réforme de la preuve de l'originalité de l'œuvre, n° 860, déposée le jeudi 6 juillet 2023.
[6] Com., 26 juin 2024, pourvoi n° 22-17.647, 22-21.497
[7] Cass. Com. 26 juin 2024, n° 22-17.647, n° 22-21.497
[8] Paris, 4e ch. B, 17 nov. 2006, Net Ultra c/AOL France, JurisData 317554, CCE 2007
[9] Article L. 121-1 du code de la consommation
[10] Articles L. 121-2 et suivants du code de la consommation
[11] Articles L. 121-6 et suivants de code de la consommation
[12] CJUE 19 sept. 2013, CHS Tour Services GmbH c/ Team4 Travel GmbH, aff. C-435/11
[13]J-A. Bénazéraf, V. Barthez, « rapport de mission La Preuve de l’originalité », Conseil supérieur de la propriété intellectuelle, Ministère de la culture, décembre 2020, P.56, https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/277882.pdf