Propos illicites en ligne : Quel juge pour quels préjudices ?

Propos illicites en ligne : Quel juge pour quels préjudices ?
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Par Haas Avocats

L’explosion du nombre de publications en ligne, notamment sur les réseaux sociaux, pousse légitiment les Etats à s’interroger sur la manière de lutter contre la propagation de contenus illicites sur le web.

Ces abus à la liberté d’expression peuvent recouvrir diverses formes : diffamation, injure, dénigrement, apologie de crimes ou délits, etc.

La victime des propos pourra, selon l’approche privilégiée, engager une action civile ou pénale à l’encontre des personnes à l’origine de la publication.

Toutefois, le juge français est-il toujours compétent que ce soit dans le cadre d’une action en responsabilité civile (1.) ou d’une plainte pénale (2.) ?

La compétence internationale du juge civil pour réparer les préjudices subis par les victimes

Lorsque le défendeur est domicilié sur le territoire d’un État membre de l'Union européenne, la victime dispose d’une option de compétence. Elle peut soit saisir les juridictions de l’Etat où le défendeur est domicilié (Art. 4 du Règlement Bruxelles I bis), soit celles du lieu où le fait dommageable est intervenu (Article 7 du Règlement Bruxelles I bis).

Dans un litige en diffamation, la Cour de justice de l’Union européenne a pu préciser dès 1995 que la juridiction du lieu du fait dommageable désigne à la fois :

  • les tribunaux de l'État où l’éditeur de la publication est domicilié, étant précisé que ces juridictions seront compétentes pour réparer l'intégralité des dommages subis par la victime;
  • les tribunaux des États où la publication a été diffusée et où la victime estime avoir subi un préjudice ; bien que ces juridictions ne soient uniquement compétentes pour réparer les dommages intervenus dans les limites territoriales de cet Etat.

Les critères de rattachement retenus par le droit européen imposaient donc initialement aux victimes d’assigner l’éditeur/l’auteur des propos litigieux dans l’Etat où il est domicilié pour espérer obtenir une réparation intégrale de son préjudice. A défaut, elles devraient soit se contenter d’une réparation partielle ou bien initier de multiples procédures dans différents Etats. Cette solution a fait l’objet de nombreuses critiques, notamment en raison de l’éclatement du contentieux.

Puis, dans un arrêt du 25 octobre 2011, dit « eDate Advertising»[1], la CJUE a admis que la victime d’actes de diffamation en ligne pouvaient également saisir les juridictions du lieu où se situe le « centre de ses intérêts », lesquelles pourront garantir la réparation intégrale des préjudices, quel que soit le lieu de leur matérialisation.

La consécration de ce nouveau critère de rattachement par les juges est particulièrement favorable au demandeur et limite les contraintes procédurales pesant sur les victimes puisqu’elles peuvent saisir les juridictions de lieu de leur résidence habituelle.

Précisons que les juridictions désignées comme étant compétentes ne peuvent refuser de connaître le différend qui leur est soumis, sous peine de porter atteinte au droit de la victime à un procès équitable (Art. 6§1 de la Convention européenne des droits de l’Homme)[2].

La compétence internationale du juge pénal pour sanctionner les cyber-délits

En principe, les tribunaux français sont compétents pour connaitre des infractions :

  • subies ou perpétrées par des ressortissants français, ou
  • visant des personnes physiques résidant en France ou encore les personnes morales établies en France (Article 113-2-1 du code pénal).

Par ailleurs, selon le principe de territorialité de la loi pénale[3], les infractions prévues par le code pénal français ont vocation à sanctionner les faits intervenus sur le territoire national. Ainsi, les tribunaux français sont naturellement compétents pour sanctionner ces mêmes infractions.

Peut-on cependant considérer qu’une publication est intervenue sur le territoire français dès lors qu’elle est simplement disponible sur un site accessible depuis la France ?

Dans un arrêt récent en date du 7 novembre 2023[4], la chambre criminelle de la Cour de cassation a dû déterminer si les juridictions françaises étaient compétentes pour qualifier et sanctionner des propos prétendument « apologétiques » postés depuis l’étranger sur le réseau social Twitter.

Selon la solution retenue, les juridictions pénales sont compétentes à condition :

  • que le contenu litigieux soit accessible depuis le territoire français et
  • qu’il existe d’autres éléments de rattachement avec la France.

Autrement dit, l’accessibilité du contenu depuis le territoire de la République ne justifie pas, à elle seule, la compétence du juge pénal.

En l’espèce, le juge français s’est reconnu compétent eu égard à l’utilisation de la langue française, à la publication de photographies représentant la France et au fait que les propos y faisaient directement référence.

Ainsi, en matière pénale, les juges utilisent la méthode du faisceau d’indices pour s’assurer de l’existence d’un lien de rattachement effectif entre les publications litigieuses et la France.

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[1] CJUE, 25 oct. 2011, aff. C-509/09, eDate Advertising et a

[2] CEDH, 1.03.2016, Arlewin c. Suède (requête n°22302/10)

[3] Article 113-2 du Code pénal

[4] Crim. 7 nov. 2023, F-B, n° 22-87.230

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