Par Gérard Haas, Charlotte Paillet et Miléna Letinaud
La question de la compétence du tribunal saisie d’un litige est la clef de voute des contentieux opposant des sociétés situées dans plusieurs pays différents. En effet, les règles applicables peuvent différer en fonction du litige.
Au sein de l’Union Européenne, le Règlement UE n°1215/2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale[1] prévoit que, en matière de fourniture de services, la compétence territoriale du juge dépend du lieu où les services ont été ou auraient dû être fournis.
Toutefois, en matière de fourniture de prestations intellectuelles, le flou pouvait subsister dans la mesure où le service en question est immatériel.
C’est dans ce contexte que, saisie d’un litige relatif à un contrat de fourniture de prestations intellectuelles au sein de l’Union Européenne[2], la chambre commerciale de la Cour de cassation a répondu à la question de savoir si le tribunal compétent était celui du lieu où les prestations intellectuelles avaient été conçues, ou le lieu où elles avaient été reçues.
La consécration de la compétence du tribunal du lieu de la réception des prestations
En l’espèce une société ayant son siège social en France, reprochait à une banque établie au Luxembourg d'avoir cessé de lui passer des commandes pour les besoins de sa communication, et l’a assigné devant le tribunal de commerce de Paris pour rupture brutale des relations commerciales établies.
La banque luxembourgeoise conteste la compétence de ce tribunal au profit des tribunaux luxembourgeois et à en ce sens soulevé une exception d'incompétence.
En réponse, la cour d’appel de Paris rejette cette exception d'incompétence, en retenant que les prestations fournies à la banque étaient des prestations intellectuelles qui ont été conçues et élaborées en France et ainsi « en déduit que la juridiction compétente peut être celle dans le ressort duquel les services ont été exécutés ».
Cette vision de la cour d’appel ne fut pas partagée par la Cour de cassation qui casse et annule la décision d’appel au visa du Règlement UE n°1215/2012. En effet, selon la Cour de cassation, les prestations intellectuelles ont été fournies au Luxembourg où le produit de l’activité du prestataire a été reçu par la banque, excluant ainsi la compétence du tribunal de Paris.
Dès lors, en matière de contrat de fourniture de prestations intellectuelles au sein de l’Union européenne, le tribunal compétent est celui du lieu où les prestations ont été reçues.
Une décision qui corrobore une position jurisprudentielle antérieure
Déjà, plusieurs décisions avaient été rendues en ce sens au visa de l’ancien Règlement n°44/2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale par la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation.
Dans une décision en date du 14 novembre 2007, avait été jugé par la Cour de cassation que le lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée est, pour la fourniture de services, le lieu d'un Etat membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis.
Ainsi, la décision de la cour d’appel avait méconnu les dispositions du Règlement en estimant les tribunaux français compétents au motif que les services ont consisté dans la création de maquettes réalisées en France, peu importe qu'elles aient été destinées à un client domicilié en Allemagne, alors que les services avaient été fournis en Allemagne.
Enfin, dans une décision en date du 27 mars 2007, la Cour de cassation avait consacré la même position concernant un contrat prévoyant une prestation de conseil en communication et la fourniture des documents, en considérant que les services exécutés constituaient une opération unique ayant été fournie au lieu de livraison des supports matériels, soit à Londres par conséquent les juridictions anglaises étaient compétentes.
La décision de la Cour de cassation en date du 6 avril 2022 s’inscrit donc dans un courant jurisprudentiel établi, ce qui permettra à l’avenir aux parties prises d’un contentieux international d’identifier plus facilement la juridiction devant laquelle entamer toute action.
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[1] Refonte du Règlement n°44/2000 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matières civile et commerciale