Par Gérard Haas, Charlotte Paillet et Margaux Laurent
Arrêt du 18 mai 2022 (pourvoi n° 21-82.283)
Dans la lignée de la question du blocage des sites pornographiques, c’est désormais au phénomène des « camgirls » et « camboys », qui a connu un essor grâce au développement d’internet, de recevoir une réponse juridique.
La Confédération nationale des associations familiales catholiques (CNFAC), association ayant pour objectif de « promouvoir la famille » a porté plainte à l’encontre de quatre responsables de sites internet proposant des « camgirls » pour « proxénétisme aggravé ».
Or, pour déterminer si un comportement peut être poursuivi pour proxénétisme, il est nécessaire de caractériser au préalable l’existence d’un acte de prostitution.
Dans cet arrêt la Cour de cassation devait donc trancher la question de savoir si le « caming » pouvait être considéré comme tel et ainsi caractériser l’élément matériel du proxénétisme pour les hébergeurs des sites proposant ce type de contenu.
Quelles différences entre « caming » et prostitution ?
Bien qu’elle soit considérée comme « le plus vieux métier du monde », la prostitution ne dispose pas de définition légale à proprement parler, mais d’une simple définition jurisprudentielle. En effet, le fait de se prostituer n’est pas une infraction pénale.
La prostitution a été définie pour la première fois dans un arrêt du 19 novembre 1912 comme « le fait d’employer, moyennant rémunération, son corps à la satisfaction des plaisirs du public, quelle que fût la nature des actes de lubricité accomplis » (Civ. 19 nov. 1912, DP 1913. 1. 353, note Le Poittevin). Mais étant très largement entendue, cette définition a été contestée au profit d’une approche plus restrictive. Ainsi, la Cour de cassation définissait en 1996, la prostitution comme le fait de « se prêter, moyennant une rémunération, à des contacts physiques, de quelque nature qu’ils soient, afin de satisfaire les besoins d’autrui » (Crim. 27 mars 1996, no 95-82.016).
Ainsi, pour caractériser un acte de prostitution, il est nécessaire qu’il y ait un contact physique entre la personne qui propose le « service » et celui ou celle qui en bénéficie.
Or, le « caming » consiste à se livrer, devant une caméra, à des agissements à caractère sexuel, retransmis en direct par un moyen de communication audiovisuelle à des clients, qui les sollicitent et les rémunèrent grâce au paiement à distance[1]. Il n’y a donc pas de contact physique entre le client et la « camgirl » ou le « camboy ».
Activités des hébergeurs de sites internet à caractère pornographique, proxénétisme déguisé ?
Face à ces activités de « caming », se pose alors la question du statut des hébergeurs des sites internet proposant ce type de contenu à caractère sexuel.
En effet, afin de se rémunérer, les hébergeurs prélèvent une commission sur les prestations à caractère sexuel effectuées. Aussi, le « caming » peut être exercé au sein de « Livecam mansion », immeubles au sein desquels l’ensemble du matériel est fourni aux travailleur.e.s du sexe. En contrepartie, les dirigeants de ces établissements imposent parfois un règlement strict, assimilable à du salariat : exercer a minima huit heures par jour, définition de la politique des pratiques sexuelles, prélèvement d’une part des revenus…
La frontière avec le proxénétisme peut donc être, pour certains, poreuse. Il convient alors de rappeler que le proxénétisme est défini par les articles 225-5 et 225-6 du Code pénal comme « le fait, pour quiconque, de quelque manière que ce soit, d’aider ou d’assister la prostitution d’autrui, de protéger cette activité, de convaincre une personne de s’y livrer, d’en tirer profit ou d’en faciliter l’exercice ».
Pour savoir si les hébergeurs de sites internet proposant des services de « caming » peuvent être assimilés à des proxénètes au sens pénal du terme, il convient donc d’identifier si l’activité de « caming » est, en soi, une activité pouvant être définie comme de la prostitution.
Refus de la Cour de cassation d’étendre la définition de la prostitution
Dans cette affaire, le juge d’instruction a commencé par rendre une ordonnance de non-lieu, considérant qu’il n’y avait pas à poursuivre les faits de « caming ». La partie civile, la CNFAC, a donc interjeté appel de cette décision.
Confirmant la décision du juge d’instruction, la Cour d’appel de Paris soutient que ces faits ne revêtent pas la qualification de prostitution et ne peuvent donc pas entrainer une condamnation des sites internet concernés pour proxénétisme aggravé.
En effet, la Cour d’appel considère qu’il lui appartient de garantir le principe d’application stricte de la loi pénale posé par l’article 111-4 du Code pénal. Elle ne doit donc pas s’écarter de la définition jurisprudentielle de la prostitution, qui implique un contact physique onéreux avec le client, pour la satisfaction de ses besoins sexuels.
Par conséquent, en l’absence de contact physique avec le client lui-même, l’activité de « caming » ne peut pas être qualifiée de prostitution et il n’y a pas lieu de retenir la qualification de proxénétisme.
Cette interprétation est validée par la Cour de cassation dans son arrêt du 18 mai 2022.
Elle estime en effet qu’il n’appartient pas au juge, face au développement du phénomène de « caming », de modifier son appréciation de la notion de prostitution. Il ne peut pas élargir cette définition à des pratiques ne comportant pas de contacts physiques, c’est-à-dire au-delà de ce que le législateur a expressément prévu.
Dès lors, il apparaît que, en l’absence de contacts physiques, le « caming » semble être assimilé à une nouvelle forme de pornographie plutôt qu’à une extension de la définition de la prostitution.
Ceci n’empêche pas les « camgirls » et « camboys » de bénéficier du statut de travailleurs du sexe, et permet d’éviter que les hébergeurs de sites internet proposant des contenus à caractère sexuel soient condamnés pour proxénétisme aggravé.
Si un tel exemple illustre la manière dont les évolutions technologiques peuvent bouleverser des notions juridiques préétablies, il permet également de rappeler le pouvoir des juges, dans leur appréciation souveraine, à sanctionner ou pas des activités que certains peuvent considérer comme « immorales ».
Ceci ne dispense toutefois pas les plateformes proposant des contenus à caractère pornographique ou sexuel de respecter leurs autres obligations légales.
***
Le cabinet HAAS Avocats est spécialisé depuis plus de vingt-cinq ans en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle. Il assiste et défend les personnes physiques et morales dans le cadre de contentieux pour des faits ayant eu lieu en ligne. Pour en savoir plus, contactez-nous ici.
[1] Parfois par le biais de « tocken »