Par Anne-Charlotte Andrieux et Rebecca Käppner
Fin décembre 2021 la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) sommait une commune de se mettre en conformité s’agissant de ses dispositifs de vidéoprotection et de caméra-piéton utilisée par sa police municipale.
Elle lance dans la continuité de cette mise en demeure une consultation publique relatives aux conditions de déploiement des caméras dites « intelligentes » ou « augmentées » dans les espaces publics.
Cette consultation, ouverte au public jusqu’au 11 mars 2022, visait à accompagner le déploiement de ces dispositifs dans l’espace public dans le respect des droits des personnes, notamment en sondant les associations citoyennes, pour finalement aider la CNIL à prendre position sur ce sujet de plus en plus actuel.
Les caméras dites « augmentées » : nouvelle priorité de la CNIL
En effet, la régulation des caméras « intelligentes » dans les lieux publics est devenue l’une des priorités du gardien français des données personnelles, lequel a déjà été alerté de la recrudescence de ce type de dispositifs depuis le début de la crise sanitaire.
Cela explique que le périmètre du projet soumis à consultation ne concernait pour sa part « que » les dispositifs fixes ou mobiles déployés dans les lieux ouverts au public, excluant ainsi le cadre privé ou encore les dispositifs de reconnaissance biométrique.
Ces caméras dites « augmentées » ou encore « intelligentes » ont la particularité de pouvoir extraire des informations par le biais d’un traitement d’images automatisé qui mêle prises de vue et algorithmes. Elles renvoient à des technologies d’intelligence artificielle en ce qu’elles sont capables d’analyser les images qu’elles captent de manière continue pour en tirer des conclusions.
Ces appareils seraient alors d’une grande utilité pour le secteur public, en ce qu’ils permettraient de maintenir l’ordre en décelant les évènements suspects. Ils peuvent notamment être utilisés pour repérer plus rapidement les bagages abandonnés ou la présence d’encombrants sur la voie publique, analyser la fréquentation d’un lieu pour en réguler les flux ou encore détecter le non-respect des mesures sanitaires en vigueur comme cela a été expérimenté lors de la crise sanitaire.
Ces dispositifs peuvent également être utilisés dans le privé dans le domaine de la sécurité ou pour de la gestion de flux (heat map).
Les risques liés à l'utilisation des caméras "augmentées" identifiés par la CNIL
De par leur nature et leur capacité d’analyse, on peut dire que ces nouveaux dispositifs font l’objet d’incertitudes en ce qu’ils posent des questions nouvelles, non seulement d’un point de vue juridique, éthique mais aussi technique.
Un traitement massif de données personnelles
En effet, on ne peut pas considérer ces nouvelles caméras comme le « simple prolongement » des caméras déjà existantes, en ce que l’étendue de leur capacité d’analyse dépasse largement ces dernières. Si les images des caméras de vidéosurveillance « classiques » ne sont visionnées que par peu d’individus et dans un contexte particulier (recherche ciblée d’une personne), les images captées par les caméras « augmentées » peuvent faire l’objet d’une analyse poussée par l’emploi de systèmes de vision par ordinateur.
Cela aboutirait selon la CNIL à un traitement massif de données personnelles, qui poserait en lui-même problème au regard des droits et libertés fondamentaux des personnes dont les données ont été collectées.
En effet, la collecte massive de données dites sensibles et en plus de manière automatisée ne serait en conformité ni avec la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978, ni avec le Règlement général sur la protection des données (RGPD) qui prévoit que le citoyen européen doit avoir préalablement consenti à la collecte de ses données.
Une surveillance généralisée
L’existence même de ces nouveaux dispositifs, qui entremêlent intelligences artificielles et traitements automatisés, pourrait engendrer la mise en place d’une surveillance « généralisée » des personnes et ce d’autant plus s’ils se situent dans des lieux publics.
D’autres droits pourraient en ce sens également se retrouver menacés comme la liberté d’aller et venir, la liberté d’expression et de réunion, le droit de manifester ou encore la liberté de conscience et d’exercice des cultes.
Il est alors important d’évaluer les risques liés aux droits et libertés des personnes afin de trouver le juste équilibre entre l’utilisation de ces appareils et la jouissance des personnes à l’égard de leurs droits. L’étendue des risques liés au droit des personnes dépend non seulement de la finalité poursuivie par le responsable de traitement (données collectées à des fins statistiques) mais également de la manière dont les caméras « augmentées » sont paramétrées, certaines pouvant prévoir une suppression quasi-immédiate des images.
En ce sens, la CNIL a constaté la nécessité d’opérer une analyse au cas par cas s’agissant des caméras « augmentées », certaines d’entre elles ne traitant pas des données dites personnelles.
Des dispositifs « invisibles »
Un autre constat de l’Autorité réside dans le fait que les personnes ne sont, la plupart du temps, pas conscientes de l’existence de ces dispositifs ou tout du moins de la capacité de ces derniers à analyser leur comportement. Cette réalité a une incidence directe sur leur droit d’opposition, qu’elles détiennent au titre de l’article 21 RGPD, droit difficile à mettre en œuvre en pratique s’agissant de ce type de dispositif. C’est ainsi que la CNIL a estimé que le dispositif permettant aux usagers d’exprimer leur consentement – faire non de la tête pour signifier leur refus – est insuffisant pour être considéré comme une véritable modalité d’opposition.
Des dispositifs soumis à un encadrement particulier
La CNIL rappelle que les dispositifs que sont les caméras dites « augmentées » ne font pas exception au respect des principes issus du RGPD. En conséquence, les finalités du traitement des données devront être déterminées, ce dernier devra être nécessaire, proportionné et respecter les droits des personnes concernées par la collecte. Une base légale devra en outre avoir été retenue.
De manière à mettre plus en évidence ces dispositifs, la CNIL conseille la mise en œuvre de supports adaptés, afin de prévenir les personnes de la présence de tels dispositifs, et la réalisation d’une analyse d’impact, afin d’observer l’étendue de la surveillance mise en place par les appareils.
La CNIL vient cependant préciser dans son projet de position que « la légalité du recours à des analyses algorithmiques d’images de caméras de vidéoprotection, réalisées en temps réel en vue d’une intervention immédiate ou de l’enclenchement de procédures, administratives ou judiciaires par les services de police, est subordonnée à l’existence d’une autorisation et d’un encadrement législatif spécifique. »
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