Par Gérard Haas, Charlotte Paillet et Antoine Kraska-Delsol
L’anonymat est souvent utile pour délier les langues en ce qu’il favorise la liberté d’expression et peut permettre de protéger la vie privée.
Cependant, l’admission de témoignages anonymes au cours d’une procédure judiciaire se heurte nécessairement aux droits de la défense puisqu’il devient plus difficile de confronter les témoins et de vérifier ce qu’ils énoncent.
Quelle force doit donc être donnée à des déclarations anonymes utilisées comme moyens de preuve au cours d’une action en justice ?
Les déclarations anonymes peuvent-elles être l’unique fondement d’une décision de justice ?
La Cour de cassation s’est récemment vue confrontée à la question des limites de l’utilisation de témoignages recueillis anonymement pour fonder un jugement.
En l’espèce, à la suite d’une enquête de la DGCCRF, une entreprise a été assignée en justice en cessation de pratiques anticoncurrentielles ainsi qu’en paiement d’une amende. L’autorité lui reproche d’avoir créé un déséquilibre significatif dans plusieurs de ses relations contractuelles. La cour d’appel s’était ainsi prononcée sur la base de témoignages anonymisés de contractants qui déclaraient être dans l’impossibilité de négocier les clauses litigieuses.
L’entreprise visée par ces témoignages arguait que l’utilisation de ces déclarations anonymes de façon déterminante dans la décision porte une atteinte disproportionnée à ses droits de la défense, en ce qu’elle est privée de toute possibilité de vérifier et contredire les témoignages rapportés.
Par un arrêt du 11 mai 2022[1], la Cour de cassation tranche et déclare que « le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des déclarations anonymes ». Pour parvenir à cette décision, la Cour se fonde sur les articles 6§1 et 6§3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui garantissent le droit à un procès équitable.
Se faisant, elle casse l’arrêt de la cour d’appel qui avait considéré que la preuve des faits litigieux était rapportée en se fondant « de manière déterminante sur des déclarations recueillies anonymement ».
Les déclarations anonymes sont donc bien admises, mais elles ne peuvent pas être le seul fondement ou le fondement déterminant la décision des juges.
Quid des témoignages anonymes utilisés au cours d’un procès pénal ?
S’agissant de témoignages anonymes qui se tiendraient dans le cadre d’un procès pénal, ils ne peuvent pas non plus constituer l’unique fondement ou être déterminants dans la décision finale.
Ainsi, si ces témoignages sont admis dans le procès pénal, ils font toutefois l’objet d’une attention particulière s’agissant du respect des principes du procès équitable.
Les témoignages anonymes sont ainsi réservés à des cas limités, par exemple lorsque l’audition est susceptible de mettre en danger le témoin, sa famille ou ses proches[2]. Ils donnent lieu à une mise en balance entre les intérêts de la défense et ceux des témoins afin de justifier le recours à ce procédé[3].
La défense doit néanmoins pouvoir contester la fiabilité de ces témoignages, qui ne pourront par ailleurs pas constituer la preuve principale et déterminante de la culpabilité.
En ce sens, l’article 706-62 du Code de procédure pénale prévoit expressément qu’ « aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement de déclaration recueillies » auprès d’un témoin anonyme.
Ainsi, qu’il s’agisse du procès civil ou du procès pénal, le recours aux déclarations et témoignages anonymes est un mode de preuve soumis à haute surveillance des juges, garantissant ainsi le droit à un procès équitable.
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[1] Cass. Com., 11 mai 2022, n°19-22.242
[2] Articles 706-58 et 706-61 du Code de procédure pénale
[3] CEDH, 26 mars 1996, n°20524/92 ; CEDH, 23 avril 1997, n°21363/93