Reconnaissance faciale : le fichier TAJ validé par le Conseil d’Etat

Reconnaissance faciale : le fichier TAJ validé par le Conseil d’Etat
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Par Gérard Haas, Charlotte Paillet et Miléna Letinaud

Une fois encore, la justice se voit confrontée à la question de l’équilibre entre les droits et libertés des personnes et la lutte contre la criminalité.

Par requête adressée en août 2020, l'association La Quadrature du Net a saisi le Conseil d’Etat en annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite du Premier ministre refusant d'abroger les dispositions des alinéas 16 et 59 de l'article R. 40-26 du code de procédure pénale. En effet, ces dispositions autorisent l’enregistrement dans le TAJ d’une « photographie comportant les caractéristiques techniques permettant le recours à un dispositif de reconnaissance faciale » concernant respectivement les personnes physiques mises en cause, les personnes physiques faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction pour recherche des causes de la mort ou d’une disparition. De telles dispositions, selon l’association, sont de nature à nuire aux droits et libertés des personnes et empêcheraient tout anonymat dans l’espace public.

Cette interprétation n’est pas partagée par le Conseil d’Etat qui a considéré, dans sa décision du 26 avril 2022, que le fichier TAJ (traitement d’antécédents judiciaires) comporte des garanties appropriées pour les droits et libertés des personnes, et n'institue pas, contrairement à ce qui est allégué par l’association requérante un "dispositif disproportionné ".

La reconnaissance faciale prévue par le fichier TAJ n’est pas disproportionnée

Le fichier TAJ a pour objet de permettre aux agents habilités d’accéder aux traitements prévus par l’article R. 40-26 du code de procédure pénale, notamment aux « photographies comportant les caractéristiques techniques permettant le recours à un dispositif de reconnaissance faciale », et de procéder à des opérations d'identification d’une personne à partir de l'image de son visage grâce à une recherche automatisée, le cas échéant, d'exploiter les informations de la fiche correspondante dans le fichier TAJ, pour les finalités mentionnées à l'article 230-6 du code de procédure pénale[1].

Dans sa décision, le Conseil d’Etat estime que l’identification à partir du visage d'une personne et le rapprochement avec les données enregistrées dans le fichier TAJ peuvent s'avérer « absolument nécessaires à la recherche des auteurs d'infractions et à la prévention des atteintes à l'ordre public, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle ».

Il en conclut que l’enregistrement de telles données dans le traitement du fichier TAJ répond à la condition de nécessité absolue prévue par l’article 88 de loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés puisque l'article 230-8 du code de procédure pénale prévoit que ce traitement est opéré sous le contrôle du procureur de la République territorialement compétent qui, d'office ou à la demande de la personne concernée, ordonne qu'elles soient effacées, complétées ou rectifiées. En ce sens, la décision précise que « le dispositif de reconnaissance faciale ne peut être utilisé par les services compétents qu'en cas de nécessité absolue, appréciée au regard des seules finalités du traitement, lorsque subsiste un doute sur l'identité d'une personne dont l'identification est requise ».

Concernant l’'alinéa 59 de l'article R. 40-26 du code de procédure pénale, l’article 2 du RGPD précise que celui-ci ne s'applique pas aux traitements de données à caractère personnel effectués par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d'enquêtes et de poursuites en la matière.

Or, en l’espèce les dispositions attaquées par la requérante permettent l'enregistrement dans le fichier TAJ de la photographie des personnes physiques faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction pour recherche des causes de la mort ou d'une disparition, et autorise ainsi des opérations de traitement de données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins d'enquêtes pénales.

Par conséquent, le Conseil d’Etat considère que les alinéas 16 et 59 de l’article R 40-26 du code de procédure pénale comportent des garanties appropriées pour les droits et libertés des personnes concernées : la reconnaissance faciale prévue dans le cadre du fichier TAJ ne constitue pas un dispositif disproportionné.

Une limitation aux droits et libertés conforme au droit européen

L’association requérante allègue que ce dispositif est disproportionné au regard du droit à la vie privée et familiale, du droit à la protection des données et du droit à la liberté d'expression et d’information, prévus par les articles 7, 8 et 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Le Conseil d’Etat estime au contraire que, au regard de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de la jurisprudence de la CJUE[2] sont admises des limitations à l'exercice de ces droits et libertés, dès lors qu’elles :

  • Sont prévues par la loi;
  • Respectent le contenu essentiel de ces droits ;
  • Soient nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d'autrui dans le respect du principe de proportionnalité.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat rappelle que la lutte contre la criminalité et la sauvegarde de la sécurité publique sont reconnus par le droit de l’Union comme des objectifs d'intérêt général.

Ainsi, dans cette décision du 26 avril 2022, le Conseil d’Etat a considéré que les modalités de la lutte contre la criminalité, à travers le TAJ, présentaient les garanties appropriées face aux droits et libertés des personnes, et a rejeté la requête de la Quadrature du Net.

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[1] Sur la facilitation de la constatation des infractions par le rassemblement de preuves et la recherche des auteurs

[2] La Quadrature du Net et autres du 6 octobre 2020 (C-511/18, C-512/18 et C-520/18)

 

Gérard HAAS

Auteur Gérard HAAS

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