Par Haas Avocats
Après avoir été une tendance à succès sur les plateformes comme nous vous en parlions en février 2022 et malgré de nombreux enjeux pour les acteurs du reconditionné électronique, les téléphones et tablettes reconditionnés font encore parler d’eux, cette fois-ci dans le contexte de l’application de la redevance copie privée.
En effet, le 1er juin 2022, la Commission Copie Privée adoptait, malgré la féroce opposition des acteurs du marché circulaire et solidaire, une décision n°22 visant à appliquer un barème spécifique aux produits reconditionnés électroniques comme les smartphones et les tablettes.
Cette décision a été annulée par le Conseil d’Etat le 19 décembre 2022.
Une occasion de revenir sur la redevance copie privée et son application contestée aux appareils électroniques reconditionnés.
Qu'est ce que la redevance copie privée ?
La redevance copie privée est issue d’une loi de 1985, relative aux droits d’auteurs et aux droits des artistes interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle[1].
En effet, dès lors qu’il n’est pas possible pour les auteurs interprètes et artistes d’interdire « les copies ou reproduction réalisées à partir d’une source licite et strictement réservée à l’usage privée du copiste »[2], il était nécessaire de prévoir un moyen de compenser les auteurs pour ces reproductions privées de leurs œuvres.
Ce principe de compensation était harmonisé à tous les Etats Membres de l’Union Européenne à travers la Directive Européenne 2001/29/CE du Parlement Européen et du Conseil en date du 22 mai 2001.
En droit français, c’est la Commission dite « Copie Privée » qui fixe la liste des supports assujettis à la redevance copie privée[3], en tenant compte naturellement des évolutions et des innovations technologiques.
La Commission Copie Privée fixe également des barèmes de redevance, adaptés à chaque support (CD vierge, disque dur interne/externe, clefs USB, mémoire flash etc.).
Le système de redevance fonctionne ensuite sur un système déclaratif : les fabricants ou importateurs des supports assujettis étant tenus de déclarer mensuellement leurs activités redevables de la copie privée et de payer ladite redevance auprès des organismes en charge de sa collecte[4].
Quels sont les enjeux de l'économie circulaire et compensation des auteurs ?
Jusqu’au 1er juin 2021, l’application de la redevance copie privée aux produits électroniques d’occasion ou reconditionnés n’était mentionnée à aucun égard, malgré une première décision n°18 soumettant les ordinateurs, téléphones et tablettes (neufs) à la redevance copie privée en raison de leurs capacités de stockage et d’enregistrement[5].
Ce n’est en effet qu’à travers sa Décision n°22 du 1er juin 2021, que la Commission Copie Privée a défini un assujettissement spécifique de la redevance copie privée aux produits électroniques reconditionnés.
Ce barème spécifique, bien qu’adopté avant l’entrée en vigueur de la Loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France[6], prenait en compte le fait que ces produits aient déjà été soumis à la redevance copie privée lors de leur première mise en circulation sur le marché.
Pour autant, l’assujettissement des produits reconditionnés à la redevance copie privée a fait l’objet de vives contestations de la part des acteurs du marché qui considèrent notamment que cela revient à appliquer une double redevance sur un même produit en pénalisant ainsi le consommateur et le secteur du réemploi et de la réutilisation[7].
C’est ainsi que l’UFC-Que-Choisir avait entamé dès le mois de juin 2021 une requête auprès du Conseil d’Etat en référé contre l’application de la redevance copie privée aux produits reconditionnés, qu’elle annonçait considérer notamment comme un « coup de canif au développement de l’économie circulaire » dans un communiqué du 7 juin 2021.
Le Conseil d’Etat rejetait cette requête en considérant que les conditions du référé et donc de l’urgence n’étaient pas remplies.
Saisi au fond dans le prolongement de cette requête en référé par l’UFC-Que-Choisir et par le SIRRMIET[8], le Conseil d’Etat prononçait cette fois-ci l’annulation de la Décision n°22, relative à l’application de la redevance copie privée aux produits électroniques reconditionnés, pour vices de forme.
Pas de remise en cause du principe de la redevance copie privée aux produits reconditionnés, quelles conséquences ?
Si le Conseil d’Etat a bien prononcé l’annulation de la Décision n°22 de la Commission Copie Privée relative à l’assujettissement des produits reconditionnés à la redevance copie privée selon un barème spécifique, cette annulation peut laisser un gout amer aux acteurs du marché.
Tout d’abord cette annulation n’a pas d’effet rétroactif, de sorte que les barèmes de la Décision n°22 relatifs à la redevance copie privée restent dus par les fabricants et importateurs des produits reconditionnés du 1er juillet 2021 au 31 janvier 2023.
En outre, le Conseil d’Etat ne semble pas remettre en cause le principe de la redevance copie privée aux produits reconditionnés. L’annulation repose en réalité sur le fait que la Décision n°22 a été adoptée par une commission « irrégulièrement composée » et ne justifiant pas d’une « situation d’urgence » permettant de passer outre les règles de quorums applicables.
Pour autant, le Conseil d’Etat semble considérer que la « légalité » des tarifs de la décision n°18 pour la redevance copie privée applicables aux ordinateurs, téléphones et tablettes « pourrait elle-même être discutée en ce qui concerne les produits reconditionnés, notamment après l’entrée en vigueur de la loi du 19 novembre 2021 qui a exigé que la rémunération due au titre des produits reconditionnés soit « spécifique et différenciée » ».
De son côté, la société Copie France, organisme de collecte de la redevance copie privée pour le compte des auteurs, indiquait notamment dans un communiqué qu’elle :
- prenait « acte » de la décision du Conseil d’Etat d’annuler la décision n°22 « pour des raisons de pure forme»,
- renouvelait activement sa demande visant à ce que la Commission Copie Privée se réunisse dans les meilleurs délais afin de « voter une nouvelle décision relative au téléphones et tablettes tactiles reconditionnés».
Ainsi, à ce jour :
- les produits reconditionnés sont toujours assujettis à la redevance copie privée selon les barèmes prévus par la Décision n°22 jusqu’au 31 janvier 2023,
- la Commission Copie Privée dispose d’un délai pour se réunir de nouveau dans les conditions de l’article R311-5 du Code de propriété intellectuelle pour voter une nouvelle décision relative aux modalités d’application de la redevance copie privée aux produits reconditionnés.
Une annulation en demi-teinte pour les acteurs du marché qui sont désormais dans l’attente de la prochaine décision de la Commission Copie Privée.
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[1] Loi n°85-660 du 3 juillet 1985
[2] Article L311-1 du Code de propriété intellectuelle issu de la loi n°85-660
[3] Commission issue des termes de l’article L311-5 du Code de propriété intellectuelle intégré par la Loi n°2016-925 du 7 juillet 2016
[4] Article L311-6 du Code de propriété intellectuelle
[5] Décision n°18 du 5 septembre 2018
[6] Loi n°2021-1485 du 15 novembre 2021 dite REEN
[7] Loi n°2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie solidaire
[8] Syndicat Interprofessionnel du Reconditionnement et de la Régénération des Matériels Informatiques, Electroniques et Télécoms (SIRRMIET)