Par Paul Benelli, Claire Lefebvre et Virgile Servant-Volquin
Très plébiscitées en 2020 lors des confinements successifs, les marketplaces sont toujours aussi appréciées des consommateurs (accélération des ventes réalisées via les places de marché : +44% au 1er trimestre 2021), notamment avec l’augmentation du nombre d’enseignes magasins ayant recours à ce modèle pour développer leur activité.
Dans ce contexte de croissance constante, les pouvoirs publics et l’administration française cherchent à accentuer l’encadrement des plateformes en ligne. A ce titre, le développement de la réglementation applicable aux plateformes et places de marché se poursuit vers un accroissement de la responsabilité de ces acteurs, que ce soit sur le plan environnemental, financier ou concurrentiel.
Alors que la fin de l’année approche, c’est l’occasion de faire le point sur les principales nouveautés juridiques applicables aux plateformes en 2022 et les perspectives d’évolution.
Au 1er janvier 2022, avec l’entrée en vigueur d’un nouveau volet de la Loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et l’économie circulaire (ou « Loi AGEC »), les personnes physiques ou morales qui facilitent les ventes à distance ou la livraison de produits via une interface électronique telle qu’une place de marché, une plateforme ou un dispositif similaire seront tenues de pourvoir ou contribuer à la prévention ou à la gestion des déchets qui proviennent des produits soumis au principe de responsabilité élargie du producteur, conformément aux dispositions des articles L. 541-10 et L. 541-10-8 du Code de l’environnement (futur article L. 541-10-9 du Code de l’environnement).
Les places de marché devront donc assurer le paiement d’une contribution financière et la reprise des produits concernés par la responsabilité élargie du producteur. Ces nouvelles obligations pouvant révolutionner les flux financiers et logistiques des plateformes ne doivent donc pas être prises à la légère.
Précisons simplement que les opérateurs de plateformes pourront être exonérés de ces obligations en justifiant que ces obligations ont déjà été remplies par les vendeurs pour lesquels elles facilitent les ventes ou les livraisons. Pour cela, elles devront consigner les justificatifs correspondants dans un registre à disposition de l’autorité administrative.
Il est à ce titre essentiel pour les plateformes de rappeler aux vendeurs leurs obligations environnementales pour limiter le risque qu’elles doivent elles-mêmes assurer ces obligations.
De manière générale, les acteurs du e-commerce sont soumis à un cadre légal de plus en plus complexe en matière de respect et de protection de l’environnement : outre les nombreuses obligations qui leur incombent au titre de la Loi AGEC, le 15 novembre 2021, une nouvelle loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique a été également promulguée.
En vue de réduire l’impact environnemental des équipements numériques (smartphones, tablettes, ordinateurs…), de nouvelles obligations seront mises à la charge des acteurs de la vente en ligne :
Ces dispositions étant rentrées immédiatement en vigueur, il appartient aux professionnels du e-commerce et de la vente en ligne de se mettre en conformité sous peine de sanctions administratives.
Il est en outre essentiel de rappeler que lorsqu’une plateforme intervient également comme vendeur sur sa propre place de marché, il lui appartient de respecter les règles qui lui sont applicables 1) en tant qu’intermédiaire mais 2) aussi en tant que marchand.
Pour plus d’informations sur les obligations environnementales dans le secteur du numérique, nous vous invitons à consulter notre article consacré à la Loi AGEC ainsi que celui relatif à la nouvelle loi du 15 novembre 2021. |
La réglementation applicable aux plateformes s’inscrit dans une dynamique de responsabilisation des plateformes, dans des domaines très variés, allant de l’environnement à la conformité des produits, en passant par la propriété intellectuelle ou l’encadrement des activités de financement.
En 2021, nous vous parlions de l’impact probable de l’article 17 de la directive sur le droit d’auteur sur la distinction éditeur/hébergeur. Les Etats-membres avaient jusqu’à juin 2021 pour transposer la directive en droit interne.
La Directive sur le droit d’auteur et les droits voisins a en partie (articles 17 à 23 et 6 de l’article 2) été transposée par le Parlement le 12 mai 2021.
L’article L.137-2 (et L.219-2 en ce qui concerne les droits voisins) du code de propriété intellectuelle oblige les plateformes mettant à disposition des contenus protégés par le droit d’auteur à signer des accords de licence avec les titulaires de droit :
« En donnant accès à des œuvres protégées par le droit d'auteur téléversées par ses utilisateurs, le fournisseur d'un service de partage de contenus en ligne réalise un acte de représentation de ces œuvres pour lequel il doit obtenir l'autorisation des titulaires de droits, sans préjudice des autorisations qu'il doit obtenir au titre du droit de reproduction pour les reproductions desdites œuvres qu'il effectue ».
Il est par ailleurs prévu que :
« Les 2 et 3 [la limitation de responsabilité accordée aux hébergeurs] du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique ne sont pas applicables au fournisseur du service de partage de contenus en ligne pour les actes d'exploitation réalisés par lui ».
Ainsi, les plateformes responsables de la diffusion de contenus protégés par le droit d’auteur ou de droits voisins, qui excluent a priori les fournisseurs de places de marché en ligne ne pourront plus avancer la qualité d’hébergeur de contenu pour échapper à sa responsabilité en cas de diffusion de contenu contrefait. Cette exception à l’irresponsabilité de l’hébergeur ne vaut cependant que pour les actes « d’exploitation réalisés par lui [la plateforme hébergeur] ».
En l’absence d’autorisation des titulaires des droits, l’hébergeur pourra donc voir sa responsabilité engagée pour les actes d’exploitation non autorisés à moins qu’il ne soit en capacité de démontrer qu’il a fourni ses meilleurs efforts pour obtenir les autorisations nécessaires et assurer le respect des droits d’auteurs dans le respect de l’ensemble des conditions listées aux articles L.137-2 ou L.219-2 du Code de la propriété intellectuelle.
L’Alliance de la Presse d’Information Générale et Facebook ont en ce sens annoncé le 21 octobre 2021 avoir conclu un accord afin que Facebook obtienne et rémunère des licences pour les droits voisins concernant les contenus d’actualité pour les éditeurs membres de l’APIG.
Il est néanmoins à préciser que ces nouvelles obligations ne s’imposent pas aux opérateurs de plateforme permettant le partage de contenus ayant moins de 3 ans d’existence et dont le chiffre d’affaires est inférieur à 10 millions d’euros.
Ces dernières plateformes seront seulement tenues des obligations suivantes :
Il appartient donc aux plateformes (hors marketplaces) présentant à leurs utilisateurs des contenus potentiellement protégeables par le droit d’auteur de se faire céder les droits de leurs auteurs ou de conclure des accords globaux avec les ayants-droits. **** Pour plus d’informations sur la transposition de la directive « Droit d’auteur », vous pouvez consulter notre présentation de l’ordonnance du 12 mai 2021 ici. |
Le règlement européen (UE) 2020/1503 du 7 octobre 2020 relatif aux prestataires européens de services de financement participatif pour les entrepreneurs est entré en vigueur le 10 novembre 2021 : il crée un statut unique européen de prestataire de services de financement participatif (PSFP).
Ce règlement régit la fourniture de services de mise en relation d’investisseurs et de porteurs de projets visant à faciliter l’octroi de prêts et le placement sans engagement ferme de valeurs mobilières et d’instruments admis à des fins de financement participatif. Les plateformes existantes auront 12 mois, soit jusqu’au 10 novembre 2022, pour obtenir l’agrément.
Seuls les projets relatifs à des activités commerciales sont concernés.
En France, ce nouveau régime remplace les régimes existants des conseillers en investissements participatifs (CIP) et des intermédiaires en financement participatif (IFP).
Le 1er janvier 2022, une première partie de l’ordonnance du 21 avril 2021 relative à l'exercice des activités des plateformes d'intermédiation numérique dans divers secteurs du transport public routier entre en vigueur.
Cette ordonnance vise, dans le sillage de la décision de la CJUE de décembre 2017 concernant UBER, à encadrer l’activité des plateformes intervenant dans le secteur du transport de marchandises. En l’occurrence, cette réforme qui s’intègre dans la LOM (loi d’orientation des mobilités), intervient suite aux plaintes des acteurs traditionnels se plaignant d’une concurrence déloyale liée à l’absence d’obligation, pour ces plateformes, d’obtenir un statut spécifique tel que celui de commissionnaire.
La réforme opère une distinction entre deux catégories de plateformes de mise en relation intervenant dans le transport de marchandises :
Au titre de ces deux statuts, des obligations distinctes, plus ou moins contraignantes, seront applicables aux opérateurs qui les proposent.
Le statut d’opérateur de service numérique impliquera notamment une responsabilité de plein droit à l’égard du client de la bonne exécution du contrat de transport mais aussi des obligations en matière de collecte des données et une obligation d’inscription à un registre national à partir du 1er juin 2023. |
Les négociations à Bruxelles sur les DSA (Digital Services Act) et DMA (Digital Market Act) avancent à bon rythme.
Malgré les sommes historiquement élevées investies en lobbying par les GAFAM (plus de 100 millions d’euros), les ministres européens ont adopté à l’unanimité leur position commune sur ces textes le jeudi 25 novembre 2021, qui feront l’objet de discussions poussées entre les institutions européennes lors du 1er semestre 2022.
En ce qui concerne plus particulièrement le DMA, les parlementaires européens avaient plusieurs questions décisives à trancher : le champ d’application du texte et son contenu notamment.
Pour rappel, le texte prévoit d’imposer de nouvelles obligations aux plateformes « systémiques », c’est-à-dire qui occupent une position tellement dominante sur le marché qu’elles peuvent créer des distorsions de concurrence significatives.
Les conditions d’application du texte sont édictées par plusieurs critères. Pour être concernée par le règlement, une plateforme doit :
Ces seuils n’empêcheront pas la Commission de qualifier d’autres entreprises de ‘‘contrôleurs d’accès’’ si elles remplissent certaines conditions.
Ces seuils montrent la volonté du Parlement de viser spécifiquement les plus grandes plateformes et notamment les GAFAM. Ils permettent toutefois de faire tomber des opérateurs d’envergure.
Quant au contenu, les parlementaires ont ajouté de nouvelles obligations :
La question sensible de l’interdiction de la publicité ciblée, ou plutôt de la nécessité de recueillir le consentement pour mener un ciblage publicitaire a également été tranchée. De manière analogue au récent projet de décision de la DPC à l’encontre de Facebook, les parlementaires ont refusé d’imposer le recueil du consentement comme condition au traitement des données comportementales.
Enfin, marquant sa différence avec le RGPD et les sanctions modulables jusqu’à 4% du CA mondial du groupe (la plus grosse sanction prononcée par une CNIL européenne étant de 746 millions d’euros), la sanction minimale pouvant être prononcée au titre du DMA serait de 4% du CA minimum[1]. **** Pour en savoir plus sur ces règlements, consultez nos différents articles : Quel sera l'impact du DSA dans la lutte contre la contrefaçon en ligne ? Obligations DSA X DMA : Comment Bruxelles veut encadrer les GAFAM ? Définitions DSA X DMA : Zoom sur le Digital Services Act et le Digital Market Act |
La proposition de loi pour la mise en place d’une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinée au grand public franchit les étapes de la navette parlementaire et devrait arriver courant 2022. Elle envisage d’imposer aux plateformes visées à l’article L111-7 du code de la consommation d’élaborer un « cyberscore » sur le modèle du désormais bien établi nutriscore.
Ce score sera établi sur la base de plusieurs critères comme la localisation des données lorsque les plateformes ont recours à un hébergeur basé à l’étranger.
Par ailleurs, afin d’assurer l’objectivité et l’authenticité du cyberscore, les plateformes seront tenues de réaliser un audit informatique devant obligatoirement être réalisé par un prestataire qualifié par l’ANSSI.
Le texte devrait entrer en application le 1er octobre 2023. Dans sa version actuelle, très générale, les critères permettant de déterminer les plateformes concernées ne transparaissent pas. Ils devraient être précisés par la publication d’un décret qui édictera des seuils d’activité en vue de ne pas surcharger les plus petites plateformes d’obligations onéreuses à réaliser.
Les agents de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) sont habilités à enquêter, contrôler et enjoindre à un professionnel de se conformer à ses obligations (L. 521-1 du Code de la consommation) ou à cesser tout agissement illicite ou à supprimer toute clause illicite ou interdite (L. 521-2 du Code de la consommation).
a. Manquements au droit de la consommationDans l’hypothèse où une infraction au droit de la consommation (par exemple, en matière de pratiques commerciales déloyales ou concernant la conformité et la sécurité des produits) a été commise :
l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation peut, en application de l’article L. 521-3-1 du Code de la consommation enjoindre à l’opérateur de la plateforme d’afficher un message avertissant les consommateurs sur les risques encourus en accédant au contenu illicite ; voire, lorsque l’infraction répond à certaines conditions de gravité, de prendre toute mesure utile destinée à faire cesser le référencement des adresses électroniques des plateformes en ligne dont les contenus sont manifestement illicites ou à en limiter l’accès. |
En outre, la DGCCRF pourra ordonner aux opérateurs de registre et aux bureaux d’enregistrement de domaines de prendre une mesure de blocage d’un nom de domaine, d’une durée maximale de trois (3) mois, pouvant être suivie, en cas de persistance de l’infraction, de la suppression ou du transfert du nom de domaine à l’autorité compétente.
Cette sanction a notamment été prise à l’encontre de la plateforme Wish, récemment sanctionnée pour ne pas avoir satisfait à ses obligations, malgré une première injonction de la DGCCRF en juillet 2021. Son inaction a ainsi conduit au déréférencement de son site.
La mise en application de cet article créé par la loi du 3 décembre 2020 s’inscrit dans un contexte de renforcement des pouvoirs de la DGCCRF ainsi que des sanctions.
L’ordonnance du 29 septembre 2021 instaure ainsi également, à partir du 1er janvier 2022, une amende civile à l’encontre du vendeur qui fait obstacle de mauvaise foi à la mise en œuvre de la garantie légale de conformité.
Le respect de l’information sur les garanties légales était d’ailleurs l’un des sujets d’enquête d’ampleur de la DGCCRF au cours de l’année 2021 et a donné lieu à plusieurs mesures d’injonction et sanctions à l’encontre de grandes enseignes nationales telles que Darty, Boulanger ou encore Orange.
Par ailleurs, la plateforme française de location d’hébergements saisonniers Abritel a été assignée devant la justice le 17 août dernier pour le décalage existant entre la communication commerciale d’Abritel, qui vante des services sécurisés et garantis, et les conditions générales d’utilisation qui limitent largement la portée effective des engagements commerciaux d’Abritel. La DGCCRF a ainsi engagé des poursuites pour ces pratiques commerciales trompeuses, notamment sur le fondement des nombreuses remontées d’escroqueries par des utilisateurs de la plateforme.
b. Sanctions prévues en cas de manquement au règlement P2B
En outre, rappelons que depuis 2019, les opérateurs de plateformes BtoC sont soumis au respect du règlement « P2B » encadrant les contrats conclus avec les vendeurs qu’ils référencent.
Le respect de ces obligations n’est pas anodin puisque depuis le 18 Octobre 2021, l’article 442-1 du Code de commerce prévoit que tout manquement au règlement P2B est susceptible de qualifier une pratique restrictive de concurrence qui peut être punie :
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Le 15 octobre 2021, dans un communiqué de presse présentant les résultats de l’étude annuelle de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF), le Ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance a relevé qu’une part importante de produits non alimentaires (jouets, cosmétiques, accessoires électriques, notamment) disponibles sur des places de marchés ne respecte pas la réglementation applicable et que ces produits présentent des « risques inacceptables pour la sécurité des consommateurs ».
Pour la DGCCRF, les places de marché, en dépit de leur statut de simples hébergeurs, devraient :
Le communiqué de presse annonce à ce titre que les autorités françaises promeuvent au niveau européen un renforcement ciblé de la responsabilité des plateformes afin que les recommandations ci-dessus s’imposent de manière obligatoire.
De telles mesures devraient d’ailleurs être discutées au niveau de la proposition de règlement relatif à un marché intérieur des services numériques (Digital Services Act, ou « DSA ») : cette proposition envisage en effet un renforcement des obligations des plateformes d’agir contre les contenus illicites sur injonction des autorités et de mettre en place des mécanismes de notification et d’action contre ces contenus illicites signalés par des individus.
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Le Cabinet HAAS Avocats accompagne de nombreux fournisseurs de services d’intermédiation en ligne dans le cadre de ses pôles dédiés aux marketplaces et autres plateformes numériques.
Le Cabinet est naturellement à votre entière écoute pour vous assister dans vos démarches de mise en conformité à ce titre.
Pour plus d’informations ou des demandes de rendez-vous, contactez-nous ici.
[1] Gatekeepers, acquisitions "tueuses", publicité… Un premier pas vers l'adoption du DMA, L’Usine Digitale, Alice Vitard (23 novembre 2021)