Par Frédéric Picard et Irène Corne
Après avoir reçu de nombreux signalements de consommateurs au sujet d’une possible escroquerie réalisée via Abritel, la DGCCRF a assigné la plateforme française de location d’hébergements saisonniers devant le tribunal judiciaire de Paris pour pratiques commerciales trompeuses.
Rappelons que ces pratiques peuvent couter cher : outre une peine d’emprisonnement de deux ans, la société risque jusqu’à 300 000 € d’amende, dont le montant peut être porté à 10% de son chiffre d’affaires moyen annuel ou 50% des dépenses engagées pour la réalisation de la publicité ou de la pratique.
Annonces illicites sur Abritel : les consommateurs et Bercy réagissent
L’annonce est tombée le 17 août dernier : la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) déclare sur son site internet avoir engagé des poursuites judiciaires.
L’escroquerie à l’origine du litige
A l’origine du litige, le signalement à Bercy, par une centaine de consommateurs, d’annonces frauduleuses publiées sur le site Abritel (ex-Expedia du groupe HomeAway).
L’escroquerie serait la suivante : en pratique, des escrocs usurperaient l’identité de propriétaires de biens qu’ils mettent par la suite en location sur la plateforme.
Le but des escrocs présumés est de conduire les vacanciers hors de la plateforme, en invitant les loueurs à les contacter par email et à payer par virement à des prix un peu plus avantageux que ceux indiqués sur le site.
Le futur locataire reçoit même un email de confirmation de la part de HomeAway [1].
Mais ce n’est qu’un leurre : fausse annonce, fausse identité, fausse adresse HomeAway… Tout est faux mais l’argent, lui, a bien été débité. Des consommateurs ont alors porté plainte contre Abritel aux motifs que la plateforme n’aurait pas réagi suite aux signalements des contenus frauduleux, certaines annonces ayant même été remises en ligne alors qu’elles avaient été supprimées.
Enquête de la répression des fraudes
De son côté, la DGCCRF a réalisé une enquête en 2020 et 2021 portant sur le site internet et l’application mobile de la plateforme.
Selon les agents de l’Etat, il existerait un décalage entre :
- d’une part, la communication commerciale d’Abritel, qui vanterait les contrôles effectués, la fiabilité, la sécurité et les garanties d’utilisation de la plateforme,
- et d’autre part, les conditions générales d’utilisation (CGU), qui en réduisent largement la portée effective.
En effet, sur son site, Abritel fait de la sécurité, de la confiance et de la fiabilité des notions centrales. Dans la section « A propos », on trouve notamment deux rubriques « Voyagez en toute confiance » et « Confiance et sécurité ».
Les CGU réaffirment quant à elles la qualité de tiers d’Abritel :
« HomeAway ne sera aucunement partie au contrat de location (…). Nous n’approuvons, ne soutenons ni ne garantissons d’aucune manière l’authenticité, l’exactitude ou la fiabilité des informations contenues dans les annonces du site (…).» [2]
Des pratiques commerciales trompeuses ?
De telles pratiques constitueraient alors selon la DGCCRF des pratiques commerciales trompeuses.
En application de l’article L121-2 du code de la consommation, une pratique commerciale est notamment trompeuse lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant par exemple sur :
- L'existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service ;
- Les caractéristiques essentielles du bien ou du service (telles que ses qualités substantielles, les conditions de son utilisation, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service) ;
- La portée des engagements de l'annonceur ;
- Le traitement des réclamations et les droits du consommateur ;
Ici, le gendarme de la concurrence estime que les pratiques d’Abritel consistent à induire en erreur le consommateur sur :
- les résultats attendus de l’utilisation de la plateforme et des contrôles effectués par Abritel,
- la portée des engagements de la plateforme,
- et le traitement des réclamations.
En conséquence, le consommateur ne serait pas protégé à la hauteur de ce qu’il peut attendre.
Cette action, qui s’ajoute à celle d’une soixantaine de plaignants, serait alors, selon la DGCCRF, susceptible de faciliter l’indemnisation des victimes de ces pratiques.
Hébergeur vs éditeur
Enfin, il est également intéressant de noter qu’Abritel prétend, en tant que plateforme, bénéficier du statut d’hébergeur, soit d’une responsabilité allégée vis-à-vis des contenus illicites hébergés.
Mais contrairement à ce qu’elle prétend, les plateformes ne sont pas systématiquement considérées comme hébergeurs de contenus.
Par exemple, le tribunal judiciaire de Paris a récemment jugé que la plateforme Airbnb, concurrent d’Abritel, avait un statut d’éditeur de contenus en raison de son rôle actif dans la publication des annonces et la mise en relation des voyageurs et des hôtes.
En conséquence, Airbnb est responsable des annonces frauduleuses publiées sur son site et doit dès lors opérer un contrôle a priori.
Quoi qu’il en soit, un hébergeur de contenu a également l’obligation de retirer les contenus illicites lorsqu’il en a eu connaissance. Ce qui serait reproché à la plateforme Abritel en l’espèce…
En réaction, des actions collectives de consommateurs ont été engagées pour manquement, et un premier jugement est attendu le 24 septembre.
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[1] Quechoisir.org, Location entre particuliers : attention aux arnaques sur Abritel, 24 juillet 2019, accessible via : https://www.quechoisir.org/actualite-location-entre-particuliers-attention-aux-arnaques-sur-abritel-n69251/
[2] Cf. supra, Quechoisir.org, Location entre particuliers : attention aux arnaques sur Abritel, 24 juillet 2019.