Quel sera l’impact du DSA dans la lutte contre la contrefaçon en ligne ?

Quel sera l’impact du DSA dans la lutte contre la contrefaçon en ligne ?
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Par Eve Renaud-Chouraqui

On vous en parle depuis longtemps, le voile a enfin été levé sur les tant attendus Digital Services Act (DSA) et Digital Market Act (DMA).

Pour mémoire :

  • le DSA vise à obliger les plateformes, réseaux sociaux et intermédiaires en ligne à limiter les contenus illicites et à renforcer la transparence sur le fonctionnement de leurs algorithmes;
  • le DMA, quant à lui, a pour objectif de lutter contre les comportements abusifs des plateformes numériques structurantes, considérées comme des « gatekeepers ».

Dans le cadre de cet article, concentrons-nous sur le DSA et plus particulièrement sur son impact sur la lutte contre la contrefaçon.

1. Enjeux

Les plateformes sont, en l’état actuel du droit, assimilées à des hébergeurs de contenus dont la responsabilité est limitée. Ce régime a été créé par la Directive E-commerce de 2000. La responsabilité de l’hébergeur n’est engagée que si celui-ci, après avoir été informé d’un contenu illicite, ne procède pas à son retrait dans un prompt délai.

Ce régime conduit à une absence de vigilance active des plateformes dans les contenus publiés.

Des plateformes e-commerce comme Amazon, Ebay ou Le Bon Coin sont souvent montrées du doigt par les titulaires de droit comme n’agissant pas suffisamment activement contre les contrefaçons présentes sur leurs plateformes.

Les enjeux sont considérables.

Selon un rapport de la Cour des comptes de mars 2020, les échanges de contrefaçon dans le monde auraient représenté 509 milliards de dollars en 2016 (3,3% du volume des échanges mondiaux) et représenteraient 6,8% des importations dans l’Union européenne. La contrefaçon causerait la perte de 700.000 emplois et de 16,3 milliards d’euros de recettes fiscales par an.

Les très grosses plateformes, à l’instar d’Amazon ou d’Ebay, ont lourdement investi afin de lutter contre ce phénomène. Amazon a lancé une unité spéciale en 2020 ayant pour but de lancer des actions en justice contre les enseignes vendant des biens contrefaisants sur sa place de marché.

Néanmoins, la contrefaçon continue de prospérer sur les plateformes, tant concernant les traditionnels secteurs du luxe, que concernant de nouveaux secteurs, notamment pharmaceutiques, ce qui n’est pas sans poser de sérieux problèmes de sécurité sanitaire.

L’Assemblée nationale a publié, en décembre 2020, un rapport d’évaluation de la lutte contre la contrefaçon, pointant la dangerosité du phénomène, tant d’un point de vue sanitaire qu’économique.

2. Les moyens conférés par le DSA

La position de la Commission européenne est la suivante : ce qui est illégal hors ligne doit être illégal en ligne.

Que doit-on entendre par « contenu illicite » ? Selon le projet de règlement, il concerne toute information, quelle que soit sa forme, qui, en vertu de la loi applicable, est, en elle-même illégale ou se rapporte à des activités illégales.

Le DSA a pour objectif d’accentuer les moyens d’action à l’encontre des contenus considérés comme illicites, en ce compris les biens contrefaisants.

Dans ce cadre, il prévoit notamment :

  • un mécanisme de signalement des contenus illicites pour les utilisateurs des plateformes et une coopération de ces dernières avec des « signaleurs de confiance » (entendu comme des entités ayant une expertise spécifique dans le repérage des contenus illicites) ;
  • des obligations spécifiques en termes de traçabilité des entreprises utilisatrices afin d’aider à identifier les vendeurs de marchandises illicites.

Toutefois, le DSA, cherchant à faire une balance équitable et proportionnée entre les intérêts des plateformes, des utilisateurs et du respect de la liberté d’expression :

  • ne revient pas sur la distinction hébergeur et éditeur de contenus, telle que posée par la Directive E-commerce de 2000 (les plateformes conserveront, en conséquence, le statut d’hébergeur) ;
  • n’impose aucune obligation générale de surveillance aux plateformes.

Pour ces raisons, beaucoup appellent à un renforcement des moyens de lutte contre la contrefaçon.

Le rapport d’évaluation de la lutte contre la contrefaçon de l’Assemblée nationale formule 18 propositions visant à accentuer les moyens d’actions.

3. La nécessité de renforcer les moyens de lutte

Le rapport d’information s’articule autour de plusieurs grands axes :

  • Définir une stratégie nationale coordonnant les acteurs publics et privés (notamment les Douanes et les titulaires de droits) ;
  • Réviser le cadre législatif français et renforcer la réponse judiciaire.

Sur ce deuxième axe, le rapport préconise de :

  • Permettre à l’administration d’adresser un avertissement, d’opérer un blocage de site de contrefaçon et d’informer le public;
  • Adapter le droit de la propriété intellectuelle aux nouvelles modalités de délinquance (via l’instauration d’une procédure administrative d’avertissement et de blocage des sites internet proposant des contrefaçons, la création d’agents assermentés en droit des marques autorisés à constater une infraction commise sur le web) ;
  • Améliorer l’évaluation du préjudice subi par le titulaire de droits par les tribunaux (la contrefaçon étant, à ce jour, au regard des dommages et intérêts alloués, plus lucrative que les condamnations prononcées) ;
  • Introduire une amende civile en complément des dommages et intérêts à l’encontre du vendeur de la contrefaçon ;
  • Faciliter la défense des droits de propriété intellectuelle des entreprises (et notamment des PME) via la création d’un organisme apportant conseil et aide aux titulaires de droits et pouvant constater les infractions et porter plainte ;
  • Accentuer la lutte contre la vente illicite de tabac.

Le rapport préconise également d’adapter l’organisation judiciaire à la délinquance propre aux plateformes et réseaux sociaux, considérant que :

  • Si les sanctions pénales sont sévères, les délais de procédure sont trop longs ;
  • Les magistrats disposent d’une expertise inégale des enjeux et techniques de délinquance propres au web.

Afin de pallier à cette situation, le rapport propose de dédier une chambre juridictionnelle spécifique dans certains tribunaux, permettre aux titulaires de droits de déposer une requête en ligne et limiter la rotation des magistrats disposant d’une expertise spécifique en matière de délinquance sur le web.

Enfin, au niveau européen, le rapport pointe du doigt l’insuffisance de l’arsenal européen dans la lutte contre la contrefaçon au regard :

  • Du caractère daté de la Directive E-commerce n’étant plus alignée à l’activité réelle des plateformes et des intermédiaires en ligne ;
  • De l’inefficience des chartes de bonnes conduites (MoU).

Le rapport propose la mise en place de mesures européennes fortes, telles que notamment :

  • La définition d’un nouveau régime de responsabilité pour les plateformes de commerce en ligne et les réseaux sociaux (avec l’instauration d’une obligation de moyens pour lutter contre la vente de contrefaçon et l’utilisation de l’intelligence artificielle pour aider dans la lutte ; une obligation de connaître son client (« know your customer ») ; l’instauration d’un formulaire harmonisé au niveau européen et une obligation pour les plateformes de rendre accessible un bouton « contrefaçon ») ;
  • L’instauration par les Etats membres d’un cadre juridique prévoyant que les plateformes instaurent :
    • un dispositif de traitement des notifications et des plaintes des titulaires de droits et des autorités;
    • Une procédure de retrait normalisé et un délai d’intervention;
    • Une possibilité de signalement de la contrefaçon sur le site;
    • Une obligation de transparence sur les moyens mis en œuvre (en personnel) pour la lutte contre la contrefaçon et le traitement des réclamations.
  • Une information des consommateurs via l’obligation de rembourser les clients ayant acheté des contrefaçons sur le site.

Ces mesures ne sont, pour l’heure, pas celles prévues par le DSA, ce qui explique que les grands acteurs de la lutte contre la contrefaçon font part de leurs réserves quant à l’efficience du texte dans le cadre de la lutte contre la contrefaçon.

Un important travail de lobbying par des acteurs[1] disposant d’intérêts nécessairement opposés, va se mettre en place dans les prochains mois.

L’issue de cette démarche nous permettra de voir si le DSA, tant attendu et tant espéré, deviendra, comme le souhaite la Commission européenne, l’arme ultime de régulation du marché numérique.

***

Fort d’une expérience dans le domaine du droit de la concurrence et de la régulation économique, en droit des plateformes et en propriété industrielle, le cabinet Haas Avocats dispose de plusieurs départements entièrement dédiés à l’accompagnement de ses clients dans ces domaines.

Le Cabinet est naturellement à votre entière écoute pour toutes problématiques que vous pourriez rencontrer.

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[1] Et notamment de l’Unifab (Union des Fabricants) qui a publié en décembre 2020 un communiqué de presse à la suite de la publication du projet de règlement européen : https://www.unifab.com/wp-content/uploads/2020/12/CP-DSA-2.pdf

Eve Renaud-Chouraqui

Auteur Eve Renaud-Chouraqui

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