Par Eve Renaud-Chouraqui
Nous vous l’avions annoncé en 2021, la régulation par le droit de la concurrence de l’économie numérique est bel et bien amorcée.
Les enquêtes des autorités de concurrence à l’encontre des GAFA se sont multipliées, tant au niveau national, qu’au niveau de chacun des Etats membres ou encore au niveau européen.
Certaines (lourdes) condamnations ont d’ores et déjà été prononcées. Elles attestent de la volonté des Etats membres à réguler le numérique, marché spécifique laissé jusqu’à présent sous une forme d’auto-gestion de ces acteurs.
2022 sera l’année de cette régulation.
D’une part, la régulation européenne avec les projets de règlements Digital Market Act et Digital Services Act (qui devraient être votés sous la Présidence française au 1er semestre 2022).
D’autre part, la régulation par les autorités de concurrence françaises, lesquelles ont vu leurs pouvoirs renforcés par la transposition de la directive ECN+ et la loi dite DADDUE, et n’hésitent pas à prononcer de lourdes sanctions notamment contre les GAFA.
La première erreur serait de croire que cette régulation ne s’appliquera qu’aux GAFA ou aux très grosses plateformes. Toutes les plateformes, quelle que soit leur taille, sont soumises au droit de la concurrence.
La seconde erreur serait de ne pas prendre en considération les grandes tendances émergentes afin de sécuriser son activité économique.
Le présent article vise à fournir une vue globale de l’état de la régulation, afin de permettre une appréhension et une gestion des risques associés.
Le Digital Market Act préfigure des pratiques à objet ou effet anti-concurrentiel pour les plateformes dites structurantes (« gatekeeper »).
Ainsi, toute pratique visant à mettre en œuvre un algorithme de tarification n’étant pas sous l’entier contrôle de ses bénéficiaires, tout changement unilatéral des conditions contractuelles, toute restriction de l’accès aux données (portabilité, interopérabilité), toute collecte et utilisation asymétrique de données à des fins de mise en avant d’une offre concurrençant directement celle de tiers sont des pratiques à risque, nécessite une analyse spécifique.
L’analyse menée devra évaluer la situation (position) de l’entreprise considérée sur le marché, auditer les conditions contractuelles applicables, la technologie mise en œuvre et les effets envisageables de la pratique.
Ce processus de gestion de risque est indispensable pour s’assurer de la compliance de la démarche aux règles de la concurrence et de l’absence de pratique anti-concurrentielle au sens des articles L420-1 et suivants du code de commerce[1].
Une attention particulière doit être portée à l’écosystème contractuel entourant la relation entre un opérateur de plateforme et les tiers intégrés à celle-ci.
Tout irrespect des conditions posées par le Règlement « Platform To Business » (P2B) fait peser un risque certain pour l’entreprise depuis la loi DADDUE[2].
En effet, le non-respect des obligations posées par le règlement P2B est désormais considéré comme une pratique restrictive de concurrence au sens de l’article 442-1 du Code de commerce[3].
2021 a été une année de très forts contrôles menés par les autorités de concurrence (Autorité de la concurrence et DGCCRF).
Ainsi, les plateformes ayant un fort pouvoir de marché ou une forte visibilité ont fait l’objet de contrôles visant à s’assurer du respect des règles de concurrence.
2022 s’inscrira dans le prolongement de cette démarche de régulation a posteriori des pratiques.
Dans ce cadre, la DGCCRF a vu ses pouvoirs renforcés :
Dans l’hypothèse d’une infraction commise et constatée en ligne et lorsque l’auteur de la pratique n’a pu être identifié ou n’a pas déféré à l’injonction, les agents de la DGCCRF disposent de la possibilité d’ordonner l’affichage d’un message d’avertissement à destination des consommateurs ;
Si l’infraction commise est punie d’une peine d’au moins 2 ans d’emprisonnement ou dans le cas d’une pratique commerciale trompeuse, les agents pourront également :
Enjoindre aux plateformes en ligne, fournisseurs d’accès ou navigateurs de prendre une mesure de déréférencement d’un contenu illicite ;
Ordonner aux opérateurs de registre ou bureaux d’enregistrement des noms de domaine de prendre une mesure de blocage du nom de domaine pour une durée maximale de trois mois, renouvelable une fois[4].
L’Autorité de la concurrence a également vu ses pouvoirs renforcés sous l’effet de la transposition de la directive ECN +.
Ainsi, elle peut se concentrer sur les saisines considérées comme prioritaires (ce qui est, au regard de sa feuille de route, le cas des saisines en lien avec le numérique), prononcer des mesures conservatoires de sa propre initiative ou encore s’auto-saisir.
Le 11 octobre 2021, l’Autorité de la concurrence a mis à jour son document-cadre relatif aux programmes de conformité au droit de la concurrence[5].
Cette mise à jour n’est absolument pas une coïncidence et préfigure son souhait de relancer la démarche auprès des entreprises (et des organismes professionnels, également concernés par l’application des règles de concurrence dans les mêmes termes que les entreprises[6]).
Ces programmes, relevant d’une démarche volontaire de l’entreprise, consistent en des programmes internes élaborés, mis en œuvre et déployés afin de justifier d’une démarche de compliance de l’entreprise au droit de la concurrence.
Ils concernent toutes les entreprises, quelles que soient leur taille, et s’articulent autour de cinq piliers :
Un engagement public de l’entreprise à se conformer aux règles de concurrence ;
La mise en place de relais et experts internes chargés de l’élaboration, de la gestion et du suivi du programme (mission pouvant être confiée à un conseil juridique, en l’absence de juriste ou de personne qualifiée en interne) ;
L’information, la formation et la sensibilisation de l’entreprise ;
La création de mécanismes de contrôle et d’alerte ;
Un dispositif de suivi permettant de traiter des demandes de conseil et/ou d’alerte et de gérer les sanctions associées au non-respect du programme.
L’existence d’un programme de conformité est appréciée de manière positive par les autorités de concurrence, tant dans le cadre de la procédure de clémence, que dans le cadre de la procédure de transaction.
Ces programmes, dimensionnés au regard de la taille et des risques auxquels s’expose une entreprise, sont de véritables outils d’auto-régulation et une arme précieuse permettant de gérer le risque d’exposition aux infractions du droit de la concurrence.
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Fort d’une expérience dans le domaine du droit de la concurrence et de la régulation économique, le cabinet Haas Avocats dispose d’un département dédié à l’analyse des pratiques anti-concurrentielles et restrictives de concurrence mises en œuvre dans le domaine du digital (analyse d’impact, actions de remédiation, gestion des risques, assistance devant l’Autorité de la concurrence et la DGCCRF et représentation devant les juridictions judiciaires).
Le Cabinet est naturellement à votre entière écoute pour toutes problématiques que vous pourriez rencontrer.
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[1] Sanctionnée par une amende pouvant aller jusqu’à 10% du chiffre d’affaires mondial HT.
[2] Loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière, dite loi « DADDUE ».
[3] Sanctionnée par une amende pouvant aller jusqu’à 5 millions d’euros ou le triple du montant des avantages indument perçus ou obtenus ou 5% du chiffre d’affaires réalisé en France.
[4] Ces pouvoirs sont cohérents avec le projet de règlement Digital Services Act, lequel vise à renforcer les obligations des plateformes d’agir contre les contenus illicites.
[5] Le dernier document-cadre datait de 2012.
[6] La transposition de la directive ECN+ a eu pour effet d’aligner les organismes professionnels aux entreprises. En effet, les organismes professionnels encourent désormais les mêmes sanctions que les entreprises. Le plafond de sanction (limité à 3 millions d’euros) a été supprimé.