Quels sont les critères de brevetabilité des inventions informatiques ?

Quels sont les critères de brevetabilité des inventions informatiques ?
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Par Haas Avocats 

Conformément aux dispositions de l’article L.611-10 du code de la propriété intellectuelle, « sont brevetables, dans tous les domaines technologiques, les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d'application industrielle ».

A ce titre, ne sont notamment pas brevetables les « méthodes mathématiques » et les « programmes d’ordinateur », à défaut d’être considérés comme des inventions au sens de cet article[1].

Cette disposition a récemment été au centre des débats jurisprudentiels concernant la demande de brevet de la société Thales portant sur un « Procédé d'affichage temporel de la mission d'un aéronef »[2].

La Cour de cassation s’est dernièrement prononcée sur sa brevetabilité et la notion d’invention dans un arrêt du 11 janvier 2023[3].

Contexte de la décision sur la brevetabilité des inventions informatiques

Le procédé objet de la demande de brevet litigieuse vise à faciliter la lecture et la corrélation des données relatives aux étapes d’une mission fournies au pilote par les différentes fenêtres d’affichage présentes dans le cockpit.

Par décision du 17 juillet 2018, le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) avait rejeté cette demande au motif, notamment, que son objet ne concernait qu'une présentation d'informations associée à une méthode mathématique.

Ainsi, le procédé serait dépourvu de caractéristiques techniques au sens de l'article susmentionné du code de la propriété intellectuelle, ce qui fonderait le rejet de la demande conformément à l’article L.612-12 5° du code de la propriété intellectuelle[4].

La société Thales a formé un recours contre cette décision de l’INPI, l’occasion pour les juges de revenir sur la notion d’invention et les caractéristiques de nature à exclure sa caractérisation.

La non-brevetabilité de la présentation d’informations

Les juges du fond ont relevé que la revendication principale de la demande comportait deux caractéristiques :

  • L’une relative à la fenêtre comportant la ligne de temps, laquelle affiche les différentes étapes du vol au regard de l’horaire correspondant à leur accomplissement ; et
  • La seconde permettant au pilote de n’afficher qu’une partie de la ligne de temps.

La cour d’appel[5] a considéré que si la première caractéristique n’a pour objet que la transmission d’informations au pilote et n’est pas brevetable en l’absence de revendication d’une caractéristique technique distincte, la seconde revendique un moyen technique distinct du contenu des informations elles-mêmes, ce moyen aidant le pilote à sélectionner les informations les plus pertinentes et produit ainsi également un effet technique[6].

 

Quant-à-lui, le directeur général de l’INPI avait soutenu que cette caractéristique n’était pas brevetable car elle spécifierait seulement un résultat à atteindre, sans exposer clairement le moyen technique permettant de l’atteindre.

 

La cour d'appel en a déduit que la revendication 1, ainsi que les revendications dépendantes 2 à 7, de la demande de brevet déposée par la société Thales n'étaient pas exclues de la brevetabilité en ce qu'elles visent des moyens techniques, distincts du contenu des informations elles-mêmes.


Néanmoins, après avoir rappelé que les présentations d’informations ne sauraient être considérées comme des inventions, la Cour de cassation a considéré que la cour d’appel n’avait pas expliqué en quoi les moyens revendiqués dans cette demande avaient le caractère de moyens techniques distincts de la simple présentation d'informations.

En effet, la Cour considère que les caractéristiques de la demande de brevet n’ont pour objet que la transmission d’informations au pilote, visant à la fois le contenu cognitif de l’information (heures et points de passage) et la manière dont celle-ci est présentée (en fonction d’une ligne de temps).

Par conséquent, en l’absence de revendication d’une caractéristique technique distincte, ce procédé n’est pas, par lui-même, brevetable.

La non-brevetabilité d’un procédé sans contribution technique

Dans une décision du 7 juin 2013, le tribunal de grande instance de Paris avait d’ores et déjà précisé que « la brevetabilité d’une invention doit s’apprécier de manière globale au regard de l’invention revendiquée » et que « l’appréciation de sa brevetabilité suppose de déterminer la contribution technique que le brevet revendique ».

Les juges avaient à cette occasion rappelé qu’un programme d’ordinateur ne constituait pas une caractéristique technique brevetable.

L’arrêt du 11 janvier 2023 est ainsi l’occasion pour la Cour de cassation de rappeler qu’en l’absence de contribution technique, le procédé revendiqué ne peut constituer une invention, et n’est à ce titre pas brevetable.

En l’espèce, elle a estimé que la cour d’appel n’avait pas établi l'existence d'une contribution technique apportée par la demande de brevet.

En définitive, pour la Haute juridiction, le procédé de Thales n’est pas susceptible d’être protégé au titre du droit des brevets, faute d’être qualifié d’invention au sens de l’article L.611-10 du code de la propriété intellectuelle.

Les inventeurs doivent ainsi être particulièrement méticuleux dans la définition du procédé qu’ils entendent breveter, et garder en tête les critères permettant de distinguer les inventions informatiques pouvant être déposées auprès de l’INPI, des méthodes mathématiques et programmes d’ordinateurs non brevetables.

 

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[1] Article L.611-10 2) du code de la propriété intellectuelle

[2] Demande de brevet français n° 10 04947 publiée le 22 juin 2012

[3] Cour de cassation, Com., 11 janvier 2023, 19-19.567

[4] L’article L.612-12 5° prévoit qu’est rejetée, en tout ou partie, toute demande de brevet dont l'objet ne peut être considéré comme une invention au sens du 2 de l'article L.611-10 

[5] Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 1, 21 mai 2019, n° 18/19669

[6] La cour d’appel retenait en effet que ces moyens, consistant à permettre un affichage partiel de la "timeline", à recentrer automatiquement la "timeline" sur l'heure courante et à utiliser une fonction de loupe pour dilater l'échelle des temps et entraîner le déplacement du symbole de l'avion sur la représentation graphique, aidaient le pilote à sélectionner parmi les informations les plus pertinentes

 

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Auteur Haas Avocats

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