Par Haas Avocats
Exploiter une plateforme, un site e-commerce, une marketplace, implique nombre d’investissements pour l’exploitant. Il apparaît à ce titre essentiel d’identifier ces investissements, de les protéger comme d’en assurer une valorisation optimum.
Nombre de conflits sont ainsi apparus dans le monde digital sur le terrain du parasitisme économique et de l’atteinte au droit des producteurs de bases de données. Les Tribunaux sanctionnent régulièrement les techniques de scraping et autres dispositifs d’extraction consistant pour un acteur à s’approprier des contenus publiés sur la Toile et ce quand bien même ces contenus apparaitraient comme publics et librement accessibles.
Après un long épisode judiciaire opposant deux plateformes bien connues du web, la Cour de cassation est venue rappeler les règles en la matière. Dans un arrêt du 5 octobre 2022, la Haute Cour est ainsi venue préciser les contours du droit sui generis, dans le cadre de republication des annonces immobilières du site Leboncoin.fr par un autre site internet.
Cet arrêt précise en effet qu’est fondée à invoquer la protection d’une base de données de petites annonces en ligne qu’elle a acquise la société qui procède, pour la constitution, la vérification et la présentation de la base de données, à de nouveaux investissements financiers, matériels et humains substantiels au sens des articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, du fait de leur nature et de leur montant.
Arguer de son statut de producteur de base de données pour défendre ses investissements suppose en effet de justifier que l’on remplit un certain nombre de conditions fixées par le Code de la propriété intellectuelles – conditions reprécisées pour une partie d’entre elles par la 1ère chambre civile.
« Les investissements nouveaux » : précision sur la prolongation du délai du droit sui generis
Le code de la propriété intellectuelle fixe une durée de protection de 15 ans applicable aux bases de données.
Comment apprécier cette durée dans le cadre d’opération de cession et d’investissements nouveau ?
L’article L. 341-1 du code de la propriété intellectuelle prévoit que le producteur d’une base de données est « la personne qui prend l’initiative et les risques des investissements correspondants ». Entreparticuliers.com considérait que la société LBC, cessionnaire de la base de données, n’avait pas créé la base de données dont elle réclamait la protection, et n’était donc pas, à ce titre, producteur de celle-ci.
La durée initiale du droit sui generis est fixée à quinze ans à compter de l’achèvement ou de la première mise à disposition au public de la base de données. Toutefois, dans le cas où la base de données ferait l’objet d’un nouvel investissement substantiel, le délai serait prolongé d’une nouvelle période de quinze ans (article L.342-5).
La Cour de cassation suit le raisonnement de la cour d’appel sur le fait que la société LBC, en effectuant de nouveaux investissements substantiels, était fondée à invoquer la protection de la base de données.
L’appréciation du nouvel investissement permettant la prolongation du délai de la protection, s’apprécie alors de la même façon que l’investissement requis pour la protection initiale à savoir des « investissements financiers, matériels et humains substantiels » pour la « constitution, la vérification et la présentation » de la base de données, au sens de l’article L. 341-1 du CPI.
La notion « d’investissement substantiel »
Le producteur doit justifier d’investissements substantiel matériel, humain et financier.
Des contestations régulières apparaissent sur cette question et plus précisément sur la différence à opérer entre les investissements liés à la production de contenus (non pertinents) et les investissements liés à l’organisation, l’assemblage, la vérification, la présentation desdits contenus (seuls pertinents pour justifier du statut de producteur et bénéficier ainsi de la protection)
La société Entreparticuliers.com faisait précisément grief à l’arrêt d’avoir retenu un ensemble de dépenses qui auraient contribué à la création des éléments contenus dans la base de données et non à la constitution, la vérification ou la présentation de la base. La Cour d’appel avait, en effet, retenu diverses dépenses au titre de l’obtention du contenu (dépenses de communication et de stockage), de la vérification du contenu (frais salariaux d’équipes dédiées à la modération des annonces) et de la présentation du contenu (dépenses de classifications des annonces et à l’organisation du site).
La Cour de cassation rappelle sur ce point la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne : « par quatre arrêts du 9 novembre 2004 (C-203/02, C-46/02, C-338/02, C-444/02), la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que la notion d’investissement lié à l’obtention du contenu de la base de données doit s’entendre comme désignant les moyens consacrés à la recherche d’éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base, à l’exclusion des moyens mis en œuvre pour la création des éléments constitutifs d’une base de données, le titulaire d’une base de données devant dès lors justifier d’un investissement autonome par rapport à celui que requiert la création des données contenues dans la base dont il demande la protection ».
Adoptant une appréciation souple de la notion d’investissement substantiel, la Cour de cassation approuve la classification retenue par la cour d’appel au titre d’investissements justifiant la protection conférée par le droit sui generis.
La protection de la sous-base de données
La société Entreparticuliers.com faisait grief à l’arrêt d’avoir reconnu un droit sui generis aux annonces immobilières qui ne constituent qu’une sous-base des annonces totales, alors même que celle-ci n’a pas fait l’objet d’investissements propres et autonomes.
La Cour de cassation rejette le moyen. La sous-base représentant environ 10% des annonces totales et ayant bénéficié d’environ 10% des investissements substantiels engagés pour la base, la cour d’appel a bien déduit que celle-ci bénéficiait de la protection au titre de la sous-base.
L’appréciation du caractère illicite de l’extraction des données
Bénéficier du statut de producteur de base de données permet d’interdire et de sanctionner un tiers qui viendrait s’approprier indument les investissements mis en œuvre pour l’organisation, la présentation ou encore la vérification de ladite base (article L. 342-1 du code de la propriété intellectuelle). Cette appropriation indue passe par une opération d’extraction.
Sur ce point précis, il convient d’observer que la distinction entre l’extraction de contenus et simple indexation tend à disparaitre lorsque l’on est en présence d’une reprise de l’ensemble des informations sources.
Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, Entreparticuliers.com soulevait que, si son site reprenait les annonces immobilières du site Leboncoin.fr, il se contentait de renvoyer par le biais d’un lien hypertexte, au site originel. Entreparticuliers.com assimilait ainsi l’opération à une simple prestation technique d’indexation de contenus et non d’extraction.
L’argument est toutefois rejeté par la Cour de cassation., estimant que les annonces immobilières du site Entreparticuliers.com reprenaient toutes les informations relatives au bien immobilier (la localisation, la surface, le prix, la description et la photographie du bien) et qu’il s’agissait dès lors bien d’une extraction et d’une réutilisation d’une partie qualitativement substantielle du contenu de la sous-base de données « immobilier » de la société LBC.
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Cette affaire illustre la nécessité pour tout exploitant de site internet et autres plateforme digitale de sécuriser juridiquement ses actifs incorporels dont font partie les bases de données.
Le cabinet HAAS Avocats est spécialisé depuis plus de vingt-cinq ans en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle. Pour nous contacter, cliquez ici.