Par Haas Avocats
Le Tribunal judiciaire de Marseille a rendu, le 20 mars 2025[1], une décision marquant une avancée significative dans l’usage de la blockchain en tant que preuve. En effet, pour la première fois, une juridiction française reconnaît non seulement la fonction d’horodatage de cette technologie, mais aussi son rôle dans l’établissement de la titularité des droits d’auteur.
La reconnaissance de la blockchain comme mode de preuve
L’horodatage validé par le juge
Dans le cas d’espèce, la société du créateur de mode renommé Albert Elbaz avait découvert qu’une société spécialisée dans le commerce de gros avait fabriqué des vêtements reprenant à l’identique certaines caractéristiques de deux de ses pyjamas à succès. Elle a alors attaqué le grossiste en contrefaçon. L’auteur bénéficie en effet de droits sur ses créations, qui font l’objet d’une protection par le droit de la propriété intellectuelle.[2]
Pour voir son action prospérer, cette société devait prouver la titularité de ses droits d’auteur concernant lesdits pyjamas. Pour cela, les juges se sont appuyés sur deux constats d’horodatage blockchain. Plus précisément, l’empreinte digitale des dessins des deux pyjamas en question avait fait l’objet d’un ancrage dans la blockchain par la solution Blockchainyour IP, constaté par huissier.
Les juges ont admis que les constats d’huissier attestant de ces enregistrements conféraient une valeur probatoire à l’horodatage. Ainsi, le Tribunal judiciaire de Marseille a affirmé que l’horodatage fait au travers de la blockchain constitue un mode de preuve valable pour attester de l’antériorité d’une création. Or, la chronologie est au cœur de ce type de litiges !
Sur cette base, les juges ont considéré que le grossiste s’était rendu coupable de contrefaçon et l’ont par conséquent condamné à l’arrêt immédiat de toute fabrication, reproduction, ou vente des pyjamas litigieux, à la destruction des pyjamas contrefaits, et ont même ordonné la publication d’un communiqué consacré à cette condamnation dans trois journaux ou magazines professionnels.
Pour quelques rappels sur la technologie blockchain, et notamment son rôle en matière de preuve, vous pouvez consulter nos précédents articles.
La blockchain comme élément probant de titularité des droits d’auteur
La véritable avancée de l’arrêt réside dans le fait que la blockchain est ici utilisée, non seulement pour sa fonction d’horodatage, mais aussi pour établir la titularité des droits d’auteur. En effet, les juges ont considéré que l’inscription des empreintes numériques des croquis des vêtements dans la blockchain, corroborée par d’autres éléments (tels que des vidéos promotionnelles sur YouTube), permettait de prouver la qualité d’auteur de la société.
Soyons clairs, la blockchain ne crée pas de droit en tant que tel : elle ne confère pas la qualité d’auteur, mais elle permet d’apporter une preuve de l’existence d’une œuvre à un moment donné. Cette nuance est fondamentale car l’enregistrement sur une blockchain ne garantit pas l’absence de contestation par une partie adverse qui pourrait revendiquer une création antérieure.
Une reconnaissance aux implications encore incertaines
La valeur probatoire de la blockchain pose question depuis l’apparition de cette technologie. Si la décision du Tribunal judiciaire de Marseille marque une avancée, elle ne consacre pas pour autant la blockchain comme une preuve parfaite.
Rappelons d'abord que les juges s’appuient sur la blockchain, mais aussi sur d’autres éléments afin d’établir la titularité des droits d’auteurs (les publicités notamment).
Par ailleurs, cette technologie peut poser plusieurs difficultés, en premier lieu l’anonymat des utilisateurs. En outre, il existe différents types de blockchain, présentant des caractéristiques variées : blockchain publique ou privée, modes de validation distincts (proof of work, proof of stake ou autre)... Ainsi, chaque blockchain, en fonction de sa configuration, offre une valeur probatoire différente.
Quoi qu’il en soit, ce jugement va dans le sens d’une reconnaissance toujours plus forte de la blockchain par le système juridique. La loi pourrait être amenée à évoluer dans les années qui viennent afin de consacrer la blockchain comme mode de preuve. Pour cela, un certain nombre de garde-fous devront cependant être mis en place.
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Le cabinet HAAS Avocats est spécialisé depuis plus de vingt-cinq ans en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle. Il accompagne de nombreux acteurs du numérique dans le cadre de leurs problématiques judiciaires et extrajudiciaires relatives au droit de l'IP/IT. Dans un monde incertain, choisissez de vous faire accompagner par un cabinet d’avocats fiables. Pour nous contacter, cliquez ici.
[1] Tribunal judiciaire de Marseille, jugement du 20 mars 2025, N° RG 23/00046, N° Portalis DBW3-W-B7G-22WU
[2] Voir notamment l’article L. 111-1 et l’article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle