Par Paul Benelli et Julie Soussan
L’année 2020 qui vient de s’écouler constitue un nouveau tournant pour le secteur des Marketplaces. Fortement frappés par la pandémie de Covid-19, bon nombre de commerçants ou de prestataires de services ont dû se digitaliser et la marketplace a bien souvent été la solution pour leur permettre de poursuivre leur activité.
Au-delà de cet intérêt renouvelé et confirmé pour ce mode de vente sur internet, l’année 2020 est aussi celle de l’entrée en application du règlement P2B, venant encadrer l’activité des opérateurs de plateformes BtoC, régissant notamment les relations contractuelles entre l’opérateur et les marchands référencés.
L’encadrement des Places de marchés est assurément en train de s’accroître, et les opérateurs de Plateformes devront anticiper l’entrée en vigueur de nouvelles règlementations et se préparer à faire face à des contrôles plus importants.
C’est l’occasion de faire un point sur l’ensemble des nouveautés susceptibles d’impacter les Marketplaces en 2021.
La Commission européenne a présenté le 15 décembre dernier deux projets de règlement les «Digital Services Act» et «Digital Market Act», qui entendent réguler l’espace numérique et remettre à jour la directive sur le commerce électronique de juin 2000.
Le Digital Service Act (DSA) sera applicable à tout intermédiaire en ligne et aura vocation à moderniser la réglementation liée aux plateformes numériques. Les nouvelles obligations applicables auxdits intermédiaires varieront en fonction de son rôle, de sa taille et de l’impact qu’il peut avoir sur l’ecosystème numérique.
Il aura notamment vocation à encadrer de nombreux sujets tels que la responsabilité des plateformes, la lutte contre la diffusion de contenus illicites et contre la désinformation sur Internet, la situation des travailleurs indépendants en ligne, la publicité en ligne etc.
Le Digital Market Act (DMA) a lui vocation à encadrer les activités des « Plateformes structurantes » ou « gatekeepers ». Il s’agit notamment des Plateformes ayant une position économique forte, un impact significatif sur le marché intérieur, actives dans plusieurs pays de l’Union Européenne et ayant une forte position d’intermédiation en ce qu’elles mettent en relation de nombreux utilisateurs avec de nombreux commerçants.
Il prévoit notamment l’interdiction pour ces Plateformes de favoriser les Produits vendus par l’opérateur lui-même au détriment des Produits vendus par les Vendeurs référencés ou encore l’obligation d’autoriser les professionnels à conclure des contrats avec les consommateurs en dehors de la Plateforme.
Ces deux règlements sont encore au stade de projet. Une fois adoptés, ils seront d’application directe dans toute l’Union Européenne. Les Opérateurs de Plateformes ont donc tout intérêt à anticiper leur entrée en vigueur dès à présent.
Pour en savoir plus sur ces règlements, consultez nos différents articles : Quel sera l'impact du DSA dans la lutte contre la contrefaçon en ligne ? Obligations DSA X DMA : Comment Bruxelles veut encadrer les GAFAM ? Définitions DSA X DMA : Zoom sur le Digital Services Act et le Digital Market Act |
La directive (UE)2017/2455 du 5 décembre 2017 relative au régime de TVA du commerce électronique sera applicable au 1er juillet 2021 (au lieu du 1er janvier 2021, report dû à la crise sanitaire du Covid-19).
Les principaux changements seront :
La vente de produits contrefaisants est un phénomène qui se rencontre de plus en plus sur les Marketplaces.
La Cour des comptes a publié une étude le 3 mars 2020, au sein de laquelle elle souligne l’insécurité juridique découlant de la distinction entre éditeur et hébergeur, et souhaiterait impliquer davantage les plateformes dans la lutte contre la contrefaçon, notamment en les contraignant à :
Par ailleurs, la directive « droit d’auteur », et notamment son article 17, prévoit que les plateformes utilisant les contenus publiés par des tiers dans leur propre intérêt ne pourront plus se prévaloir du statut d’éditeur vis-à-vis des contenus protégés par le droit d’auteur, et seront désormais responsables des contenus publiés par leurs utilisateurs. En effet, les opérateurs auront l’obligation de conclure avec les ayants-droits publiant des œuvres sur leur plateforme, un accord de licence les autorisant à publier ledit contenu.
Le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle devrait prochainement transposer ces dispositions en droit français.
La loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire aura également un impact sur les opérateurs de plateformes, concernant notamment deux aspects principaux :
La création d’un indice de réparabilité et de durabilité : Cet indice permettra au consommateur de déterminer la capacité à réparer un produit.
Seront concernés par l’obligation de fournir cet indice, les vendeurs d’équipements électriques et électroniques, ainsi que ceux qui utilisent une plateforme en ligne pour procéder à la vente de ces produits.
Si les modalités de détermination de cet indice doivent encore être précisées, il devra fort probablement inclure le prix des pièces détachées nécessaires au bon fonctionnement du produit ou la fiabilité du produit.
Cet indice est obligatoire à compter du 1er janvier 2021. L’opérateur de plateforme devra donc veiller à ce que les vendeurs concernés fournissent un tel indice.
Le paiement de l’éco-contribution : Les producteurs de produits (entendus comme toute personne physique ou morale qui élabore, fabrique, manipule, traite, vend ou importe des produits générateurs de déchets ou des éléments et matériaux entrant dans leur fabrication) devront payer une eco-contribution afin de couvrir les coûts de prévention, de collecte, de transport et de gestion des déchets.
A compter du 1er janvier 2022, le nouvel article L. 541-10-9 du Code de l’environnement imposera aux opérateurs de plateformes le paiement de cette contribution, sauf à démontrer que les vendeurs qu’ils référencent ont déjà versé ladite contribution.
Les Opérateurs de Plateformes devront redoubler de vigilance pour s’assurer que les produits vendus sur leur Plateforme ne présentent pas de risques pour les consommateurs.
En effet, à l’issue d’une enquête, la DGCCRF a constaté que de nombreux produits dangereux étaient commercialisés sur les marketplaces.
Les marketplaces se contentant de mettre en relation des acheteurs et des vendeurs, sans être contraintes de contrôler la conformité des produits commercialisés sur leur plateforme, plusieurs produits présenteraient un niveau de dangerosité et / ou de non-conformité important, notamment concernant les catégories suivantes : bijoux fantaisie, cosmétiques, briquets fantaisie, jouets en latex pour bébé, guirlandes électriques, peluches et déguisements pour enfant.
La DGCCRF a donc incité les places de marché à garantir un bon niveau de réactivité pour traiter les situations de produits non conformes et dangereux en mettant en place des mesures comme le retrait des annonces, ainsi que la notification des consommateurs ayant acheté des articles dangereux ou non conformes.
La DGCCRF est désormais dotée de nouveaux pouvoirs, lui permettant de procéder à des blocages de sites ou d’application en cas d’infraction grave en matière de protection des consommateurs.
Au cours de cette année 2020, nous avons également pu constater des sanctions de plus en plus sévères infligées par la CNIL avec notamment une amende record de 100 millions d’euros à l’encontre de Google, représentant la plus forte amende prononcée à ce jour par une autorité de protection des données en Europe. Amazon écope également d’une amende de 35 millions d’euros.
Il était reproché à ces deux plateformes d’avoir déposé des cookies publicitaires sur les ordinateurs d’utilisateurs sans consentement préalable et sans information satisfaisante.
Peu de temps avant, c’est la société Carrefour qui avait été sanctionnée à hauteur de 2 250 000 euros pour divers manquements à la loi informatique et libertés (obligation d’information, durée de conservation, recueil du consentement préalablement au dépôt de cookies).
Les Plateformes en ligne ont par ailleurs fait l’objet de contrôles sur le terrain du droit de la concurrence et notamment des pratiques restrictives de concurrence.
C’est le cas notamment de la Plateforme Expédia, référençant des hôteliers pour leur permettre d’être mis en relation avec des clients souhaitant réserver une chambre d’hôtel. La Plateforme imposait notamment aux hôtels qu’elle référençait une clause de parité de prix, selon laquelle ils s’engageaient à faire bénéficier automatiquement aux sociétés du groupe Expedia des conditions tarifaires au moins aussi favorables que celles accordées via les autres réseaux de distribution.
Etait également stipulée une clause de disponibilité de la dernière chambre, en application de laquelle quel que soit le nombre de chambres disponibles, l’hôtelier devait réserver à Expedia la dernière chambre qui serait disponible sur son site.
Si la Cour de cassation n’a pas retenu de déséquilibre significatif comme l’avait fait le Tribunal de Commerce de Paris contre Amazon, cette décision témoigne tout de même de l’attention particulière que doivent porter les Plateformes en ligne sur le respect du droit de la concurrence.
Dans la même lignée, la place de marché Shopoon a été condamnée par un arrêt du 20 novembre 2020 de la Cour d’appel de Paris, pour concurrence déloyale. Cette dernière profitait de la force de vente de la marque Bonpoint en proposant sur sa plateforme des produits de ladite marque alors même qu’ils n’étaient pas disponibles, pour réorienter ses utilisateurs vers des Produits similaires et s’assurer une rémunération grâce aux « clics ».
L’année écoulée et l’année précédente ont également enclenché une ère de responsabilisation des Opérateurs de Plateformes, notamment dans leurs relations avec les professionnels qu’ils référencent, d’une part avec la condamnation d’AMAZON pour déséquilibre significatif, et d’autre part avec l’entrée en application le 12 juillet dernier, du règlement P2B.
Le 2 septembre 2019, AMAZON s’était vue infliger une amende de 4 millions d’euros sur le fondement du déséquilibre significatif qui existait entre elle et les vendeurs qu’elle référence.
Il était notamment reproché à la marketplace de s’octroyer le droit de suspendre ou résilier le contrat avec ses vendeurs de manière discrétionnaire, d’imposer à ses vendeurs des indices de performance non-explicites etc.
AMAZON risque de nouveau d’être inquiétée, cette fois-ci pour abus de position dominante, puisqu’elle fait l’objet d’une enquête de la Commission européenne. Il est en effet reproché à AMAZON d’utiliser les données commerciales non publiques des vendeurs tiers (nombre d’unités de produits commandées et expédiées, recettes des vendeurs sur la place de marché, nombre de visites sur les offres des vendeurs, données relatives aux performances des vendeurs), et de s’en servir pour mettre en avant ses propres produits.
Afin de permettre aux opérateurs de Plateformes en ligne, notamment les plus petits, de mettre en place les nouvelles exigences issues du règlement P2B, la Commission Européenne a publié un guide apportant des informations sur ces nouvelles dispositions.
Ce guide apporte notamment des éclaircissements sur les points suivants :
Par ailleurs, toujours pour préciser les modalités d’application du règlement P2B, la Commission européenne a également publié des lignes directrices concernant la transparence en matière de classement.
Ces lignes directrices ne sont pas contraignantes, mais les Opérateurs de Plateformes sont largement incités à s’y conformer.
D’autant plus que la France souhaite se doter d’un « label » attribué aux marketplaces « vertueuses ». Les critères permettant d’obtenir un tel label devront être déterminés au cours du premier semestre 2021, et devront vraisemblablement concerner la loyauté, la transparence envers les partenaires commerciaux, la protection des consommateurs, la responsabilité sociétale, les enjeux environnementaux et la fiscalité.
De manière plus générale, on perçoit un mouvement toujours plus fort d’encadrement de la vente de ses propres produits par la plateforme, comme le fait par exemple Amazon.
Le préambule du règlement P2B est particulièrement intéressant sur ce point. Dans son considérant n°30 notamment, il précise la portée du règlement, en rappelant qu’en aucun cas l’opérateur ne doit utiliser les données de la plateforme afin de nuire au libre jeu de la concurrence :
« Lorsqu’un fournisseur de services d’intermédiation en ligne propose lui-même des biens ou services aux consommateurs dans le cadre de ses propres services d’intermédiation, ou via une entreprise utilisatrice qu’il contrôle, ce fournisseur pourrait concurrencer directement les autres entreprises utilisatrices de ses services d’intermédiation en ligne qu’il ne contrôle pas, ce qui pourrait donner au fournisseur une motivation économique et la capacité de tirer parti du contrôle qu’il exerce sur les services d’intermédiation en ligne pour fournir des avantages techniques ou économiques à ses propres offres ou à celles qu’il propose par l’intermédiaire d’une entreprise utilisatrice qu’il contrôle, avantages qu’il pourrait refuser aux entreprises utilisatrices concurrentes. Un tel comportement est susceptible d’entraver la concurrence équitable et de restreindre les droits des consommateurs. En pareils cas, il importe notamment que le fournisseur de services d’intermédiation en ligne agisse de manière transparente et fournisse une description adéquate des éventuels traitements différenciés et expose les considérations qui les soustendent, que ceux-ci fassent appel à des moyens juridiques, commerciaux ou techniques, tels que des fonctionnalités associées au système d’exploitation, qu’il est susceptible de mettre en œuvre à l’égard des biens ou services qu’il propose lui-même, par rapport à ceux proposés par des entreprises utilisatrices. Afin de garantir la proportionnalité, cette obligation devrait s’appliquer au niveau de l’ensemble des services d’intermédiation en ligne plutôt qu’au niveau des différents biens ou services proposés dans le cadre de ces services.
Les opérateurs de plateformes vendant eux mêmes des produits sur la plateforme devront donc prendre soin d’indiquer, de manière transparente, comment ils utilisent les données générées ou transitant par la plateforme, notamment les données de prix pratiqués par les marchands référencés.
Rappelons par ailleurs que le projet de DMA (cf. supra) interdit, purement et simplement, pour les plateformes « structurantes » :
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Le Cabinet HAAS Avocats accompagne de nombreux fournisseurs de services d’intermédiation en ligne dans le cadre de son pôle dédié aux marketplaces et autres plateformes numériques.
Le Cabinet est naturellement à votre entière écoute pour toutes démarches de mise en conformité que vous souhaiteriez mener à ce titre.
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