Les différences entre concurrence déloyale et pratiques anticoncurrentielles

Les différences entre concurrence déloyale et pratiques anticoncurrentielles
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Par Haas Avocats

Dans un contexte économique en constante évolution, notamment sous l’effet des nouvelles technologies et de la globalisation, les frontières entre les comportements commerciaux légitimes et illicites peuvent se brouiller.

Deux régimes juridiques distincts permettent d’encadrer certains comportements abusifs : la concurrence déloyale et les pratiques anticoncurrentielles. Bien que parfois confondues, ces notions obéissent à des logiques différentes : la première protège des intérêts privés, tandis que la seconde vise l’équilibre du marché dans son ensemble.

Une récente décision de la Cour de cassation du 26 février 2025 éclaire cette distinction, particulièrement pertinente dans les secteurs disruptifs comme les plateformes numériques ou l’e-commerce.

Concurrence déloyale et pratiques concurrentielles : Deux fondements, deux régimes, deux objectifs

La concurrence déloyale : une faute individuelle, un préjudice ciblé

Fondée sur les articles 1240 et 1241 du Code civil, la concurrence déloyale repose sur la responsabilité civile délictuelle. Elle vise à sanctionner des comportements fautifs d’un opérateur économique causant un trouble à un concurrent. La logique est individuelle : on protège un acteur économique lésé, généralement un concurrent direct.

Pour établir la concurrence déloyale, un plaignant doit prouver trois éléments essentiels :

  • Le comportement déloyal: actes visant à nuire à la réputation, à l’activité ou à l’organisation d’un concurrent. Parmi ces comportements, on retrouve notamment le dénigrement, l'imitation servile, la désorganisation etc.
  • Le lien de causalité : entre ce comportement et le dommage subi.
  • Le préjudice: qu’il soit économique (perte de clientèle, baisse de chiffre d’affaires) ou moral (atteinte à la réputation).

Dans les environnements digitaux, ce préjudice peut inclure des pertes de visibilité sur les moteurs de recherche, ou la captation illégitime d’utilisateurs.

Il convient également de ne pas confondre concurrence déloyale et parasitisme : bien que tous deux soient sanctionnés sur le fondement de l’article 1240, le parasitisme consiste à se placer dans le sillage d’un acteur économique, pour profiter indûment de ses efforts ou de sa notoriété.

Les pratiques anticoncurrentielles : une atteinte systémique au marché

Le droit des pratiques anticoncurrentielles, encadré par les articles L. 420-1 et suivants du Code de commerce et les articles 101 et 102 TFUE, vise à garantir le bon fonctionnement du marché. Il cible notamment :

  • Les ententes : accord secret entre plusieurs acteurs économiques pour par exemple fixer les prix, diviser les marchés, ou se répartir la clientèle ;
  • Les abus de position dominante : exploitation abusive par un acteur d’une position dominante sur un marché, par exemple en imposant des conditions commerciales déloyales à ses partenaires ou en évinçant des concurrents par des moyens illicites.

Ces pratiques sont poursuivies non uniquement parce qu’elles nuisent à un concurrent identifié, mais parce qu’elles faussent la concurrence sur un marché.

La logique ici n’est pas tant de réparer un dommage individuel, que de préserver le libre jeu de la concurrence.

Concurrence déloyale et pratiques concurrentielles : une distinction dans la méthode de preuve et les finalités

Concurrence déloyale : logique de réparation individuelle

Dans ce régime, le juge peut présumer le préjudice une fois la faute démontrée : « un préjudice s’infère nécessairement d’un acte de concurrence déloyale ». (Cass. com., 22 oct. 1985, n° 83-15.096 - Cass. com., 16 mars 2022, n° 20-14.916).

Les dommages-intérêts indemnisent directement la victime. Dans un environnement numérique, ces litiges sont de plus en plus fréquents : usurpation de nom de domaine, usage illicite de données commerciales etc.

Pratiques anticoncurrentielles : logique de régulation du marché

La preuve y est plus complexe, nécessitant souvent des analyses empiriques, la définition de marchés pertinents, ou encore des analyses d'impact. Toutefois, depuis 2017, l’article L. 481-7 du Code de commerce introduit une présomption de préjudice dans le cadre des ententes horizontales, facilitant ainsi les actions en réparation.

Dans le cadre des pratiques anticoncurrentielles, la compétence revient aux autorités de concurrence – telles que l’Autorité de la concurrence en France ou la Commission européenne – qui interviennent pour sanctionner des comportements impactant l’ensemble du marché.

Les sanctions peuvent alors atteindre des montants significatifs, avec des amendes pouvant représenter jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires global des entreprises concernées, sans oublier les conséquences réputationnelles et les frais de défense souvent très importants. 

Une entreprise victime peut également obtenir l’allocation de dommages et intérêts pour la réparation de son préjudice propre.

En pratique, ces deux régimes ne sont pas seulement traités différemment d'un point de vue juridique, mais aussi du point de vue de la gestion des risques au sein des entreprises ; les efforts consacrés à la prévention d'une procédure devant l’Autorité de la concurrence sont souvent plus conséquents que ceux liés à la concurrence déloyale.

Concurrence déloyale et pratiques concurrentielles: distinction des deux régimes à la lumière de la jurisprudence récente

L’arrêt de la Cour de cassation du 26 février 2025 apporte un éclairage important à ce sujet.

Dans cette affaire, l'Autorité de la concurrence avait sanctionné plusieurs entreprises du secteur de la distribution des produits chimiques pour avoir mis en place une entente anticoncurrentielle visant à stabiliser leurs parts de marché et augmenter leurs marges.

Suite à cette décision, une entreprise tierce avait assigné sur le fondement de la concurrence déloyale les entreprises sanctionnées en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis en raison de cette entente, en tant que concurrente et cliente des sociétés incriminées.

Cependant, la Cour de cassation a estimé que le droit des pratiques anticoncurrentielles ayant pour objet « la protection du libre jeu de la concurrence sur le marché », la caractérisation d'une pratique anticoncurrentielle « n'induit pas nécessairement » que les opérateurs actifs directement ou indirectement sur ce marché ont subi un préjudice.

Ainsi, la Cour a rappelé que les victimes de telles pratiques doivent prouver le préjudice qu’elles ont effectivement subi, et ce, de manière concrète et documentée. A défaut, aucun acte de concurrence déloyale ne peut être caractérisé.

In fine la Cour a estimé que la société demanderesse n’apportait pas suffisamment d’éléments concrets pour établir que l’entente, qui ne la visait pas directement, avait affecté son activité.

À l’ère du numérique, où la concurrence prend souvent des formes inédites, il est fondamental de distinguer clairement entre concurrence déloyale et pratiques anticoncurrentielles. Pour les entreprises innovantes, comprendre cette distinction est clé pour anticiper les risques, structurer leurs stratégies commerciales et défendre leurs droits.

 

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