Cas Deliveroo : Que risquent les plateformes en cas de travail illégal ?

Cas Deliveroo : Que risquent les plateformes en cas de travail illégal ?
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Par Rachel Ruimy et Hugues Payen

Les travailleurs des plateformes numériques sont omniprésents dans le paysage urbain. Qu’il s’agisse de livrer des repas ou de transporter des personnes, le recours à ces services est très répandu.

Les travailleurs ne sont généralement pas des salariés, mais des auto-entrepreneurs qui appartiennent au régime des indépendants[1].

Ainsi, les obligations pesant sur les opérateurs de plateforme en ligne ont été renforcées afin de mettre en exergue la réelle autonomie du travailleur.

C’est dans ce contexte que la société Deliveroo a été condamnée à plusieurs reprises en 2022 pour travail dissimulé tant par les juridictions civiles que par les juridictions pénales.

La requalification en salariés des livreurs indépendants sur les plateformes numériques

L’article L.8221-6 du Code du Travail énonce que les personnes immatriculées au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers sont présumées ne pas être liées par un contrat de travail avec leur donneur d’ordre.

Pour rappel, le contrat de travail ne dépend pas de la qualification que les parties donnent à leur relation mais des éléments objectifs caractérisant l’existence d’un lien de subordination.

En l’absence de définition par le code du travail, la Cour de cassation l’a défini comme « l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ».[2]

La démonstration du lien de subordination nécessite donc la réunion de trois pouvoirs entre les mains de l’employeur :

  • Un pouvoir de direction;
  • Un pouvoir de contrôle;
  • Et un pouvoir disciplinaire.

Aussi, la présomption posée par l’article L.8221-6 du Code du Travail peut être renversée si la personne démontre que les prestations sont fournies dans des conditions qui les placent dans une situation de subordination juridique permanente à l’égard du donneur d’ordre.

Dans deux arrêts « Take Eat Easy » et « Uber », la Cour de cassation a ainsi considéré qu’au regard des faits, et notamment du pouvoir de direction, du système de géolocalisation et du pouvoir de sanction exercé par les opérateurs de plateformes, la prestation pouvait être requalifiée en contrat de travail.

L’enjeu d’une telle action est d’autant plus important pour un opérateur de plateforme que la requalification de la prestation en contrat de travail peut entraîner :

  • Le paiement d’importantes indemnités qui doivent être versées aux professionnels indépendants (rappel de salaires sur la base du salaire en vigueur de la convention collective, heures supplémentaires, indemnités inhérentes au licenciement voire des dommages et intérêts pour licenciement abusif et indemnité pour travail dissimulé) ;
  • Un redressement de l’administration chargée de collecter les cotisations et contributions sociales (URSSAF). 

La condamnation pénale de Deliveroo pour travail dissimulé

Le Tribunal correctionnel de Paris a condamné le 19 avril 2022 Deliveroo à la peine maximale encourue pour travail dissimulé[3] : 375.000 euros d’amende.

Plus précisément, Deliveroo a été condamnée pour ne pas avoir employé ses livreurs en tant que salariés, mais en tant qu’indépendants, durant la période comprise entre mars 2015 et décembre 2017.

Qu'est ce que le délit de travail dissimulé

Cette condamnation est historique. Si des travailleurs référencés sur une plateforme ont déjà pu obtenir la requalification de leur prestation en contrat de travail, c’est la première fois qu’un opérateur de plateforme est en plus condamné pénalement pour travail dissimulé.

Selon l’article L.8221-5 du Code du travail, commet le délit de travail dissimulé l’employeur qui, de manière intentionnelle, ne procède pas à la déclaration préalable à l’embauche auprès des organismes de sécurité sociale, ne délivre pas de bulletin de salaire ou n’accomplit pas les déclarations relatives aux salaires et autres cotisations sociales.

Pour autant, des pratiques de « fausse sous-traitance »[4], notamment en employant des indépendants dans des conditions qui les placent dans une situation de subordination juridique permanente à l’égard du donneur d’ordre, dans le seul but de réduire les charges sociales de l’entreprise, caractérisent également le délit de travail dissimulé.

En l’espèce, afin de démontrer l’existence d’un lien de subordination entre les livreurs et l’opérateur, la Procureure de la République avait listé un certain nombre d’éléments :

  • la réalisation de statistiques sur les délais de livraison ;
  • l’envoi de vidéos de formation très détaillées ;
  • la rédaction de règles précises sur les modalités de livraison ;
  • l’envoi régulier par e-mail du rappel des règles de la plateforme ;
  • le choix des itinéraires par l’opérateur, et
  • la vérification que les livreurs avaient démarré leurs livraisons et que leur téléphone était chargé.

Ainsi, le Tribunal correctionnel de Paris a retenu que Deliveroo en employant ses livreurs sous le statut d’indépendants, au lieu de salariés, s’était rendue coupable de travail dissimulé.

Les sanctions écopées par Deliveroo pour travail dissimulé

De plus, des peines de 12 mois de prison avec sursis ont été prononcées à l’encontre des deux anciens dirigeants de la plateforme de livraison à domicile, assorties d’une amende de 30.000 euros et d’une interdiction de diriger une société pendant 5 ans avec sursis.

Deliveroo devra en outre verser 50.000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral aux syndicats qui se sont portés parties civiles, à savoir : la CGT, Solidaires, Sud Commerce et Services et le Syndicat national des transports légers.

Enfin, Deliveroo devra indemniser les 116 livreurs qui se sont constitués partie civile. Le montant de ces indemnités sera déterminé lors d’une prochaine audience en date du 6 février 2023.

Il convient de préciser que depuis la période concernée, entre 2015 et 2017, les contrats et pratiques de Deliveroo ont été modifiés. Les livreurs peuvent notamment plus facilement refuser une course.

Alors que Deliveroo a fait appel de ce jugement, selon Me Kevin Mention, l’avocat de la partie civile, un « deuxième volet pénal est en cours pour la période 2018-2022 ».

Le redressement consécutif par l’URSSAF au titre des arriérés de cotisations

Dans le prolongement des peines prononcées par le Tribunal correctionnel de Paris, Deliveroo a été condamnée par le Tribunal Judicaire de Paris le 1er septembre 2022 à verser une indemnité d’un montant de 9,67 millions d'euros à l'URSSAF correspondant aux cotisations sociales évitées en employant des livreurs sous le statut d’indépendant.

Plus précisément cette indemnisation inclut 6.431.276 euros au titre des cotisations et contributions sociales, 2.489.570 euros au titre des majorations de redressement complémentaire et 756.033 euros au titre des majorations de retard provisoires.

En effet, suite à la condamnation pénale de Deliveroo le 19 avril 2022, l’URSSAF avait mis en redressement celle-ci au titre des arriérés de cotisations sociales non perçues, assorties de majorations de retard.

Deliveroo qui contestait ce redressement devant le Tribunal judiciaire de Paris, a indiqué qu’elle allait faire appel de ce jugement.

La condamnation de Deliveroo par le Conseil des Prud’hommes pour des faits postérieurs

Le 3 juin 2022, Deliveroo a été condamnée une nouvelle fois pour travail dissimulé, cette fois-ci par le Conseil des Prud’hommes. En effet, les prestations réalisées par quatre anciens livreurs de la plateforme ont été requalifiées en contrat de travail.

Aussi, Deliveroo devra verser au total près de 240.000 euros, dont la somme record de 128.548 euros à un ancien livreur employé entre février 2016 et avril 2019.

Il convient de relever que ce jugement concerne pour la première fois des faits commis après 2017, c’est-à-dire après la période pour laquelle Deliveroo a été condamnée par le Tribunal correctionnel de Paris le 19 avril 2022.

La plateforme a déjà indiqué qu’elle allait également faire appel de ce jugement devant la Cour d’appel de Paris.

En tant qu’opérateur de plateforme en ligne, vous devez ainsi tenir compte des obligations sociales applicables et de la récente jurisprudence en la matière.

Il est ainsi indispensable de procéder à un cadrage préalable des relations entre chacun des protagonistes de votre plateforme pour déterminer en amont les responsabilités applicables et le régime juridique associé.

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[1]Travailleur indépendant via une entreprise individuelle (EI, EIRL, autoentrepreneur) ou une entreprise unipersonnelle (EURL, SASU), ils disposent à ce titre des conditions de travail et d’une couverture sociale nettement moins favorables que celles des salariés.

[2] (Cass. soc., 13 novembre 1996) ;

[3] Article L8224-2 du Code du travail et 131-38 du code pénal.

[4] Cass. Crim, 14 février 2006, n°05-82.287

Rachel Ruimy

Auteur Rachel Ruimy

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