Par Gérard Haas, Rachel Ruimy et Théophile Tsimaratos
Dans le cadre de l’ubérisation de notre société, le nombre de personnes qui travaillent par l’intermédiaire des plateformes est évalué à plus de 28 millions et elles seraient 43 millions en 2025.
Dans ce contexte, l’ordonnance du 6 avril 2022 complète l’encadrement du régime social des travailleurs indépendants des plateformes numériques à savoir l’ordonnance prise sur le fondement de l'article 2 de la loi n° 2022-139 du 7 février 2022 ratifiant l'ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d'exercice de cette représentation et portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes. Plus précisément, ce nouveau texte s’inscrit dans le cadre des réformes entreprises pour mieux accompagner le développement de l’activité des plateformes de la mobilité, notamment par l’établissement d’un dialogue social structuré entre les représentants des plateformes et les travailleurs indépendants qui y recourent.
Revenons ensemble sur les enjeux du statut de travailleurs indépendants pour les plateformes numériques.
Les travailleurs référencés sur les plateformes : Indépendants ou salariés ?
Les travailleurs des plateformes numériques sont omniprésents dans le paysage urbain. Qu’il s’agisse de livrer des repas ou de transporter des personnes, le recours à ces services est très répandu. Cependant, ces travailleurs ne sont généralement pas des salariés, mais des auto-entrepreneurs qui appartiennent au régime des indépendants.
A ce titre, eu égard à leurs conditions de travail, ces travailleurs remettent désormais régulièrement en question leur réel statut d’indépendant qui se rapprocherait davantage du régime du salariat.
Dans un premier temps, dans deux arrêts « Take Eat Easy »[1] et « Uber »[2] la Cour de cassation a considéré qu’au regard des faits, et notamment du pouvoir de direction, du système de géolocalisation et du pouvoir de sanction exercés par les opérateurs de plateformes, la prestation pouvait être requalifiée en contrat de travail.
Ces arrêts contredisent toutefois l’esprit même de ce modèle économique et de l’uberisation, défini comme un processus économique qui contourne les secteurs classiques de l’économie en se fondant sur les nouvelles technologies ainsi que sur des travailleurs indépendants.
Il est rappelé que l’enjeu telle action est important dans la mesure où, en cas d’existence d’un lien de subordination et de requalification du contrat conclu avec un professionnel indépendant référencé en contrat de travail, l’opérateur pourrait se voir contraint de lui verser d’importantes indemnités et pourrait faire l’objet d’un redressement de l’administration chargée de collecter les cotisations et contributions sociales (URSSAF).
Pour les plateformes numériques, ces décisions ont eu un fort impact dans le cadre des relations avec les travailleurs référencés.
Ainsi, selon les modalités convenues entre les travailleurs et les opérateurs de plateformes en ligne, le contrat pourrait être qualifié soit de contrat de prestation de services, soit de contrat de travail.
Le renforcement des obligations des plateformes
La requalification de la prestation en contrat de travail repose sur l’appréciation souveraine des juges du fond, ces derniers raisonnant par la méthode du faisceau d’indices.
Dans ce contexte, le Gouvernement opère quant à lui une mise en balance des intérêts des parties en présence et a ainsi introduit le dialogue social.
Ainsi, les obligations pesant sur les opérateurs de plateforme en ligne ont été renforcées afin de mettre en exergue la réelle autonomie du travailleur.
L’opérateur de plateforme en ligne devra désormais impérativement communiquer aux travailleurs référencés sur sa plateforme, en application de l’article 1326-2 du Code des Transports , les informations suivantes :
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La distance parcourue lors de l’exercice de la mission
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Le prix minimal dont ils pourront bénéficier
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La possibilité d’accepter ou de refuser la mission
Ces premières informations permettent aux travailleurs référencés de choisir la mission de manière parfaitement éclairée, en fonction de leurs intérêts et besoins.
Afin d’augmenter l’autonomie des travailleurs indépendants, en sus de la possibilité de choisir leurs horaires de travail, les principes suivants sont désormais applicables, conformément à l’article L1326-4 du Code des Transports :
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L’impossibilité pour la plateforme d’imposer aux travailleurs référencés l’utilisation d’un matériel ou d’un équipement déterminé, sauf obligations légales et réglementaires en matière notamment de santé, de sécurité et de préservation de l’environnement ;
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La possibilité pour les travailleurs de pouvoir recourir simultanément à plusieurs plateformes
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La possibilité pour les travailleurs de commercialiser ou réaliser les services de transport exécutés, directement, sans intermédiaire
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La possibilité pour les travailleurs de déterminer librement leur itinéraire au regard notamment des conditions de circulation, de l’itinéraire proposé par la plateforme et le cas échéant du choix du client.
Il est par ailleurs expressément précisé que l’exercice de ces nouveaux droits susmentionnés ne peut sauf abus, engager la responsabilité contractuelle des travailleurs, constituer un motif de suspension ou de rupture de leurs relations avec les plateformes, ni justifier de mesures les pénalisant dans l’exercice de leur activité, étant précisé que toute stipulation contraire est réputée non écrite.
En tant qu’opérateur de plateforme de ligne, soyez donc vigilant quant aux dispositions prévues au sein des contrats conclus avec les travailleurs indépendants référencés.La représentation des plateformes faisant appel à des travailleurs indépendants
L’ordonnance du 6 avril 2022 vient également modifier les dispositions des articles L.7343-21 du Code du travail dédiées à la représentation des plateformes faisant appel à des travailleurs indépendants.
Les nouvelles dispositions détaillent notamment les formes juridiques que peuvent revêtir les organisations qui pourraient représenter les entreprises de plateformes (syndicats professionnels et leurs unions, associations) et apporter des précisions quant aux critères établissant la représentativité desdites organisations professionnelles.
Il est par ailleurs précisé que l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE) aura vocation à favoriser la médiation en pouvant être saisie soit par la plateforme, soit le représentant des travailleurs.
Ces questions structurantes pour les plateformes numériques sont en perpétuelle évolution : en témoignent par exemple les propositions de la Commission européenne pour améliorer les conditions de travail des personne travaillant via une plateforme de travail numérique et la proposition de directive associée. Affaire à suivre !
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[1] Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 28 novembre 2018, 17-20.079
[2] Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 4 mars 2020, 19-13.316