Par Jean Philippe Souyris et Sara Bakli
Après la vidéosurveillance, les caméras augmentées ou intelligentes se développent dans les espaces publics.
Il semble désormais probable que des éléments de surveillance similaires à ceux dont l’existence avait été prédite par l’auteur l’œuvre dystopique « 1984 » deviennent réalité. C’est en tout cas ce qui inquiète la CNIL, qui a récemment publié une position sur les caméras augmentées.
Sans interdire totalement l’utilisation de ces dispositifs, la CNIL fixe un cadre et des « lignes rouges » à ne pas franchir pour apporter de la sécurité juridique aux acteurs du secteur.
En effet, comme le souligne la CNIL, l’utilisation des caméras intelligentes comporte des risques pour les droits et libertés des personnes, en particulier pour la protection des données à caractère personnel.
Ces risques existaient déjà avec la vidéosurveillance, souvent considérée comme légitime au regard des objectifs de sécurité des biens et personnes visées dans les circonstances détaillées par la CNIL au sein de trois fiches pratiques. :
- La vidéosurveillance sur le lieu de travail limitée par le droit au respect de la vie privée des salariés ;
- La vidéosurveillance dans les commerces limitée par le droit à la protection de la vie privée des clients ;
- La vidéosurveillance dans les établissements scolaires limitée par le droit au respect de la vie privée des élèves et enseignants;
- La « vidéoprotection » sur la voie publique, dont l’usage est réservé aux autorités publiques…
La vidéosurveillance augmentée amène, avec les progrès dans la captation d’image et l’analyse des images grâce à l’intelligence artificielle, des risques nouveaux pour les droits et libertés des personnes (consultez sur ce point notre précédente analyse).
Un encadrement légal des caméras "augmentées" à ce jour insuffisant
A la différence des simples dispositifs de vidéosurveillance, les caméras augmentées sont constituées de dispositifs de captation vidéo couplés à des logiciels de traitement automatisés d’images.
Il est donc désormais possible non seulement de filmer les personnes, mais également de déduire par une analyse des images certaines données personnelles les concernant.
L'utilisation des caméras "augmentées" pourrait aboutir à du profilage
Outre les risques qu’entraînerait une généralisation non maitrisée de ces dispositifs, notamment de « surveillance généralisée dans l’espace public »[1], l’utilisation de ces procédés pourrait aboutir à du profilage (par exemple, pour la prédiction d’un comportement de piéton sur la voirie, en fonction de son attitude, voire de sa situation particulière de handicap…).
Le profilage, défini à l’article 4.4 du RGPD, est constitué en présence d’un traitement automatisé de données personnelles pour évaluer certains aspects personnels d’un individu, en vue d’analyser et de prédire son comportement (performance au travail, situation financière, habitudes de vie…).
Or, aucune prise de décision individuelle automatisée concernant un particulier ne peut en principe avoir lieu sur la base du profilage, selon l’article 22 du RGPD.
Afin de pouvoir mettre en place de tels traitements, la CNIL souligne qu’il est nécessaire d’adapter le cadre légal en permettant de déroger à l’interdiction du profilage, les dispositions actuelles [2]ne prévoyant pas l’utilisation de caméras augmentées dans ce contexte, (pour la sécurisation automatique d’une place publique en cas de détection d’un comportement à risque, par exemple…).
L'usage des caméras "augmentées" non autorisés par la loi française
La CNIL estime à ce jour qu’aucune loi française ne permet l’usage par la puissance publique, des caméras augmentées pour la détection et la poursuite d’infractions.
Seule l’utilisation de la vidéosurveillance « simple » sur la voie publique est encadrée par des textes spécifiques et soumis à une autorisation du préfet.
C’est en substance l’article L.251-2 du Code la sécurité intérieure qui fixe un cadre à la pose de caméras de vidéosurveillance sur la voie publique par les autorités publiques.
Celle-ci peut avoir lieu, de manière non limitative, aux fins d’assurer la protection des bâtiments et installations publics, la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans les lieux « particulièrement exposés à des risques d’agression, de vol ou de trafic de stupéfiants […] »[3].
Des caméras peuvent être installées sur la voie publique pour prévenir des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés à des risques d’agression, de vol ou de trafic de stupéfiants, des actes de terrorisme.
La CNIL ne semble pour le moment pas favorable à l’extension de ces dispositions à l’utilisation de caméras de vidéosurveillance intelligente.
Quels sont les usages admissibles des caméras "augmentées" dans les espaces publics ?
La CNIL a relevé que certains usages des caméras « augmentées » peuvent paraître légitimes, au nombre desquels :
- Les dispositifs de comptage des piétons, voitures et cyclistes sur la voie publique afin de l’aménager ;
- L’adaptation des capacités de transports en commun selon leur fréquentation ;
- L’analyse de la fréquentation et de l’occupation d’un bâtiment pour en adapter la consommation énergétique…
L'encadrement de ces usages par les pouvoirs publics
En revanche, ces usages nécessitent, pour être licites, une autorisation des pouvoirs publics, dans la mesure où les droits des personnes, en particulier le droit d’opposition[4], ne peut pas être exercé dans ce contexte.
En outre, le droit à l’information nécessite la fourniture d’une information claire, spécifique et explicite à chaque personne concernée par la captation de son image et à plus forte raison, pour l’analyse de son comportement.
L’usage des caméras augmentées dans les espaces publics aurait toutefois pour objectif de permettre aux services de police et de gendarmerie de détecter des comportements « suspects », laissant présumer une infraction passée ou imminente.
Les limites de l'usage des caméras "augmentées"
Leur usage devra nécessairement être autorisé par une loi spécifique qui en fixerait les limites, au regard notamment des droits fondamentaux des individus qui doivent pouvoir s’exercer pleinement[5].
Ces déclarations faites, la CNIL renvoie donc la balle dans le camp du législateur qui devra trancher un certain nombre de points soulevés afin de concilier caméras intelligentes et protection de la vie privée… « Actus dicitur bonus qui est conformis legi et rationi »[6].
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[1] Relevé par la CNIL.
[2] Autorisées par le point 3 de l’article 22.
[3] Selon les points 1° et 5° de l’article L.251-2 du Code de la sécurité intérieure précité.
[4] Par définition placé dans l’espace public, il serait en effet difficile de s’opposer au fait d’être filmé, dans l’immédiat.
[5] « Une loi spécifique qui, à l’issue d’un débat démocratique, fixerait des cas d’usages précis avec des garanties au bénéfice des personnes » relève la CNIL.
[6] Adage latin signifiant « Un acte est dit bon lorsqu’il est conforme à la loi et à la raison ».