Big Tech : Une meilleure régulation pour moins de sanction

Big Tech : Une meilleure régulation pour moins de sanction
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Par Eve Renaud-Chouraqui

Les appels à la régulation ex ante des Big Tech (aussi appelés GAFAM[1]) se multiplient.

C’est d’ailleurs un axe préconisé par le Digital Services Act, paquet législatif en cours de finalisation par la Commission européenne et qui devrait être publié d’ici à la fin de l’année.

Mais qu’entend-on par régulation économique ? Quels sont les enjeux associés ? En quoi la régulation ex ante apporterait quelque chose à la situation actuelle ?

Cet article est l’occasion de faire le point sur cette notion.

1. Régulation économique : de quoi parle-t-on ?

La régulation économique sectorielle est un processus connu en France, notamment dans le cadre de l’ouverture à la concurrence de secteurs sous monopole public, tels que le transport, l’énergie ou encore les télécommunications.

La régulation économique sectorielle a d’autres applications que celles connues dans le cadre de monopoles publics historiques.

L’intervention d’un régulateur peut permettre de gérer des marchés « en défaillance », c’est-à-dire des marchés laissés à eux –même (sur la base de l’auto-régulation) et dont il est constaté que la concurrence est empêchée.

C’est le cas lorsqu’ils existent d’importantes barrières à l’entrée, un monopôle, une concentration factuelle de grands acteurs ou une importante asymétrie dans l’information de nature à empêcher les autorités de contrôle d’accéder à l’information permettant de caractériser (ou d’exclure) une atteinte à la concurrence.

La régulation économique est pertinente lorsque le marché n’a pas achevé sa mutation et est encore en évolution. Dans le cas contraire, les autorités de la concurrence parviennent sur la base de leurs connaissances du marché à appréhender les comportements anti-concurrentiels et partant à réaliser une régulation a posteriori.

La régulation sectorielle est alors confiée à une autorité administrative indépendante (AAI) ou une autorité publique indépendante (API), avec un périmètre d’intervention plus ou moins large, dotée de pouvoirs de réglementation, d’autorisation individuelle, de contrôle, d’injonction et de sanction.

Son rôle est d’organiser le marché a priori, à la différence des autorités de concurrence qui détectent et sanctionnent les comportements anticoncurrentiels a posteriori.

2. Régulation économique et plateformes numériques structurantes

Le marché (ou les marchés) sur lequel intervient les plateformes numériques structurantes est un marché défaillant, caractérisé par :

  • des effets de réseaux ;
  • des barrières à l’entrée ;
  • une concentration naturelle des plateformes dominantes ;
  • une forte asymétrie de l’information, du fait de l’opacité entourant les modalités de la collecte massive de données et leur utilisation par les algorithmes.

Par ailleurs, le marché est encore non stabilisé et susceptible de muter rapidement, eu égard à la puissance économique et technologique des plateformes numériques structurantes.

Enfin, le contrôle a posteriori exercé par les autorités de concurrence se heurte à d’importantes difficultés liées à la structuration et à la connaissance du marché, empêchant une action efficiente des actions et des sanctions mises en œuvre.

C’est la raison pour laquelle la mise en place d’une régulation sectorielle ex ante est appelée par une majorité des parties prenantes.

Un rapport du Conseil d’Analyse Economique (CAE)[2] d’octobre 2020 fournit des développements intéressants sur la pertinence d’une régulation ex ante des plateformes numériques structurantes.

Premier constat : le démantèlement appelé par de nombreux observateurs et parties prenantes ne devrait être envisagé que comme une solution de dernier recours, pour remédier à des abus de position dominante avérés.

Le démantèlement est une procédure complexe aux effets incertains. Il consiste à contraindre les plateformes soit :

  • comptablement, en les forçant à séparer leurs activités dans les comptes réglementaires ;
  • fonctionnellement, en les forçant à une séparation des fonctions, des données collectées, des employés, de l’information, de la stratégie ;
  • juridiquement, en les forçant à séparer les produits et services au sein de filiales dédiées.

Selon le CAE, de telles mesures doivent mettre en balance la perte d’efficacité liée au découpage (tirée de la perte de certaines données, de la réduction des économies d’envergure liées à la production par un seul acteur d’un ensemble de services, d’une éventuelle diminution des incitations à innover) et le gain concurrentiel attendu qui n’est pas certain. Il prend pour exemple le démantèlement de l’opérateur de communication AT&T (intervenu aux Etats-Unis en 1982) qui, s’il a stimulé la concurrence, a conduit à un ralentissement de l’innovation[3].

Second constat : imposer une régulation générale ex ante n’aurait pas de sens. La régulation devrait être centrée sur le contrôle des technologies de collecte et d’usage des données utilisateurs.

Le CAE constate que les quantités massives de données en la possession des Big Tech constituent, à tout le moins, un actif indispensable pour les nouveaux entrants sur le marché afin :

  • d’améliorer le fonctionnement des services par le biais du « machine learning » ;
  • de se procurer des revenus par le biais de la publicité (les modèles étant pour la plupart gratuits).

Selon le CAE, l’objectif de la mission de régulation sur les données consisterait à « surveiller la façon dont les données sont collectées et rendues accessibles aux tiers », via une « mission de veille sur les technologies mises en œuvre par les plateformes structurantes ».

A titre d’exemple, il est proposé que le régulateur :

  • demande aux plateformes numériques structurantes de « signaler tout changement dans la technologie relative à la collecte des données »;
  • procède à des « études d’impact des conséquences concurrentielles de ce changement ».

Enfin, les éventuels changements technologiques pourraient être soumis à une « phase d’expérimentation accompagnée du recueil de données nécessaires à leur évaluation » avant d’être autorisés, avec ou sans réserve, ou interdits.

Qui exercerait cette mission de régulation ? Selon le CAE, différentes options sont ouvertes :

  • les autorités de la concurrence qui, compte-tenu de leurs missions, seraient bien placées pour ce rôle nouveau ;
  • un régulateur européen doté de pouvoir de sanction.

Le CAE semble privilégier la première option au regard du fait que les autorités de la concurrence disposent de l’expertise liée au pouvoir de marché détenu par les plateformes numériques structurantes, expertise indispensable à l’analyse des technologies de collecte de données et de leur usage.

Cette contribution au débat public sur la régulation ex ante des plateformes numériques structurantes est intéressante et permet d’affiner plus encore l’analyse à mener sur ces questions.

Dans ce cadre, le Digital Services Act est attendu avec impatience.

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[1] Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.

[2] Le CAE est une instance pluraliste placée auprès du Premier ministre, dont la mission consiste à réaliser des analyses économiques pour le gouvernement et d’examiner les questions qui lui sont soumises par le Premier ministre et par le ministre chargé de l’économie.

[3] Raison pour laquelle le législateur américain serait revenu en arrière sur le démantèlement en 1996.

Eve Renaud-Chouraqui

Auteur Eve Renaud-Chouraqui

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