Par Claire Benassar
Coup de sifflet final dans l’affaire Taittinger !
Dans un arrêt du 22 juin 2022[1], la chambre commerciale de la Cour de cassation est venue confirmer l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 3 mars 2020[2], en rappelant que la renommée d’une marque ne saurait faire obstacle à l’usage du signe en tant que nom patronymique.
Pour mémoire, Virginie Taittinger, ancienne salariée et associée de la Maison de champagne Taittinger, avait quitté le groupe et lancé sa production de champagne sous sa marque « Virginie T », utilisant par ailleurs son nom patronymique dans le cadre de la communication de ses produits. Si la Maison Taittinger avait considéré que cette utilisation du patronyme portait atteinte à sa marque renommée homonyme, la Cour de cassation avait estimé que Virginie Taittinger pouvait légitimement faire usage de son nom, et ce même pour la production et la vente de Champagne. Aussi avait-elle renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Paris.
La dernière décision en date de la Cour de cassation est ainsi l’occasion de rappeler que, si la marque de renommée jouit d’une importante protection, presque absolue, elle pourra se heurter à la primauté de la protection du patronyme sur la protection des marques.
La reconnaissance de la renommée d’une marque
Les conditions pour qu’une marque soit considérée comme renommée n’ont pas été définies par les textes.
C’est ainsi la jurisprudence qui est venue préciser les contours de la marque renommée, définissant celle-ci comme une marque connue d’une partie significative du public concerné par les produits et services couverts par cette marque[3].
L’appréciation de la renommée d’une marque relève du pouvoir souverain des juges du fond qui, seuls, apprécieront la pertinence d’un ensemble d’éléments de preuves produits par celui qui se prévaut de la renommée tels que[4] :
- La part de marché détenue par la marque,
- L’intensité de son exploitation,
- Son étendue géographique[5] et la durée de son usage,
- L’importance des investissements réalisés par son titulaire pour la promouvoir.
La réglementation ne contient toutefois aucune mention directe du type de preuve le plus approprié pour démontrer la renommée d’une marque. L’opposant peut recourir à tous les moyens de preuve de l’article 78, paragraphe 1, du Règlement sur la marque de l’Union européenne[6], dès lors qu’ils permettent de démontrer que la marque possède effectivement la renommée requise.
La caractérisation d’une atteinte à la marque renommée
L’article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle, qui doit être interprété à la lumière de l’article 5, 2 de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 et de la jurisprudence de la CJUE, prévoit que la reproduction ou l’imitation d’une marque renommée pour des produits ou services même non similaires à ceux désignés dans l’enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de cette dernière.
La protection de la marque renommée
Le régime de protection s’applique donc aussi bien pour des produits ou des services non similaires que pour des produits ou des services identiques ou similaires, le risque de confusion étant par ailleurs indifférent dans l’appréciation de l’atteinte à la marque renommée[7].
C’est en application de ces principes que la cour d’appel de Paris a fondé son analyse de l’atteinte à la marque renommée dans une importante décision du 25 avril 2017[8], particulièrement motivée sur l’appréciation de l’atteinte à la marque renommée.
La cour rappelle que, outre la renommée de la marque, l’identité ou à tout le moins la similitude entre les signes et la démonstration de l’existence d’un lien entre les signes, il convient d’établir l’existence d’une atteinte à cette marque, cette atteinte ne pouvant être ni hypothétique ni éventuelle[9].
L'appréciation de l'atteinte d'une marque renommée
Pour la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), l’atteinte à la marque renommée doit être appréciée globalement au vu de tous les éléments du cas d’espèce, mais en tenant compte de facteurs pertinents, à savoir notamment :
- Le degré de similitude entre les signes adverses ;
- La nature et le degré de proximité ou de dissemblance des produits ou services en cause ;
- L’intensité de la renommée de la marque ;
- Le degré de caractère distinctif de la marque renommée.
L’on retient que quatre types d’usages peuvent porter atteinte à la marque renommée : l’usage qui porte préjudice au caractère distinctif de la marque (ou dilution), l’usage qui porte préjudice à sa renommée (ou ternissement), l’usage qui tire indument profit de son caractère distinctif et l’usage qui tire indûment profit de sa renommée (tous deux rassemblés sous le terme unique de parasitisme).
Il suffit pour le titulaire de la marque renommée de parvenir à apporter la preuve de l’un de ces usages pour caractériser l’atteinte.
La potentielle fragilité des marques renommées face à la protection du nom patronymique
L’affaire Taittinger permet de rappeler que la protection de la marque renommée n’est pas absolue et ne permet pas à son titulaire de contester toute marque qu’il estimerait attentatoire à son droit de propriété intellectuelle.
Les limites de la protection de des marques renommées
La renommée d’une marque ne saurait effectivement faire arbitrairement obstacle à l’usage du signe en tant que nom patronymique.
Dans cette affaire, les juges ont effectivement débouté la Maison Taittinger, estimant que Virginie Taittinger pouvait se prévaloir de justes motifs d’exploitation, tels que l’absence de mauvaise foi, l’usage du signe Taittinger ayant par ailleurs été fait conformément aux « usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale ».
Aussi, la Cour de cassation retient que le nom patronymique « n’est utilisé qu’à titre de nom de famille ou pour souligner, à travers le rappel de l’histoire familiale et de son parcours professionnel, l’expérience et le savoir-faire acquis par [Madame Taittinger] en matière de champagne ».
La protection du nom patronymique peut primer sur la protection des marques
Aucun usage commercial du nom patronymique litigieux n’a ainsi pu porter préjudice au caractère ou à la renommée de la marque Taittinger, ou tirer profit de son caractère distinctif ou de sa renommée.
Cette solution vient consacrer une tendance jurisprudentielle visant à faire primer la protection du nom patronymique sur la protection des marques, quand bien même elles seraient renommées.
Il n’en demeure pas moins que l’appréciation de l’usage honnête et de bonne foi du nom patronymique relève de la casuistique, cette appréciation ne pouvant à ce titre n’être que fluctuante, excluant toute possibilité de justice prédictive en la matière.
****
Le cabinet HAAS Avocats est spécialisé depuis plus de vingt ans en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle. Il accompagne de nombreux acteurs dans le cadre de la gestion de leurs portefeuilles de marques et gère notamment les contentieux judiciaires et extrajudiciaires en matière de marques. Pour en savoir plus, contactez-nous ici
[1] Cass., Com, 22 juin 2022, n°20-19.025
[2] CA Paris, Pôle 5, chambre 1, 3 mars 2020, n°18/28501
[3] CJCE, 14 septembre 1999, C-375/97, General Motors ; CA Paris, 4ème b, 18 mai 2001, Chaumet
[4] La liste de ces facteurs n’est fournie qu’à titre indicatif par la Cour, laquelle a souligné que tous les éléments pertinents de la cause devaient être pris en considération pour apprécier la renommée de la marque antérieure (CJCE, 14 septembre 1999, C-375/97, General Motors, §27
[5] S’agissant des marques de l’Union européenne de renommée, la CJCE a indiqué que la marque être connue « dans une partie substantielle du territoire de l’Union », la partie substantielle du territoire de l’Union pouvant coïncider avec le territoire d’un seul Etat membre (CJUE, 3 septembre 2015, aff. C-125/14, Iron & Smith c. Unilever).
[6] Règlement 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne
[7] Cass. com., 12 avril 2016, n°14-29.414, Sté Maisons du Monde c/ Sté Gifi Mag
[8] CA Paris, Pôle 5e ch. 1, 25 avril 2017, n°104/2017
[9] Le titulaire de la marque renommée doit rapporter l’existence d’un risque sérieux de réalisation de l’atteinte dans le futur (CJUE, 27 novembre 2008, C‑252/07)