Peut-on obtenir la déchéance d'une marque pour défaut d'usage sérieux ?

Peut-on obtenir la déchéance d'une marque pour défaut d'usage sérieux ?
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Par Claire Benassar

Le Tribunal de l’Union européenne[1] a rejeté le recours d’Apple contre Swatch, confirmant ainsi la décision du tribunal administratif fédéral Suisse rendue en 2019.

Pour mémoire, le géant américain avait poursuivi Swatch en avril 2017, au motif que l’horloger suisse faisait usage du slogan « Tick Different » pour faire la promotion de ses montres Bellamy, formulation considérée comme trop proche du « Think Different » d’Apple.

En réplique, Swatch avait déposé plusieurs demandes en déchéance des marques d’Apple, profitant de l’absence de renouvellement de ses marques européennes par l'entreprise américaine depuis 2005. 

Nonobstant le lien manifeste entre le slogan « Think Different » et Apple, reconnu par le Tribunal, ce dernier a débouté l’entreprise californienne et confirmé les décisions de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (« EUIPO ») ayant conclu à la déchéance du signe verbal « Think Different ».

L’occasion de revenir sur la procédure en déchéance et de rappeler l’intérêt d’exploiter ses marques de façon sérieuse.

Le défaut d’usage sérieux d’une marque sanctionné au titre de la déchéance

Le dépôt d’une marque a pour objet de conférer un monopole d’exploitation à son titulaire.

Néanmoins, pour être valable, la marque doit nécessairement répondre à certaines conditions qui, si elles ne sont pas réunies, pourront mener à la déchéance de la marque.

Le principe de déchéance d'une marque 

En effet, comme il a récemment été rappelé par le Tribunal de l’Union dans un arrêt du 6 juillet 2022[2], le principe selon lequel une marque doit faire l’objet d’un usage sérieux pour être protégée au titre du droit de l’Union « réside dans le fait que le registre de l’EUIPO ne saurait être assimilé à un dépôt stratégique et statique conférant à un détenteur inactif un monopole légal d’une durée indéterminée ».

A l’inverse, le Tribunal considérant que ce registre devrait « refléter fidèlement les indications que les entreprises utilisent effectivement sur le marché pour distinguer leurs produits et services dans la vie économique », il souligne ainsi tout l’intérêt des procédures en nullité et en déchéance de marque.

La déchéance de la marque d'Apple " Think Different "

A cet égard, différents fondements peuvent être invoqués à l’appui d’une demande en déchéance, et notamment :

  • La dégénérescence de la marque ;
  • Le caractère devenu trompeur de la marque ;
  • Le défaut d’exploitation de la marque pour les produits et services visés dans son dépôt pendant une durée ininterrompue de 5 ans.

Sur ce dernier point, l’article L.714-5 du code de la propriété intellectuelle prévoit en effet qu’ « Encourt la déchéance de ses droits le titulaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux, pour les produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, pendant une période ininterrompue de cinq ans »[3]. 

C’est précisément ce fondement que l’horloger suisse a invoqué en vue d’obtenir la déchéance du signe « Think Different ».

L’indispensable preuve d’un usage garantissant l’identité d’origine des produits ou services

L’affaire Swatch c. Apple a été l’occasion pour le Tribunal de l’Union européenne de rappeler que dans le cadre d’une procédure de déchéance de marque, c’est à son titulaire qu’il incombe d’établir l’usage sérieux de sa marque, étant entendu qu’il ne saurait être démontré par des probabilités ou des présomptions[4].

La preuve de l'usage sérieux d'une marque

Selon une jurisprudence constante, il est considéré qu’une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée conformément à sa fonction essentielle, qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et ces services, à l’exclusion d’usages à caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque[5].

L’appréciation de ce caractère sérieux doit nécessairement reposer sur l’ensemble des faits et circonstances propres à établir la réalité de l’exploitation commerciale, et particulièrement la nature des produits et les caractéristiques du marché.

La déchéance d'une marque pour défaut d'usage sérieux

A défaut pour le titulaire d’exploiter réellement sa marque et d’en apporter la preuve par des éléments concrets et objectifs, toute personne pourra ainsi en demander la déchéance, dépossédant alors le titulaire de toute protection sur son signe, faisant de la procédure en déchéance une véritable contre-offensive pour toute personne poursuivie en contrefaçon de marque.

Aussi, faute pour Apple de produire des éléments de preuve pertinents permettant de justifier « l’usage sérieux de ces marques pour les produits concernés au cours des cinq années précédant le 14 octobre 2016 », le Tribunal a rejeté dans leur intégralité les recours introduits par la société, perdant de facto l’ensemble de ses droits de marque sur son signe « Think Different ».

***

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[1] Arrêt Apple c. EUIPO – Swatch (THINK DIFFERENT), aff. jointes T-26/21, T-27/21 et T-28/21

[2] Tribunal de l’Union européenne, 6 juillet 2022, T-478/21

[3] A cet égard, l’article 58 1.a) du Règlement 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne précise que « Le titulaire de la marque de l'Union européenne est déclaré déchu de ses droits, sur demande présentée auprès de l'Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n'a pas fait l'objet d'un usage sérieux dans l'Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, et qu'il n'existe pas de justes motifs pour le non-usage (…) »

[4] Tribunal de l’Union européenne, 12 décembre 2002, Kabushiki Kaisha Fernandes/OHMI – Harrison, T‑39/01

[5] CJUE, 3 juillet 2019, Viridis Pharmaceutical/EUIPO, C‑668/17

Claire Benassar

Auteur Claire Benassar

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