Par Gael Mahe et Jessica Moraly
Fortement attendu en raison de l’impulsion générée par l’arrêt Kanavape du 19 novembre 2020[1] de la Cour de Justice de l’Union Européenne, l’arrêté ministériel du 30 décembre 2021[2], a eu un effet tonitruant auprès des acteurs du secteur en interdisant purement et simplement “la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes [de chanvre] sous toutes leurs formes, seules ou en mélange avec d’autres ingrédients, leur détention par les consommateurs et leur consommation” et abrogeant du même coup l’arrêté du 22 août 1990[3]. Cette stupeur fut cependant de courte durée car, le 24 janvier dernier, le Conseil d’Etat est venu suspendre l’arrêté en question.
Devant cet imbroglio juridique, il est donc intéressant de s’interroger sur la possibilité de commercialiser ou non des fleurs de CBD en France.
Pourquoi le Conseil d’Etat a-t-il suspendu l'interdiction de la vente de fleurs ou de feuilles brutes de CBD ?
Le juge des référés du Conseil d’Etat a estimé que l’interdiction posée par l’arrêté du 30 décembre 2021 (alinéa du II de l'article 1er de l'arrêté du 30 décembre 2021) est trop générale et absolue, de sorte qu’elle apparaît disproportionnée, ce qui crée “un doute sérieux quant à sa légalité”[4].
Le Conseil d’Etat souligne en effet dans son communiqué[5] qu’il apparaît que :
- Les fleurs et feuilles de cannabis sativa dont la teneur en THC est inférieure à 0,3% ne présenteraient pas un degré de nocivité pour la santé justifiant une mesure d’interdiction totale et absolue.
- L’impossibilité de contrôler la teneur en THC pour les fleurs et les feuilles n’est pas démontrée (alors même que des moyens de contrôle sont détaillés, pour l’ensemble de la plante, à l’annexe de l’arrêté)”.
La suspension de la disposition concernant la vente de fleurs/feuilles de CBD de l’arrêté du 30 décembre 2021 est-elle définitive ?
La décision du Conseil d’Etat ayant été prise en référé, ceci implique que cette décision de suspension n’est que provisoire. En effet, dans les prochains mois devrait intervenir une décision au fond du Conseil d’Etat portant plus précisément sur la légalité même de l’arrêté du 30 décembre 2021.
L'attente de la décision au fond du Conseil d'Etat
Le juge des référés du Conseil d’Etat est en effet intervenu à titre provisoire à la suite de sa saisine par l’Union des professionnels du CBD et d’autres commerçants du secteur qui demandaient une suspension d’exécution de l’arrêté du 30 décembre 2021 dans l’attente d’une décision au fond concernant la légalité de cet arrêté.
Ils justifient le caractère urgent et nécessaire de la saisine du juge des référés, par le fait notamment que cet arrêté met fin à l’intégralité de leur activité de commerce en ligne et les oblige à détruire leurs stocks afin d’éviter des poursuites pénales.
Un impact certain pour la filière CBD
Il est en effet, compréhensible que la portée large de l’arrêté du 30 décembre 2021, impacte une grande gamme de produits commercialisés par les commerçants et grossistes, portant un grand coup au secteur pourtant florissant.
Il conviendra donc d'attendre la décision au fond du Conseil d’Etat pour être fixé sur le sort définitif de cet arrêté du 30 décembre 2021 puisque, comme l’ordonne le juge des référés du Conseil d’Etat dans l’article 2 de sa décision, “l’exécution des dispositions du premier alinéa du II de l’article 1er de l’arrêté du 30 décembre 2021 est suspendue jusqu’à ce que le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, ait statué sur leur légalité”.
Commerçants, quels sont les produits CBD que vous pouvez actuellement proposer à la vente en France ?
Les professionnels du secteur ont donc pour l’instant gagné un peu de répit quant à l’exercice de leur activité mais leur projection sur le long terme s’en trouve grandement impactée. Il semblerait, en effet, que la poursuite de leur activité soit suspendue à la décision sur le fond du Conseil d’Etat concernant l’arrêté du 30 décembre 2021.
Une jurisprudence à tendance clémente sur le CBD
En tout état de cause il serait possible, en analysant la jurisprudence de la Cour de cassation, d’anticiper la décision du Conseil d’Etat. La plus haute instance de l’ordre judiciaire fait preuve d’une certaine clémence dans ses arrêts récents en la matière, ce qui laisse présager de bonnes nouvelles pour l’avenir des commerçants proposant des fleurs et autres produits contenant du CBD.
Dans un arrêt rendu le 19 janvier 2022[6], la Chambre Criminelle censure l’arrêt d’appel qui condamnait un prévenu en possession de fleurs de CBD. Pour les juges du fond, celui-ci ne parvenait pas à démontrer que les fleurs de chanvre respectaient le taux légal de THC.
La Cour de cassation propose ici une solution intéressante, puisqu’elle démontre que la Cour d’appel aurait dû vérifier si les plantes détenues n’avaient pas été produites légalement dans un autre état de l’UE.
Plus récemment, dans un arrêt rendu le 1er juin 2022[7], la Chambre criminelle a cassé l’arrêt d’appel qui avait condamné deux commerçants à plus d’un an de prison ferme pour infraction à la législation sur les stupéfiants.
Rendu au visa de l’article 464-2 du code de procédure pénale, la Cour de cassation rappelle que les juges d’appel auraient dû analyser la situation matérielle, familiale et sociale des prévenus avant de prononcer une peine de prison ferme.
Cers positions ne restent que des indices mais sont révélatrices du climat actuel. En attendant que le Conseil d’Etat ne se prononce définitivement au fond sur la légalité de l’arrêté contesté, l’inquiétude demeure au sein de la filière.
Un statut quo maintenu pour la vente de fleur/feuille de CBD
Pour le moment, les commerçants de CBD sont autorisés à proposer à la vente :
- Des fleurs ou des feuilles brutes de chanvre, tant que leur teneur en THC est inférieure à 0,3% et que vous êtes un chanvrier majeur (mais ceci pourrait être amené à changer avec la décision au fond du Conseil d’Etat)[8] ;
- Des produits à base de CBD, tant que le produit fini a une teneur en THC qui ne saurait être supérieure à 0,3% [9].
En revanche, il semblerait qu’ils ne soient pas autorisés à proposer à la vente des feuilles, fleurs, résines et produits dérivés du CBD si leur teneur en THC est supérieure à 0,3%.
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[1] CJUE – 19 novembre 2020 - C-663/18
[2] Arrêté du 30 décembre 2021 portant application de l'article R. 5132-86 du code de la santé publique
[3] Arrêté du 22 août 1990 portant application de l'article R. 5132-86 du code de la santé publique pour le cannabis
[4] Communiqué de presse du Conseil d’Etat sur la Décision n°460055 du 24 janvier 2022
[5] Communiqué de presse du Conseil d’Etat sur la Décision n°460055 du 24 janvier 2022
[6] Cour de Cassation – Chambre Criminelle – 19 janvier 2022 – n° 21-81.458
[7] Cour de Cassation – Chambre Criminelle – Jer juin 2022 – n°21-84.684
[8] Décision n°460055 du 24 janvier 2022
[9] Arrêté du 30 décembre 2021 portant application de l'article R. 5132-86 du code de la santé publique