Par Eve Renaud-Chouraqui et Irène Corne
Le 10 septembre 2021, la justice américaine a rendu son verdict dans le cadre du procès qui oppose Epic Games à Apple.
Si le développeur de Fortnite semble avoir remporté cette bataille, il est encore loin d’avoir gagné la guerre, qui s’annonce longue et couteuse...
Qu’est-ce qui est reproché par Epic Games à Apple ?
Epic Games a tenté de contourner la politique de l’App Store qui :
- impose une commission de 30% sur toutes les transactions in-app;
- interdit aux développeurs d’inclure dans leurs applications des boutons, liens externes ou autres incitations pour orienter les utilisateurs vers d’autres mécanismes de paiement;
- interdit aux développeurs d’informer les utilisateurs de ces mécanismes de paiement alternatifs par e-mail ou SMS grâce aux informations renseignées par les utilisateurs lorsqu’ils créent leur compte sur l’application.
Pour ce faire, les éditeurs de Fortnite ont installé une mise à jour permettant d’acheter la monnaie virtuelle du jeu, via un système de paiement extérieur à celui d’Apple, enfreignant alors les conditions d’utilisation de l’App Store.
La réaction d’Apple ne s’est pas faite attendre : Fortnite a immédiatement été banni de l’App Store. Epic Games a saisi la justice en référé, sans grand succès, puisque par ordonnance du 24 août 2020, le juge a estimé que l’exclusion de Fortnite de l’App Store n’était pas disproportionnée.
Accusant Apple de pratique anticoncurrentielle et de profiter de sa position dominante sur le marché pour imposer cette taxe de 30% sur toutes les transactions effectuées au sein des applications, Epic Games a déposé plusieurs plaintes contre la firme à la pomme. Le procès, que nous avons détaillé dans un article précédent, s’est tenu en mai 2021.
Un succès en demi-teinte pour Epic Games
Apple ne peut plus (seulement) imposer son système de paiement aux éditeurs d’application mobile
Si Apple a toujours la possibilité de prélever la commission de 30% sur les paiements in-app, la firme doit tout de même revoir son modèle et autoriser les développeurs à inclure dans leurs applications des systèmes de paiement alternatifs. Et ce, dans les 90 jours à compter de la décision (c’est-à-dire dès le mois de décembre 2021).
Sur ce point, le succès pour Epic Games, et plus généralement pour les développeurs d’applications, est total…. Sous la réserve suivante : rien n’interdit à Apple de maintenir son système de paiement, directement intégré aux applications. Ainsi, si l’utilisateur décide d’utiliser ce système de paiement, Epic Games ne peut s’y opposer.
Par ailleurs, si Apple est contraint à l’ouverture, cette victoire a un coût pour Epic Games.
En effet, le studio a été condamné à verser les sommes suivantes :
- 30% des 12 millions de dollars empochés grâce au contournement entre août 2020 et octobre 2020 ;
- 30% de la somme qu’Epic Games aura acquis entre le 1er novembre 2020 et la date du jugement[1].
Enfin, Apple n’est pas considéré comme en situation de monopole illégal.
Apple n’est pas en position illégale de monopole
Après avoir estimé que le marché pertinent était celui des transactions dans le jeu vidéo mobile (et non celui du jeu vidéo en général), la juge californienne a considéré :
- qu’Apple n’était pas en situation de monopole;
- que sa politique n’enfreignait pas les lois antitrust du pays, à savoir le Sherman Antitrust Act et le Cartwright Act.
Si la juge Yvonne Gonzalez Rogers précise qu’Apple est « proche du précipice d’un pouvoir de marché substantiel ou d’un pouvoir de monopole »[2], elle estime que le fait que la firme « jouisse d’une part de marché considérable, supérieure à 55%, et des marges de profit extraordinairement élevées, ne sont pas des facteurs suffisants permettant de prouver une infraction au droit de la concurrence » et que « le succès n’[était] pas illégal »[3].
Epic Games a décidé de faire appel de la décision. Son objectif ? même si elle a partiellement obtenu gain de cause, faire reconnaitre qu’Apple se trouve dans une situation d’abus de position dominante.
Apple a également fait appel de la décision.
En attendant, la firme à la pomme maintient la pression et l’exclusion de Fortnite de l’App Store.
Epic Games et d’autres acteurs de la tech s’organisent contre Apple
Le combat de Tim Sweeney, fondateur d’Epic Games, contre Apple a été murement réfléchi et préparé.
Il se dit qu’Epic Games aurait préparé son offensive dès 2018 et recruté rapidement un cabinet d’avocats afin d’être accompagné dans son combat.
Le studio n’est pas le seul à mener un combat contre Apple, ainsi que Google.
Les deux géants sont dans le viseur de plusieurs autres acteurs de la tech. Ils ont d’ailleurs formé la Coalition for App Fairness (Coalition pour l’équité des applications), parmi lesquels on retrouve Tinder, Deezer ou encore Spotify.
Cette organisation à but non-lucratif dénonce les pratiques d’Apple et de Google jugées anticoncurrentielles et luttent pour obtenir des plateformes numériques plus justes et plus ouvertes et protéger le choix des consommateurs.
La saga n’en est qu’à son commencement et promet de nous tenir en haleine encore pour quelques années.
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Fort d’une expérience dans le domaine du droit de la concurrence et de la régulation économique, le cabinet Haas Avocats dispose d’un département dédié à l’analyse des pratiques anticoncurrentielles et restrictives de concurrence mises en œuvre dans le domaine du digital (analyse d’impact, actions de remédiation, gestion des risques, assistance devant l’Autorité de la concurrence et la DGCCRF et représentation devant les juridictions judiciaires).
Le Cabinet est naturellement à votre entière écoute pour toutes problématiques que vous pourriez rencontrer.
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[1] Epic Games v. Apple, 10 septembre 2021, p. 179.