Vente aux enchères de bitcoins dans une affaire judiciaire française

Vente aux enchères de bitcoins dans une affaire judiciaire française
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Par Kate Jarrard

La première vente aux enchères française de bitcoins issus d’une affaire judiciaire s’est tenue à Paris le 17 mars 2021.

En effet, 611 bitcoins, soit 24,6 millions d’euros, provenant d’une affaire de cybercriminalité en cours d’instruction ont trouvé preneurs.

Soit un total proche des 29,1 millions d’euros récoltés par l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués criminels (AGRASC) pour la seule année 2019.

Cela donne l’occasion de se pencher sur le parcours atypique de cette cryptomonnaie illicite saisie par des magistrats, puis gérée par une personne morale de droit public et transitant via un prestataire certifié de services de conservation de cryptoactifs, à destination d’acheteurs privés.

1. Les ventes aux enchères des avoirs saisis et confisqués en matière pénale

Créée en 2010, l’AGRASC est un établissement public administratif sous tutelle des ministères de la Justice et du Budget, présidé et dirigé par des magistrats, qui vise à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale.

L’agence est chargée de l’exécution de la peine de confiscation au nom du procureur de la République et assure la gestion des biens et sommes saisis dans le cadre des procédures pénales en France.

En d’autres termes, l’Etat peut, avant tout jugement, saisir des biens pendant une affaire pénale pour les besoins de l’enquête, et/ou pour l’indemnisation de victimes après une condamnation. Les juges chargés de l’enquête judiciaire pourront alors remettre ces biens à l’AGRASC qui se chargera de procéder à leur aliénation via une vente aux enchères.

Pour qu’une telle vente ait lieu, deux conditions doivent être réunies :

  • Que la conservation des biens ainsi saisis ne soit plus nécessaire à l’enquête,
  • Que les garder serait de nature à diminuer leur valeur.

Si le tribunal condamne les mis en cause et prononce la confiscation, les produits des ventes aux enchères sont ensuite versés à l’Etat, à certains fonds et associations (dédiés à la prévention des stupéfiants, la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains), aux victimes à titre de dommages et intérêts, à la police nationale ou encore aux juridictions et services d’enquêtes luttant contre la criminalité et la délinquance organisée.

2. Le recours aux prestataires de services sur actifs numériques

Face à l’engouement pour le bitcoin, y compris aux fins de blanchiment, l’AGRASC a ainsi dû sérieusement se pencher sur la réinsertion des actifs immatériels autrefois blanchis dans un circuit économique licite.

En effet, cette monnaie virtuelle n’est pas émise et administrée par une administration bancaire et nécessite notamment la détention d’un portefeuille et d’une adresse publique.

L’AGRASC a ainsi dû prendre certaines précautions pour sécuriser la vente aux enchères en amont, en mettant en place des modalités d’inscription spécifiques visant à contrôler les enchérisseurs et leurs numéros de compte.

Une fois la vente des 611 bitcoins réalisée, l’AGRASC a dû également mettre en œuvre un processus de transfert sécurisé de la cryptomonnaie vers les acheteurs.

Or, faute d’infrastructure existante, c’est un tiers certifié par l’Autorité des marchés financiers (AMF) ayant obtenu l’agrément de prestataire de services sur actifs numériques (PSAN), qui s’est chargé du transfert.

Et pour cause, la société Coinhouse Custody Services, fournisseur de services de conservation d’actifs numériques, présente, de par cet agrément, des garanties de compétence technique, d’honorabilité et de conformité à la réglementation relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT).

Néanmoins, si une telle vente attire déjà les investisseurs de par sa transparence, ce système se heurte déjà à plusieurs limites :

  • La première difficulté est liée à la volatilité de la cryptomonnaie : le transfert du lot vers l’acheteur peut prendre jusqu’à 48 heures ;
  • Malgré leur conversion en capitaux propres, les bitcoins seront estampillés comme issus d’une affaire pénale et risquent donc d’être inutilisables pendant un délai indéfini.

L’opération est donc risquée pour une monnaie dont le cours est susceptible de varier en quelques heures.

Pour les juristes, cet obstacle pourrait par ailleurs se heurter aux termes mêmes de l’article 99-2 du code de procédure pénale, selon lesquels la vente aux enchères des biens saisis ne peut être ordonnée par un juge que « lorsque le maintien de la saisie serait de nature à diminuer la valeur du bien ».

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