SnapActe : quelles règles encadrent la rédaction du constat d'huissier ?

SnapActe : quelles règles encadrent la rédaction du constat d'huissier ?
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Par Gérard Haas, Charlotte Paillet et Margaux Laurent

De nombreuses applications mobiles et sites internet se sont développés ces dernières années en se proposant d’être une alternative au constat d’huissier de justice.

Ayant pour objectif une meilleure accessibilité du droit et à la justice pour tous, ils promettent de fournir une preuve fiable et sûre, de manière rapide.

Comment fonctionne l'application SnapActe ?

C’est ainsi que se présente l’application SnapActe proposée par la société IDRA dédiée à la collecte de preuve en facilitant l’accès à des huissiers de justice. Elle permet de déposer électroniquement des photographies géolocalisées afin d’obtenir un procès-verbal de constat d’huissier. Alors, les photographies acquièrent date et heure certaines et le procès-verbal revêt lui, une valeur probante.

Cet outil, couramment utilisé dans l’immobilier, se veut une « révolution » dans l’accès à la preuve à moindre coût. Disponible gratuitement sur les plateformes, l’utilisateur de l’application ne paie que lors du dépôt d’un acte.

Le développement de telles solutions numériques est l’occasion de revenir sur les règles encadrant la rédaction du constat d’huissier.

La force probante sans égale du constat d’huissier, conséquence de sa qualité d’officier public

L’huissier de justice est un officier public et ministériel nommé par le Garde des Sceaux. Il est un auxiliaire de justice dépositaire d’une parcelle d’autorité publique. Il est personnellement responsable des constats qu’il dresse. Il doit apporter toute son expertise et son savoir-faire pour établir une preuve incontestable et irréfutable juridiquement. C’est pour toutes ces raisons que le législateur, à travers la Loi Béteille de 2010[1], a donné aux constats de l’Huissier de Justice, une force probante supérieure à tout autre mode de preuve.

De ce fait, le constat doit rapporter la preuve de faits juridiques de manière opportune c’est-à-dire qu’il doit être susceptible d’avoir des conséquences sur l’issue du litige. Il doit également être licite, c'est-à-dire conforme aux prescriptions légales et aux principes généraux du droit. A ce titre, les constatations établies par l'huissier de justice doivent être exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit pouvant en résulter.

La preuve ainsi collectée présente une valeur probante particulière car contenue dans un acte présentant un caractère authentique au sens de l’article 1369 du Code civil[2]. En termes de preuve, être en possession d’un acte authentique donne un avantage certain à celui qui s’en prévaut. En effet, un tel acte est incontestable et irréfutable de sorte qu’il ne peut être renversé que dans le cadre d’une procédure d’inscription de faux. Or cette procédure est lourde et complexe. L’acte authentique appartient à la typologie des preuves dites « parfaites » et se situe au sommet de la hiérarchie des modes de preuves admises en justice, devant les juridictions civiles, administratives ou pénales.

Cependant, toutes les mentions du procès-verbal de constat ne font pas foi jusqu’à l’inscription de faux. Seules détiennent un caractère authentique, la date, l’identité de l’huissier de justice instrumentaire ainsi que sa signature, et enfin, les énonciations relatives aux agissements que l’officier public indique avoir personnellement accomplis.

Au contraire, les constatations purement matérielles établies par l’huissier n’ont pas valeur authentique. L'article 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945[3] dispose, en effet, que « sauf en matière pénale où elles ont valeur de simples renseignements, ces constatations font foi jusqu'à preuve contraire ».

Autrement dit, pour dresser un constat d’Huissier digne de ce nom, il est impératif que l’Huissier se rende personnellement sur place pour constater les faits et les intégrer dans son procès-verbal. Les seules exceptions admises sont les constats d’huissier sur internet qu’il pourra dresser depuis son propre poste informatique.

L’absence de force probante du constat d’huissier dressé via une application mobile

C’est sur le sujet de la force probante d’un acte d’huissier dressé par le biais d’une application mobile que s’est prononcée la Cour d’appel d’Aix dans un arrêt du 24 juin 2021.[4]

Dans un litige relatif au stationnement de véhicules au sein d’une copropriété, l’intimé avait produit plusieurs procès-verbaux de constat d’huissier.

Or la Cour d’appel relève que ces documents n’ont pas été établis à la requête de l’intéressé mais de la SASU IDRA et réalisés via l’application SnapActe. Elle conclut donc que :

« Ces procès-verbaux, établis à la demande d’un tiers et selon un procédé ne relevant pas de l’office de l’huissier instrumentaire qui n’a pas lui-même procédé aux constatations figurant sur les documents numériques transmis, ne peuvent être considérés comme constitutifs de la preuve que le Syndicat des copropriétaires entend rapporter quant au stationnement du véhicule des époux X dans les allées de la copropriété. »

La décision de la juridiction est sans appel et dénie toute force probante des constats effectués via l’application SnapActe. La question est donc tranchée et seules les constatations faites par l’Huissier de justice lui-même dans le cadre d’un constat, avec déplacement physique sur les lieux de l’officier ministériel sur place seront retenues devant un tribunal.

Cette solution se place dans la lignée d’une jurisprudence venant conforter les pouvoirs de l’huissier.  En effet, le 16 avril 2021, la Cour d’Appel de Paris a refusé de reconnaitre les garanties attachées aux constats d’huissier à un constat réalisé par le biais de la plateforme Easyconstat, ne faisant pas intervenir d’huissier. Cependant, contrairement à la décision précédente, la preuve a été retenue comme un mode de preuve simple, pouvant être contrarié par tout autre élément[5]. Une telle différence s’explique notamment par le principe de la liberté de la preuve en matière commerciale.

Enfin, on peut citer le décret n°2021-1625 du 10 décembre 2021 relatif aux compétences des commissaires de justice[6], qui vient règlementer cette nouvelle profession, en ajoutant dans son article 5ème, dernier alinéa, que l’huissier doit se rendre « personnellement sur les lieux du constat ». De quoi appuyer la solution retenue par la Cour d’appel d’Aix.

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[1] Loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010 relative à l'exécution des décisions de justice, aux conditions d'exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires 

[2] Art. 1369 Code civil : « L'acte authentique est celui qui a été reçu, avec les solennités requises, par un officier public ayant compétence et qualité pour instrumenter. Il peut être dressé sur support électronique s'il est établi et conservé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. Lorsqu'il est reçu par un notaire, il est dispensé de toute mention manuscrite exigée par la loi ».

[3] Ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers

[4] Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 24 juin 2021, n°2021/405 – RG 20/07645

[5] CA Paris, 16 avril 2021, Conseil NR / FOLLOWERPASCHER LLC, n°18/24048

[6] Décret n° 2021-1625 du 10 décembre 2021 relatif aux compétences des commissaires de justice

Gérard HAAS

Auteur Gérard HAAS

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