Par Eve Renaud-Chouraqui
Les récents et dramatiques événements ont, une nouvelle fois, révélés le rôle des réseaux sociaux dans la diffusion des contenus haineux sur Internet.
C’est l’occasion de faire un point de situation : quelles obligations pèsent sur eux en l’état actuel du droit ? Quelles perspectives sont ouvertes ?
En l’état actuel du droit (et avant une possible réadaptation limitée aux plateformes numériques dites structurantes[1]), les réseaux sociaux voient leur responsabilité limitée en application de leur statut d’hébergeur.
En application de la loi LCEN du 21 juin 2004, l’hébergeur est la personne physique ou morale « qui assure, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services »[2].
Sa responsabilité n’est engagée que dans l’hypothèse où des contenus litigieux sont portés à sa connaissance par notification et qu’il n’en suspend pas promptement la diffusion.
A la différence de l’éditeur (quant à lui pleinement responsable des contenus diffusés), l’hébergeur est un intermédiaire technique qui met à disposition de tiers des outils permettant de communiquer des informations en ligne. Il ne peut intervenir dans la création ou la sélection des contenus diffusés.
On le comprend très vite : les réseaux sociaux sont à la limite de la définition légale de l’hébergeur. En effet, via leurs puissants algorithmes, ils jouent un rôle actif dans le référencement et la présentation des contenus aux utilisateurs de leurs plateformes et disposent d’une ligne éditoriale.
Leur statut actuel d’hébergeur est un frein considérable à leur mise en responsabilité.
Par ailleurs et, à leur décharge, la régulation des contenus haineux sur internet contient d’importantes zones grises : quand considérer que le contenu est illicite ? Selon quel prisme d’appréciation (leurs propres conditions générales d’utilisation ? Les lois propres à chaque Etat ?)
C’est justement le reproche qui a été fait par le Conseil constitutionnel dans le cadre de l’examen de la loi Avia : donner aux réseaux sociaux un pouvoir unilatéral de retrait de contenus, fondé sur la propre appréciation d’un opérateur privé, sans intervention d’un juge, seul garant du respect des libertés fondamentales.
Pour mémoire, la loi Avia visait à imposer aux principaux réseaux sociaux[3], plateformes collaboratives[4] et moteurs de recherche[5] une obligation de retrait, dans un délai d’1 heure à 24 heures, des contenus terroristes et pédopornographiques[6].
Les opérateurs de plateforme étaient contraints à mettre en place un dispositif de notification, directement accessible, uniforme et facile d’utilisation afin de permettre à toute personne de notifier le contenu illicite.
A défaut pour les opérateurs de plateforme de procéder, dans les délais imposés, au retrait du contenu illicite, ils s’exposaient à une amende significative de 250.000 euros, sans préjudice d’autres sanctions administratives pouvant être prononcées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), en charge du suivi des obligations mises à la charge des plateformes.
Enfin et en parallèle de ces obligations, la loi Avia prévoyait :
la mise en place d’un parquet spécialisé numérique afin de poursuivre et juger les auteurs de contenus haineux illicites ;
la création d’un observatoire de la haine en ligne, chargé d’assurer le suivi et l’analyse de l’évolution des contenus haineux ;
l’obligation pour les opérateurs de plateformes de désigner un interlocuteur référant, une personne physique située sur le territoire français, afin de permettre aux autorités judiciaires et au CSA de communiquer avec lui.
Après la censure du Conseil constitutionnel, ne reste dans la loi Avia, promulguée le 24 juin 2020, que :
la simplification du signalement du contenu haineux auprès des plateformes ;
la création de l’observatoire de la haine en ligne.
L’appel à une régulation plus poussée des réseaux sociaux est de plus en plus fort… Les récents évènements intervenus en France en octobre, la tuerie de Christchurch sont autant d’évènements qui réintroduisent dans le débat public la nécessité d’agir.
Ce souhait d’agir contre la diffusion des contenus haineux en ligne s’inscrit dans un contexte plus général (et mondialisé) de volonté de sévir contre les Big Tech.
Dans ce cadre et au niveau européen, la Commission européenne a annoncé pour la fin d’année 2020 un « pack législatif », désigné sous le terme « Digital Services Act » comprenant deux règlements sur les services numériques :
- un premier visant à clarifier les responsabilités en matière de services numériques, notamment concernant les réseaux sociaux afin de :
Le 18 octobre 2020, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, a annoncé « un dispositif juridique de lutte contre la haine sur les réseaux sociaux ».
Le 20 octobre 2020, Marlène Schiappa, Ministre déléguée chargée de la citoyenneté, a, quant à elle, convoqué les représentants des grands réseaux sociaux (Twitter, Facebook, Google, TikTok, Snapchat) afin de les associer dans la responsabilité de la diffusion des contenus haineux.
Le gouvernement entend intensifier la détection et la veille sur les plateformes en ligne et les mécanismes de riposte face aux appels à la violence.
Différentes options sont envisagées :
Les mesures seraient réalisées en cohérence avec les travaux actuellement en cours de finalisation dans le cadre du Digital Services Act et pourraient être présentées dans le cadre du projet de loi de lutte contre le séparatisme, qui sera présenté en fin d’année.
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[1] Cette réadaptation est envisagée dans le cadre du Digital Services Act qui devrait intervenir en fin d’année, tel qu’il sera expliqué plus bas.
[2] Art. 6-1-2 de la loi LCEN.
[3] Youtube, Facebook, Twitter..
[4] Le Bon Coin, TripAdvisor, Wikipédia ….
[5] Google, Yahoo !, Bing, Qwant…
[6] Les contenus concernés relevaient de dispositions d’ores et déjà présentes dans le droit français, soit en application de la loi du 29 juillet 1881 ou du Code pénal).