Référé-rétractation : Attention au juge que vous saisissez !

Référé-rétractation : Attention au juge que vous saisissez !
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Par Kate JARRARD et Paul BERTUCCI

A propos de Cass. 2ème civ., 19 mars 2020, n°19-11.323

Nombreuses sont les divisions et subdivisions en droit français. Parmi elles, l’on peut citer celle entre le juge du fond et le juge du provisoire, lui-même décliné en juge des référés et juge des requêtes.

A l’occasion d’une affaire récente, la Cour de cassation nous rappelle qu’un manque d’attention peut être lourd de conséquences sur le plan procédural.

1. Ordonnance de référé vs. Ordonnance sur requête

Le juge du provisoire rend une décision sous forme d’ordonnance lorsqu’un litige exige qu’une solution soit prise dans l’urgence. Une fois encore, deux formes d’ordonnance existent : l’ordonnance de référé, rendue par le juge des référés, et l’ordonnance sur requête, rendue par le juge des requêtes.

L’ordonnance sur requête est une décision rendue dans le cas où une circonstance justifie de porter atteinte au principe du contradictoire, en d’autres termes lorsque le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.

Le juge a dans ce cas le pouvoir d’ordonner des saisies ou des mesures d’instruction en vue de faire cesser le préjudice subi par le requérant.

Cette même ordonnance pourra toutefois être remise en cause, par l’adversaire visé, via la procédure dite de « référé-rétractation ».

C’est sur ce dernier que la Cour de cassation est venue rappeler que seul le juge des requêtes ayant rendu l’ordonnance, et non le juge des référés, a le pouvoir de rétracter cette dernière.

2. Faits et procédure

Le litige opposait deux sociétés du secteur du contrôle technique automobile :

  • La société Vivauto a été autorisée, par une ordonnance rendue sur requête le 14 avril 2017, à faire procéder par huissier de justice à diverses mesures d’instruction dans les locaux de la société DLH. Cette ordonnance prévoyait que des documents ou fichiers seraient saisis et conservés par l’huissier jusqu’à ce que le juge en autorise la communication.
  • Par la suite, Vivauto a assigné DLH devant le même magistrat mais cette fois en qualité de juge des référés afin d’ordonner la mainlevée des éléments et pièces placés sous séquestre.
  • A travers une demande reconventionnelle, DLH a réclamé à ce même juge - des référés - la rétractation de l’ordonnance initiale de 2017.

Le 10 janvier 2018, le juge des référés a rejeté la demande de DLH de rétractation de l’ordonnance sur requête initiale.

DLH a alors interjeté appel au terme duquel la Cour d’appel de Paris a également rejeté cette demande, en la déclarant toutefois irrecevable.

3. La solution de la Cour de cassation

La question alors posée en cassation était de savoir si le juge des référés, ayant précédemment rendu une ordonnance en tant que juge des requêtes, a le pouvoir de statuer sur un référé-rétractation de ladite ordonnance.

Selon la Cour de cassation, seul le juge des requêtes - ayant rendu l’ordonnance - peut être saisi d’une demande de rétractation de celle-ci.

La Cour vient donc confirmer la décision rendue en appel : la demande introduite auprès du juge des référés est irrecevable, dans la mesure où celle-ci ne pouvait être formée qu’auprès du juge des requêtes.

4. Attention donc à la qualité du juge à saisir !

Bien que consacrée de longue date, cette solution nous rappelle, d’une part, qu’un magistrat peut revêtir la casquette de juge des requêtes un jour et celle de juge des référés un autre jour, mais qu’il n’en constitue pas moins, d’autre part, deux juridictions différentes selon qu’il statue en référé ou sur requête1.

Dès lors, il convient d’être très vigilant sur la qualité du juge à saisir, puisqu’une telle erreur procédurale peut avoir des conséquences graves sur l’issue de l’instance. En effet, l’irrecevabilité d’une demande conduira le juge à rejeter la demande sans avoir même à statuer dessus.

Attention donc par exemple en matière de contrefaçon de brevets : lorsqu’une atteinte - présente ou imminente - est portée à ses droits, toute personne peut saisir le juge des référés ou le juge des requêtes conformément à l’article L. 615-3 du code de la propriété intellectuelle. Il conviendra donc d’être attentif à la qualité du juge saisi ayant rendu l’ordonnance initiale afin d’en demander l’annulation.

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1 Cass. civ. 2e, 20 févr. 1980, Bull. civ. II, no 339., ou encore Cass. com. 24 août 1981, ibid. V, no 339.

Kate JARRARD

Auteur Kate JARRARD

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