Par Charlotte Paillet et Rebecca Käppner
L’inaction des dirigeants politiques face au réchauffement climatique a engendré des manifestations de plus en plus vives de la part des activistes écologistes. Après l’attaque du tableau « Les Tournesols » de Vincent Van Gogh avec de la soupe tomate c’est un tableau de Claude Monet intitulé « Les Meules » qui a été pris pour cible par des militants le 24 octobre 2022 à Postdam.
Cependant, si ces récentes actions contre des œuvres d’art ont été revendiquées par le mouvement « Letzte Generation », la chambre criminelle de la Cour de cassation a récemment eu à se prononcer sur des faits intervenus en juillet 2020 auxquels se sont livrés des membres de l’association « Greenpeace ».[1]
Dans les faits, huit militants de ladite association se sont introduits dans le chantier de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris pour y apposer une banderole géante marquée du slogan « Climat, aux actes ! » sur le haut de la grue surplombant la cathédrale.
Cet appel aux actes destiné au gouvernement français, et en particulier à Emmanuel Macron, a eu pour conséquence la poursuite des activistes écologiques en cause devant le tribunal de police du chef « d'intrusion non autorisée dans un lieu historique ou culturel ».
Au-delà du rappel par la Cour de cassation du classement de la cathédrale de Notre Dame en tant que « monument historique » depuis 1862, cet arrêt fut également l’occasion de faire le point sur les contours de la liberté d’expression et le seuil d’ingérence autorisé.
En effet, les militants ont notamment contesté leur condamnation sur le terrain de la liberté d’expression, estimant qu’au sens de l’article 10 paragraphe 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme cette dernière ne pouvait être soumise qu’à des ingérences nécessaires.
Les prévenus s’appuyaient notamment sur le fait que les considérations d’ordre sécuritaire relevées par les juges du fond, qui avaient insisté sur la dangerosité de leur comportement et les conséquences de ce dernier sur le chantier de restauration, étaient étrangères à l’intérêt protégé par l’article R. 645-13 du Code pénal à savoir la protection contre les risques d'atteinte à l'immeuble en ce qu'il présente une valeur historique.
Le fait que la cathédrale n’avait en elle-même subi aucun risque de dégradation lors de la manifestation appuyait leur prétention d’une ingérence disproportionnée dans leur liberté d’expression.
Les magistrats de la Cour de cassation écartent cependant cette argumentation des militants de Greenpeace en ce qu’ils énoncent que « la poursuite des faits, non sous une qualification délictuelle, mais seulement contraventionnelle, ne peut s'analyser comme une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la liberté d'expression eu égard au contexte des faits en cause ».
Le positionnement de la Cour de cassation dans cet arrêt est particulièrement intéressant dès lors qu’il peut être mis en parallèle avec celui de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui condamnait la France pour violation de la liberté d’expression dans un contexte militant par son arrêt rendu le 13 octobre[2].
Toutefois, à la différence de la situation des membres de l’association Greenpeace, la militante Femen[3] visée dans le cadre de la procédure européenne était susceptible de voir prononcer à son encontre une peine d’emprisonnement.
La sévérité de cette sanction avait été jugée disproportionnée par la CEDH vis-à-vis de la liberté d’expression. D’ailleurs, la Cour Européenne avait tenu le même discours en 2021 concernant une peine d’emprisonnement prononcée pour des faits de diffamation[4].
Ainsi, il apparaîtrait, en l’espèce, que le fondement contraventionnel des poursuites pour lesquelles ont été condamnés les huit militants de Greenpeace pourrait ne pas être considéré comme une sanction excessive compte tenu des faits poursuivis, de sorte qu’il n’y aurait pas d’ingérence démesurée du droit à la liberté d’expression prévu par l’art. 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Cette dichotomie entre les décisions de la Cour Européenne des Droits de l’Homme et la Cour de cassation semble laisser place à une incertitude quant aux modalités du contrôle de proportionnalité dans l’exercice du droit à la liberté d’expression.
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[1] Cass. crim. 12 oct. 2022, F-D, n° 21-87.005
[2] Voir en ce sens CEDH 13 octobre 2022, n° 22636/19 : La Cour européenne des droits de l'homme a jugé que la peine d'emprisonnement avec sursis infligée à une militante Femen ayant manifesté, poitrine dénudée, dans une église pour défendre le droit à l'avortement constitue une violation de la liberté d’expression.
[3] Le mouvement des « Femen », une organisation internationale de défense des droits des femmes créée en Ukraine en 2008 et connue pour les actions de provocation de ses membres qui protestent seins nus afin de lutter contre l’image de la femme considérée comme un objet sexuel.
[4] Pour plus d’informations à ce sujet, voir notre article : La CEDH précise le droit à la liberté d’expression de l’employeur