Reconstruction de Notre-Dame de Paris : un casse-tête juridique en perspective

Reconstruction de Notre-Dame de Paris : un casse-tête juridique en perspective
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Par Gérard HAAS et Axelle POUJOL

Le 15 avril 2019, un incendie a ravagé une grande partie de Notre-Dame de Paris, créant un émoi considérable dans le monde entier car Notre-Dame de Paris est classée aux monuments historiques du patrimoine français depuis 1862 et au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1991.  

 « Les grands édifices, comme les grandes montagnes, sont l’ouvrage des siècles. Souvent l’art se transforme qu’ils pendent encore : pendent opera interrupta ; ils se continuent paisiblement selon l’art transformé. L’art nouveau prend le monument où il le trouve, s’y incruste, se l’assimile, le développe à sa fantaisie et l’achève s’il peut. La chose s’accomplit sans trouble, sans effort, sans réaction, suivant une loi naturelle et tranquille. C’est une greffe qui survient, une sève qui circule, une végétation qui reprend. Certes, il y a matière à bien gros livres, et souvent histoire universelle de l’humanité, dans ces soudures successives de plusieurs arts à plusieurs hauteurs sur le même monument. L’homme, l’artiste, l’individu s’effacent sur ces grandes masses sans nom d’auteur ; l’intelligence humaine s’y résume et s’y totalise. Le temps est l’architecte, le peuple est le maçon »[1]

Le 15 avril 2019, un incendie a ravagé une grande partie de Notre-Dame de Paris, créant un émoi considérable dans le monde entier. Dans son discours au lendemain de l’évènement, le Président de la République a annoncé la reconstruction de la Cathédrale[2], classée aux monuments historiques du patrimoine français en 1862[3] et au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1991[4].  

 

Cependant, de nombreuses questions se posent : quelles en seront les modalités concrètes ? Quel en sera le financement ? Cette reconstruction sera-t-elle faite à l’identique ?

A titre d’exemples, le Premier Ministre a d’ores et déjà annoncé le lancement d’un concours de créations architecturales pour la flèche de la Cathédrale[5]. Il est également évoqué l’idée d’un changement de matière et de design pour la charpente originellement en chêne[6].

Grâce aux progrès technologiques, l’Etat, propriétaire de la Cathédrale, dispose de nombreux plans et de données précises qui pourraient être utilisés pour faciliter cette reconstruction.

Mais cette reconstruction peut poser des questions de droit de propriété intellectuelle et d’utilisation de données.

1. Les principes pour les œuvres architecturales 

Les bâtiments, en tant qu’œuvres architecturales, peuvent bénéficier de la protection par le droit d’auteur sous réserve d’être originaux[7]. Cela signifie que des droits s’appliquent pour leur exploitation, leur reproduction ou leur modification.

Pour les œuvres architecturales, deux titulaires de droits peuvent coexister[8] : d’une part, ceux de l’architecte, en tant qu’auteur de l’œuvre et d’autre part, ceux du propriétaire terrestre du bâtiment, détenteur de la propriété matérielle du bâtiment.

Cependant, la protection par le droit d’auteur s’éteint classiquement 70 ans après la mort de l’auteur. Dès lors, s’agissant de Notre-Dame de Paris, seul l’Etat, propriétaire terrestre du monument, conservait certains droits sur celle-ci.

2. Les dispositions spécifiques pour les monuments historiques classés 

Les biens publics font l’objet de dispositions spécifiques en matière de propriété intellectuelle, notamment quant à leur reproduction.

Le Code du Patrimoine prévoit que « l’utilisation à des fins commerciales de l’image des immeubles qui constituent les domaines nationaux, sur tout support, est soumise à l’autorisation préalable du gestionnaire de la partie concernée du domaine national ».

Cependant, par exception, cette autorisation n’est pas requise « lorsque l’image est utilisée dans le cadre de l’exercice de missions de service public ou à des fins culturelles, artistiques, pédagogiques, d’enseignement, de recherche, d’information et d’illustration de l’actualité » [9].

L’Etat, en tant que propriétaire du monument, pourrait donc déterminer les modalités d’utilisation de l’image de Notre-Dame dans le cadre de sa reconstruction (quelles que soient les techniques utilisées, comme la numérisation 3D[10]) à des fins commerciales.

3. De nouveaux droits de propriété intellectuelle sur Notre-Dame ? 

La reconstruction de Notre-Dame tend à faire intervenir de nouveaux acteurs, qui pourraient par la suite être titulaires de certains droits de propriété intellectuelle coexistant avec ceux de l’Etat. En effet, si des architectes sont sollicités et créent des œuvres originales (cas évoqué d’une nouvelle flèche), ils pourront notamment limiter la reproduction de leur création.

A titre d’exemple, la Pyramide du Louvre ne peut pas être reproduite librement, son architecte étant encore en vie[11]. Dans un autre registre, la reproduction de la Tour Eiffel, notamment de nuit, est également limitée car le créateur de son système d’éclairage, refait en 1985, détient encore des droits de propriété intellectuelle à ce titre[12].

La reconstruction de Notre-Dame de Paris peut donc engendrer des questions en matière de propriété intellectuelle qu’il conviendra de résoudre préalablement au chantier afin d’éviter d’importants contentieux à l’avenir.

4. L’Open Data des données publiques : de nouvelles obligations applicables ? 

Les données collectées sur Notre-Dame de Paris, monument national public, peuvent entrer dans la catégorie des données que l’Etat est tenu de diffuser au public et dont il doit permettre la réutilisation gratuite.

Depuis 2016[13], l’Etat, les administrations et organismes publics sont tenus de mettre à disposition du public les données « dont la publication présente un intérêt économique, social, sanitaire ou environnemental »[14]. Ce mouvement d’Open Data a pour but d’encourager la réutilisation de données et favoriser ainsi le développement de projets innovants.

Se poseront alors toutes les problématiques liées à l’Open Data : les données concernées, les licences de réutilisation utilisées, la marge de manœuvre laissée aux personnes réutilisatrices desdites données, …

 

La reconstruction de Notre-Dame pose donc des questions juridiques en matière de propriété intellectuelle qui devront être identifiées et gérées par l’Etat pour que Notre-Dame retrouve toute sa splendeur et rayonne à nouveau au sein du patrimoine public français.

 

Le Cabinet HAAS Avocats est à votre disposition pour vous accompagner dans votre activité. Contactez-nous ici pour toute information complémentaire.

 

 

 

[1] Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, 1831

[2] https://www.huffingtonpost.fr/entry/notre-dame-de-paris-de-lemotion-a-la-reconstruction-dun-patrimoine-mondial_fr_5cb5e7a2e4b098b9a2dad099

[3] http://www.culture.gouv.fr/Actualites/Notre-Dame-de-Paris-un-embleme-de-la-France

[4] http://whc.unesco.org/fr/list/600

[5] https://www.huffingtonpost.fr/entry/notre-dame-edouard-philippe-annonce-un-concours-darchitectes-pour-la-fleche_fr_5cb70452e4b082aab08f1ba3?utm_hp_ref=fr-homepage

[6] http://www.lefigaro.fr/conjoncture/reconstruction-de-notre-dame-de-paris-cinq-chiffres-qui-donnent-le-tournis-20190417

[7] Article L.112-2 7° du Code de la Propriété Intellectuelle

[8] Article L.111-3 du Code de la Propriété intellectuelle :  « La propriété incorporelle définie par l'article L. 111-1 est indépendante de la propriété de l'objet matériel ».

[9] Article L.621-42 du Code du Patrimoine

[10] https://www.wedemain.fr/La-numerisation-3D-pourrait-aider-a-reconstruire-Notre-Dame_a4034.html

[11] http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1507018-photographier-la-pyramide-du-louvre-est-illegal-un-amendement-peut-tout-changer.html

[12] https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/data/12029/reader/reader.html#!preferred/1/package/12029/pub/17191/page/7

[13] La Loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République Numérique a instauré les obligations en matière d’Open Data des données publiques

[14] Article L312-1-1 4° du Code des Relations entre le Public et l’Administration (CRPA)

Gérard HAAS

Auteur Gérard HAAS

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