Par Amanda DUBARRY et Marie TORELLI
La diffusion virale de vidéos intimes d’un candidat à la mairie de Paris a permis de montrer les limites de la régulation sur Internet. Bien souvent, lorsque des contenus privés, diffamatoires ou dénigrants sont publiés en ligne, le mal est déjà fait.
Tout n’est pourtant pas perdu. Il existe, en effet, des moyens rapides d’obtenir le retrait ou le blocage d’un contenu illicite en ligne et ce, même lorsque la plateforme sur laquelle est diffusé ce contenu est basée à l’étranger.
1. Contourner le problème de l’anonymat
D’une manière générale, le premier problème auquel se heurtent les victimes de publications de contenus illicites sur Internet est l’anonymat de leur auteur.
Terrain par excellence des pseudonymes, Internet ne connaît pour l’instant aucune réponse à l’usage d’identités fictives ou d’outils tels que les VPN qui permettent à ses utilisateurs de camoufler leur adresse IP.
Or, il n’est pas nécessaire de connaître l’identité de l’auteur d’une publication pour obtenir le retrait d’un contenu illicite.
Si la Loi pour la Confiance en l’Economie Numérique du 21 juin 2004 (LCEN) exige de demander en premier lieu le retrait du contenu à son auteur, elle permet également, dans le cas où ledit auteur ne pourrait être contacté pour quelle que raison que ce soit, de s’adresser directement à l’hébergeur ou à l’éditeur du site internet concerné.
Il est donc possible, par exemple, de demander directement à Google le retrait d’un avis diffamatoire lorsqu’il est impossible de connaître l’identité de son auteur.
La loi sur les contenus haineux contourne totalement cette problématique puisqu’il est désormais possible de saisir directement la plateforme sur lesquelles des contenus incitant à la haine ou des injures à caractère diffamatoires ont été publiés, à condition de lui donner des indices permettant d’identifier l’auteur (pseudonyme, photo…).
Il sera en revanche nécessaire de connaître l’identité de l’auteur de la publication litigieuse lorsqu’une action judiciaire au fond est envisagée.
S’il est possible de s’adresser directement à l’hébergeur, il peut parfois être plus opportun d’utiliser la procédure prévue à l’article 145 du code de procédure civile sur requête ou en référé.
Il suffira alors de démontrer que la levée d’anonymat est motivée par la constitution de preuves nécessaires à l’engagement d’une action au fond. Le juge pourra ordonner à l’hébergeur de divulguer l’identité de l’auteur de la publication mais aussi ses données de connexion telles que son adresse IP.
2. Le renforcement progressif de l’obligation de retirer le contenu signalé
Lorsque la plateforme sur laquelle le contenu est publié a le statut d’hébergeur, elle est soumise à un régime de responsabilité atténué aux termes duquel elle est civilement et pénalement irresponsable sauf lorsqu’elle s’abstient de supprimer ou de suspendre promptement le contenu illicite qui lui est signalé[1].
Toute personne intéressée peut ainsi notifier un contenu illicite, notamment diffamatoire, dénigrant, injurieux à un hébergeur qui est alors tenu de le retirer sous un certain délai. C’est ce qu’on appelle l’obligation de « take down ».
Si le contenu n’est pas retiré ou si le délai dans lequel il est retiré n’est pas assez bref, la responsabilité civile ou pénale de l’hébergeur pourra être engagée.
La proposition de loi Avia relative aux contenus haineux renforce considérablement cette obligation pour les contenus incitant à la haine et les injures à caractère discriminatoire.
Lorsque de tels contenus sont signalés, les plateformes ou hébergeurs auront désormais l’obligation de les retirer dans un délai de 24 heures.
Les sanctions applicables en cas de non retrait du contenu illicite sont de plus en plus dissuasives. Là où la LCEN prévoyait une amende de 75 000 euros, la sanction prévue par la loi Avia peut s’élever jusqu’à 1,5 millions d’euros.
3. Le recours aux moyens de régulation internes
Les hébergeurs ne sont pas soumis à une obligation de « stay down » : ils ne sont pas tenus de veiller à ce que le contenu qui a été retiré ne soit pas republié.
Certaines plateformes ont toutefois choisi d’adopter des règles en ce sens visant à sanctionner les comportements récidivistes de leurs utilisateurs en les bannissant ou en désactivant leurs comptes.
L’application de ces règles internes est contrôlée par la jurisprudence qui a ainsi pu considérer que la responsabilité de Dailymotion, en qualité d’hébergeur, pouvait être engagée du fait de son refus de procéder au retrait du contenu signalé et de prendre, à l’encontre d’un utilisateur, les mesures de sanction prévues dans ses conditions générales d’utilisation.
4. Les fournisseurs d’accès comme voie de dernier recours
L’article 6.8 de la LCEN qui prévoit que le juge peut ordonner, sur référé ou sur requête toute mesure destinée à faire cesser le dommage dont, notamment, le blocage par les fournisseurs d’accès à internet (FAI) du site incriminé, de sorte qu’il n’est plus possible d’y accéder.
Compte tenu de son caractère liberticide, cette mesure est accordée seulement dans les cas où :
- Les autres solutions (notification à l’auteur et à l’hébergeur) ont échoué ;
- Le contenu diffusé par le site menace l’ordre public. Tel est le cas notamment des sites proposant des contenus racistes ou antisémites ;
- Le blocage du site ne porte pas une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté d’expression.
5. Un droit de réponse pour contrôler le « bad buzz »
L’article 6.4 de la LCEN prévoit que pour tout contenu publié sur Internet et à condition que le site en question ne prévoit pas un moyen de répondre, notamment via un forum ou un espace de commentaire, il est possible d’exercer un droit de réponse dans un délai de trois mois à compter de la mise à disposition du public du message litigieux.
Les conditions du droit de réponse sont très strictes. Ainsi, même lorsque le contenu contesté est une image ou une vidéo diffamatoire, la réponse doit être écrite et limitée au nombre de caractères du texte d’origine ou de sa transposition écrite sans jamais dépasser les 200 lignes.
Le directeur de la publication du site concerné est alors tenu d’insérer le droit de réponse sur son site dans un délai de rois jours à compter de la réception de la demande. A défaut, il s’expose à une amende de 3 750 euros.
Dans son article « Code is Law » publié en 2000, Lawrence Lessig expliquait que, sur Internet, les comportements étaient régulés par les développeurs et les programmateurs, via l’architecture de leurs codes.
Aujourd’hui, le droit s’est emparé du code et les Etats imposent aux plateformes des mesures de régulation de plus en plus contraignantes.
Ces mesures, si elles peuvent sembler tardives eu égard à l’accessibilité des contenus publiés en ligne, permettent de ne pas laisser les victimes complètement démunies face aux conséquences dommageables que certaines publications peuvent avoir sur leur réputation ou celle de leur commerce.
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Le Cabinet HAAS Avocats est à votre disposition pour vous accompagner en cas de publication de contenu illicite vous concernant sur Internet. Pour nous contacter, cliquez-ici.
[1] Article 6 LCEN