Par Haas Avocats
La question de la preuve est un point clé de toute procédure et pourtant les juridictions et les justiciables ne cessent d’y être confrontés.
Quelles sont les exigences probatoires liées aux comportements en ligne ? Quelles sont les défaillances potentielles des preuves apportées au soutien d’une action ? Quelle influence va avoir la qualité de la preuve dans le cadre d’un procès ?
Le succès d’un contentieux est largement tributaire de l’offre probatoire du demandeur, tant à l’égard du comportement dénoncé que du préjudice qui en résulte ; or ces preuves peuvent être difficiles à apporter, notamment dans la sphère numérique. En effet, la fiabilité de la preuve y est d’autant plus sensible qu’il est souvent nécessaire de procéder rapidement à la constatation des faits.
Dans une décision rendue le 23 janvier 2025, le Tribunal judiciaire de Paris, saisi d’une demande pour contrefaçon des marques, concurrence déloyale et parasitaire, s’est (à nouveau) prononcé sur le recours à un commissaire de justice pour faire constater les faits ainsi que sur les mentions devant obligatoirement figurer au sein des constats.
Quelle est la force probante d’un constat de commissaire de justice ?
En droit civil, notamment en vertu des principes généraux du droit français, une partie doit rapporter la preuve de ce qu’elle allègue. Ce principe découle de l’article 9 du Code de procédure civile, qui dispose que "celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit en prouver l'existence".
Depuis la loi du 22 décembre 2010 le constat de commissaire de justice a vu sa force probante renforcée en matière civile : il est un acte authentique qui fait foi jusqu’à preuve contraire. Être en possession d’un tel acte donne un avantage certain à celui qui s’en prévaut en ce qu’il est à la fois incontestable et irréfutable, ne pouvant être renversé que dans le cadre d’une procédure d’inscription de faux.
L’acte authentique appartient à la typologie des preuves dites « parfaites » et se situe au sommet de la hiérarchie des modes de preuves admises en justice, devant les juridictions civiles, administratives ou pénales.
Dans ces conditions, le constat de commissaire de justice (anciennement appelé constat d’huissier) sur Internet peut constituer un élément de preuve déterminant et fiable dans un litige, permettant notamment de figer dans le temps et de démontrer des actes de contrefaçon, concurrence déloyale ou parasitisme.
À quelles exigences techniques sont soumis les constats de commissaire de justice sur Internet ?
Les règles techniques de validité des constats de commissaires de justice réalisés sur Internet ont été précisées par la jurisprudence. Lorsqu’un commissaire de justice constate le contenu d’un site internet, qu’il s’agisse de textes, images, de sons ou de vidéos, il doit respecter un certain nombre d’impératifs techniques : description précise du matériel utilisé, mention de l’adresse IP de la connexion, désactivation de la connexion sans serveur proxy, suppression de l’ensemble des fichiers temporaires stockés sur l’ordinateur (Cour de cassation, Chambre criminelle, 8 janvier 2019 – n° 18-80.748). Ces impératifs techniques garantissent la fiabilité d’un constat sur internet.
Ces impératifs sont retranscrits dans une norme Afnor NF Z67-147 du 11 septembre 2010. Bien que cette norme soit généralement respectée par les commissaires de justice, cette dernière ne possède pas de caractère contraignant, si bien que son non-respect n'entraîne pas la nullité automatique du constat (CA Paris, 10 oct. 2014, no 14/01630 ; CA Amiens 6 février 2025). Pour autant, en pratique, le non-respect d'une des préconisations de la norme conduit à douter de la véracité des constatations du commissaire de justice (CA Paris, 12 janv. 2016, n° 14/14431).
Il incombe donc au commissaire de justice de respecter ces critères techniques pour assurer la force probante du constat.
Quelle valeur pour un constat Internet incomplet ?
Dans l’affaire jugée le 23 janvier 2025, le demandeur versait au débat un procès-verbal de constat appuyant le caractère litigieux de l’annonce sur un site Internet pour laquelle étaient formulées des demandes en contrefaçon, concurrence déloyale et parasitisme.
À la demande du requérant, souhaitant voir écarter du débat ledit procès-verbal de constat, le Tribunal a procédé à une analyse en deux étapes pour évaluer la validité de ce dernier.
Dans un premier temps, il a examiné les formalités respectées par le commissaire de justice, en l'occurrence la description du matériel utilisé, la synchronisation de la date et de l’horloge du système, ainsi que la suppression des fichiers temporaires, des images, des fichiers en cache et des cookies. Ces éléments ont été considérés comme conformes aux exigences requises pour un constat effectué sur Internet.
Cependant, dans un second temps, le Tribunal a mis en lumière plusieurs insuffisances majeures dans la procédure suivie par le commissaire de justice, ce qui a conduit à douter de la fiabilité du constat produit. En effet, plusieurs éléments ont été jugés non conformes aux standards requis :
- utilisation des liens profonds pour accéder directement aux pages litigieuses sans passer par la page d’accueil du site consulté, ni décrire les pages consultées pour y parvenir ;
- captures d’écran de la page du site internet suisse-immo-besançon.fr relative à une annonce de vente d’un bien situé à [Localité 20], sans que le commissaire de justice n’ait mentionné ladite page dans le descriptif de ses opérations de constat ;
- captures d’écran qui ne comportent ni date, ni heure, ce qui ne garantit pas que les pages étaient accessibles au jour du constat.
Le Tribunal est-il trop rigoureux dans l’évaluation des constats numériques ?
La rigueur du Tribunal dans l’analyse du constat du commissaire de justice, bien qu’ayant conduit à l’écarter de l’affaire, est fondée sur la nécessité de garantir la fiabilité des preuves, en particulier dans un environnement numérique où les données peuvent être facilement manipulées ou altérées.
En effet, l’ère numérique pose des défis supplémentaires en matière de preuves : les informations peuvent être volatiles et difficiles à capturer de manière fiable.
Toutefois, une telle approche peut aussi être perçue comme trop formaliste, notamment si elle empêche d’examiner des faits de fond qui pourraient, dans certaines circonstances, justifier l’existence d’actes illicites, notamment en matière de contrefaçon ou de concurrence déloyale.
***
Il reste que la jurisprudence en la matière est claire : le respect des exigences techniques pour les constats sur Internet est essentiel.
L’affaire jugée par le Tribunal judiciaire de Paris rappelle que l’offre probatoire reste une difficulté de taille pour les parties plaignantes. Les constats de commissaires de justice, bien qu’un outil précieux pour documenter un comportement illicite, ne peuvent être utilisés comme preuve fiable que si les règles techniques sont rigoureusement respectées. Cela soulève un dilemme : jusqu’où faut-il aller dans l’exigence de forme, sans occulter le fond de l’affaire et la recherche de la vérité ?
***
Le cabinet HAAS Avocats est spécialisé depuis plus de vingt-cinq ans en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle. Il accompagne les acteurs du numérique face à leurs problématiques diverses en la matière, aussi bien en précontentieux qu’en contentieux. Dans un monde incertain, choisissez de vous faire accompagner par un cabinet d’avocats fiables. Pour nous contacter, cliquez ici