Par Paul BENELLI et Lucie BRECHETEAU
Nous assistons dernièrement à la multiplication des Marketplaces locales (ou « plateformes de proximité ») créées par des collectivités publiques (villes, départements, agglomérations,…) soucieuses de préserver l’attractivité de leur territoire et de dynamiser leurs commerces de proximité.
En effet, la Marketplace s’impose comme une solution innovante permettant aux collectivités de démultiplier les contacts entre les commerçants et les consommateurs à l’échelle locale. En tant que garante du tissu social et économique, la collectivité publique a naturellement vocation à intervenir comme opérateur de plateforme en ligne.
La réussite d’un projet de plateforme nécessite néanmoins la prise en compte du cadre juridique applicable et de déterminer le niveau de responsabilité de la collectivité publique en charge de l’exploitation de la Marketplace.
La loi nº 2016-1321 du 7 octobre 2016[1] définit l'opérateur de plateforme en ligne à l'article L. 111-7 du Code de la consommation comme « toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur:
1° Le classement ou le référencement, au moyen d'algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ; [comme les sites de bonnes annonces ou les comparateurs]
2° Ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d'un bien, de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un contenu, d'un bien ou d'un service. [on fait ici référence aux places de marché ou « Marketplaces »] »
Toutefois, la collectivité publique souhaitant créer une plateforme locale doit tout d’abord se demander si, du fait de son statut, elle peut agir en tant qu’opérateur de plateforme en ligne. En effet, deux conditions doivent être réunies :
En effet, l’intérêt public local peut notamment résulter de l’insuffisance ou de la carence de l’initiative privée[2]. Par exemple, si une collectivité publique constate qu’aucune plateforme de mise en relation des entreprises et des consommateurs n’est disponible sur son territoire, elle pourra personnellement prendre en charge cette activité.
L’intérêt public local peut également s’apprécier au regard des besoins futurs de développement des collectivités publiques[3]. Ainsi, une collectivité pourra tout à fait justifier la création d’une Marketplace locale par la nécessité de digitaliser son territoire à l’ère numérique par exemple.
De même, la liberté du commerce et de l'industrie ne s'oppose pas à ce que les collectivités publiques satisfassent, par leurs propres moyens, aux besoins de leurs services[4]. En effet, créer une Marketplace locale mettant en relation les commerçants et les consommateurs permet de répondre aux besoins de la population et des entreprises, particulièrement à l’heure de la crise sanitaire.
Ainsi, si son statut lui permet d'agir en tant qu'opérateur de plateforme en ligne, la collectivité publique doit toutefois respecter le cadre légal applicable à la Marketplace.
Au-delà de ses propres obligations traditionnelles incombant à toute collectivité publique, la collectivité voulant créer une plateforme en ligne (et notamment une marketplace) devra respecter les obligations spécifiques liées à un tel projet.
En effet, l’opérateur est en principe tenu de délivrer aux consommateurs une information loyale, claire et transparente concernant notamment:
- Les modalités de référencement des biens ou services,
- L’existence d’une relation contractuelle ou d’une relation capitalistique susceptible d’influencer le référencement des biens ou services,
- La qualité de l'annonceur,
- Les droits et obligations des parties en matière fiscale,
- Les modalités de contrôle des avis publiés sur la Plateforme.
Pour de plus amples informations sur ces obligations, découvrez notre article dédié au cadre juridique des marketplaces. |
- L’encadrement des procédures de suspension ou de fermeture de comptes vendeurs,
- La loyauté dans l’information transmise aux utilisateurs,
- La transparence sur les conditions de référencement,
- La transparence concernant les modalités d’accès aux données, y compris les données personnelles,
- La diffusion de codes de bonne conduite,
- La mise en place d’un système interne de traitement des plaintes et de médiation.
Pour de plus amples informations sur les obligations fiscales des plateformes, découvrez notre article 5 mesures contre la fraude à la TVA. |
A ce titre, la Collectivité devra d’abord informer ses utilisateurs sur leurs propres obligations fiscales, tant à chaque transaction qu’une fois par an, par l’intermédiaire d’un récapitulatif annuel.
Ensuite, la Collectivité devra avoir à l’esprit qu’elle est dans l’obligation d’adresser à l’administration fiscale un document récapitulatif annuel l’informant de toutes les transactions réalisées par chaque Utilisateur dès lors que ce dernier a réalisé plus de 20 transactions, représentant plus de 3.000€.
Ce récapitulatif devra lui être adressé au plus tard le 31 janvier de l'année qui suit celle au cours de laquelle les opérations récapitulées dans le document ont été réalisées, en respectant un cahier des charges strict.
Dans l’hypothèse où la Collectivité souhaiterait réaliser une plateforme « BtoB », alors elle ne sera, en principe, tenue que par les obligations fiscales précitées.
Elle sera donc libre de respecter volontairement les obligations applicables aux plateformes BtoC afin de mettre la transparence et la loyauté au cœur de ses engagements.
La Marketplace est liée à un régime de responsabilité à deux niveaux :
Si la Plateforme est simplement hébergeur du contenu, elle n’engagera sa responsabilité que si elle n’a pas réagi suite à une notification de contenu illicite[7]. Par exemple, si la Marketplace locale n’intervient pas dans la rédaction des contenus, publiés sous la seule responsabilité des commerçants, elle aura la qualité d’hébergeur, liée à une responsabilité limitée.
Si la Plateforme est éditeur du contenu, elle engagera sa responsabilité de plein droit en cas de diffusion d’un contenu illicite[8]. Ce pourra être le cas si la Marketplace locale contrôle les contenus, en ayant un contrôle effectif sur ces derniers.
*****
Ainsi la marketplace peut effectivement être une solution idoine pour (re)dynamiser un territoire.
La Collectivité publique a ainsi naturellement vocation à devenir opérateur d’une plateforme en ligne dans la mesure où, traditionnellement, un de ses rôles est de créer du lien dans le tissu social et économique.
La Collectivité devra néanmoins porter une attention particulière au cadre juridique applicable pour concilier ses objectifs économiques, sociaux et bien sûr politiques.
Le cabinet HAAS Avocats est le seul cabinet à avoir créé un département entièrement dédié à l’accompagnement des marketplaces et autres plateformes en ligne. Pour être accompagné dans vos démarches ou pour tout renseignement complémentaire, n’hésitez pas à contacter le cabinet HAAS Avocats ici.
[1] Loi nº 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique.
[2] CE, 3 mars 2010, Département de la Corrèze.
[3] CE, 18 mai 2005, Territoire de la Polynésie française.
[4] CE, 27 juin 1936, Bourrageas, puis CE, 26 octobre 2011, Association pour la promotion de l’image et autres.
[5] Règlement (UE) 2019/1150 du 20 juin 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne
[6] CA de Paris, 25 mai 2012 : eBay répond au statut de courtier en ligne
[7] TGI de Paris, 28 juin 2019, Jansport Apparel c/ Cdiscount
[8] TJ de Paris, 5 juin 2020, Airbnb