Par Gérard Haas, Charlotte Paillet et Rebecca Käppner
Comme en témoignent les nombreux articles sur le sujet ces derniers mois, le marché des jetons non fongibles (« NFT ») est très en vogue.
Et pour cause, ce marché touche à de nombreux domaines comme celui des sports, des jeux vidéo mais aussi de l’art.
À titre d’exemple, l’œuvre « Everydays : The First 5000 Days » du crypto-artiste Beeple a été vendu, fin 2021, par le biais de la maison de vente aux enchères Christie’s pour la somme de 69,3 millions de dollars dépassant ainsi toutes les attentes. Le record atteint par cet assemblage d’œuvres numérisées témoigne de l’intérêt grandissant pour ce marché qui est longtemps resté dans l’ombre.
Les NFT peuvent se définir comme des actifs numériques indivisibles et uniques hébergés dans une blockchain.
Plus simplement il s’agit d’un certificat qui assure l’authenticité d’un fichier numérique, donc potentiellement d’une œuvre numérique, en ce qu’il contient des informations d’identification. Cette authenticité est assurée par le recours à la technologie blockchain qui donne ainsi toute sa valeur à l’item numérique en ce qu’elle est supposée le protéger de toute violation potentielle.
Le caractère non fongible de ces derniers est particulièrement recherché dans le domaine de l’art numérique, ce dernier étant essentiel à la détermination de son caractère unique.
Ces actifs numériques peuvent par la suite faire l’objet de transactions sur des plateformes d’enchères en ligne d’art numérique comme Nifty Gateway, Rarible ou encore OpenSea pour n’en citer que quelques-unes.
Les échanges s’effectuant sur ces plateformes peuvent cependant être source de problématiques car si un NFT permet de s’assurer de l’authenticité d’un fichier numérique, il n’en assure nullement la propriété.
La principale difficulté relative aux NFT réside dans le fait que ces derniers ne font l’objet pour le moment d’aucune règlementation spécifique.
Les plateformes ne s’enquièrent pas de savoir si la personne qui a émis les NFT associés à l’œuvre numérique possède des droits de propriété intellectuelle sur cette dernière. Cela amène donc directement à la création de NFT sur une œuvre sans l’autorisation de son auteur ou de ses ayants-droits.
En résultent de nombreuses atteintes à la propriété intellectuelle et notamment des cas de contrefaçon.
En matière de droit des marques on a pu assister à l’affaire « MetaBirkin » qui opposait le groupe Hermès à l’artiste Mason Rothschild. En l’occurrence, il s’agissait de la mise en vente d’une collection de NFT par l’artiste reproduisant le célèbre modèle « Birkin », sac emblématique de la maison.
Les arnaques les plus répandues restent cependant celles relatives au droit d’auteur.
C’est ainsi que le NFT d’un faux Banksy a réussi à être vendu 512 Ethereum (près d’un million de dollars) sur la plateforme OpenSea. Le manque de vérification par les plateformes de l’authenticité des œuvres qu’elles mettent en vente engendre un comportement frauduleux de la part de certains émetteurs de NFT qui profitent de la côte de certains artistes pour tromper les acheteurs.
En outre, certains émetteurs de NFT ne demandent même pas l’autorisation préalable de l’auteur de l’œuvre ou de ses ayants droits regardant l’émission de NFT sur l’œuvre ce qui est de nature à caractériser une contrefaçon[1].
Se pose alors la question de la responsabilité dans ce cadre : Serait-ce aux plateformes de réparer les dommages causés par les émetteurs de NFT via leur service ?
En effet, les émetteurs de NFT frauduleux agissent souvent de manière anonyme, ce qui limite fortement la possibilité pour les personnes lésées de faire valoir leurs droits.
La directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique (DAMUN) de 2019 est cependant venue changer la donne en créant de nouvelles obligations à la charge de certaines plateformes et notamment les plateformes d’hébergement à l’art. L137-2 III 1° du code de la propriété intellectuelle.
Ces dernières sont alors dans l’obligation de :
Avec la transposition de cette directive en droit français par une ordonnance n°2021-580 du 12 mai 2021, on remarque donc un raffermissement de la responsabilité des plateformes d’hébergement qui doivent aujourd’hui retirer de manière « prompte » tout contenu illicite mis à disposition sans le consentement préalable de l’auteur ou de ses ayants droits, dès que ce dernier leur a été notifié.
Si cette ordonnance introduit dans le code de la propriété intellectuelle un chapitre VII relatif aux « Dispositions applicables à certains fournisseurs de service de partage de contenu en ligne », les articles dudit chapitre ne précisent pas ce que le terme « promptement » sous-entend. L’appréciation de ce terme revient donc au juge qui devra notamment prendre en compte les critères énoncés à l’art. L. 137-2, III, 2° CPI.
L’on peut espérer que les nouvelles obligations des plateformes pourront être efficacement utilisées pour protéger les auteurs face aux fraudes grandissantes dans le marché de l’art par le biais des NFT.
Au regard du droit actuel, il pourrait donc être envisageable pour le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle sur une œuvre, de se prévaloir de ces dispositions pour obtenir le retrait des contenus portant atteinte à ses droits ou pour engager une action pénale.
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À cet égard, le pôle contentieux du Cabinet HAAS Avocats, fort de son expertise depuis plus de vingt-cinq ans en matière de nouvelles technologies, accompagne ses clients dans différents domaines du droit. N’hésitez pas à faire appel à nos experts pour vous conseiller. Pour en savoir plus, contactez-nous ici.
[1] Tout acte violant les droits exclusifs de l’auteur selon l’art. L335-2 CPI