La cour d’appel de Paris recadre les selfies des influenceurs

La cour d’appel de Paris recadre les selfies des influenceurs
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Par Haas Avocats

Voilà une décision de la cour d’appel de Paris qui devrait redonner (un peu) le sourire au macaque Naruto…

Ce dernier n’est en effet plus le seul à ne pas se voir reconnaître des droits sur son selfie par la Justice[1], depuis l’arrêt de la cour d'appel de Paris du 12 mai 2023.[2]

Le litige ayant mené à cette décision opposait une influenceuse qui avait pour habitude de publier sur son blog des selfies réalisés dans un ascenseur à la société de prêt-à-porter Maje, à laquelle l'influenceuse reprochait d'avoir diffusé dans le cadre d'une campagne publicitaire des photographies fortement similaires aux siennes et ce, sans son autorisation.

L’influenceuse avait ainsi poursuivi la société Maje en justice, pour contrefaçon de droit d'auteur et concurrence déloyale et parasitaire.

La question de la protection du selfie par le droit d’auteur

Rappelons que l'auteur d'une œuvre de l'esprit – en ce inclues les œuvres photographiques et celles réalisées à l'aide de techniques analogues à la photographie [3] - jouit sur celle-ci, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous[4].

En tant qu’œuvre photographique, le selfie pourra ainsi être protégé par le droit d’auteur à condition d’être original.

Dans l’affaire soumise à la cour d’appel, l’influenceuse avait réalisé un selfie dans un ascenseur, cliché pour lequel l’influenceuse estimait avoir fait certains choix artistiques- témoignant de l’empreinte de sa personnalité.

En dépit des arguments soulevés par l’influenceuse[5], la cour d’appel estime toutefois que la photographie manque d'originalité pour les raisons suivantes :

  • L’influenceuse n’a procédé qu’à une description de son selfie, sans expliciter les raisons ayant motivé les choix qu'elle dit avoir fait ;
  • Le selfie consiste en un rituel quotidien sans mise en scène particulière, les choix revendiqués par l’influenceuse – même pris en combinaison – étant par ailleurs des « 

En conséquence, confirmant le jugement rendu en première instance et faisant application du principe selon lequel les idées sont « de libre parcours », la cour d’appel décide que le selfie en question ne saurait bénéficier de la protection du droit d'auteur.

La question de la protection du selfie face au principe de liberté du commerce

Le principe de la liberté du commerce implique qu'un produit qui n'est pas l'objet de droits privatifs peut être reproduit et commercialisé librement par un tiers, dans la mesure où cette reproduction n’a pas pour objet ou pour effet de créer un risque de confusion entre les produits en présence dans l'esprit du public[6].

 

A ce titre, la cour d’appel infirme le jugement du tribunal judiciaire en ce qu’il avait accordé à l’influenceuse des réparations au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme.

Sur la concurrence déloyale

La cour d’appel ne relève aucune volonté de créer une confusion dans l'esprit du consommateur de la part de la société Maje dans la mesure où : 

  • La société Maje ne fait que s'inscrire dans la tendance du moment des selfies ;
  • La circonstance que des abonnés du compte Instagram de l’influenceuse ont cru la reconnaître sur la photographie de la société Maje révèle que le risque de confusion invoqué porte alors sur la personne de l’influenceuse et non sur les services qu'elle offre dans le cadre de son activité ;
  • Elle devrait être considérée comme une "micro-influenceuse", dont la notoriété n'apparait que relative [7],
  • Le prétendu rituel du selfie dans un ascenseur que l’influenceuse dit avoir institué n’est pas prouvé.

Sur le parasitisme

Le parasitisme consiste pour un opérateur économique à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.

A l’instar des précédents fondements invoqués, le parasitisme économique est également rejeté par les juges.

En effet, ceux-ci considèrent que :

  • La notoriété de l'influenceuse est limitée ;
  • Le prétendu rituel de la photographie dans l'ascenseur ne constitue pas sa spécificité et ;
  • L’influenceuse ne démontre pas avoir effectué des investissements liés à son cliché qui feraient que celui-ci présente une valeur économique individualisée « dans le sillage de laquelle la société Maje se serait placée afin d'en tirer profit ».

En tout état de cause, la cour d’appel retient que les actes de parasitisme ne peuvent résulter des seules ressemblances existant entre les photographies en cause.

L'arrêt met ainsi en évidence les défis juridiques liés à l'utilisation des réseaux sociaux, notamment dans le domaine du marketing d'influence où les règles du droit d'auteur et du droit de la concurrence s'appliquent sans distinction. Il est donc essentiel de comprendre les implications juridiques liées à la diffusion d'œuvres sur ces plateformes.

Mesdames et Messieurs les influenceurs, sachez-le : « ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faire la grimace ». Alors avant de tenter de revendiquer vos droits, adossez-vous les services d’avocats pour que votre image et votre travail soient protégés et respectés.

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[1] Par une décision du 23 avril 2018, la 9ème cour d’appel des États-Unis a décidé qu’un singe ne pouvait pas prétendre aux droits d'auteur sur l'autoportrait réalisé en 2011 avec l'appareil du photographe David Slater

[2] Décision - RG n°21-16.270 | Cour de cassation

[3] Article L.112-2 du code de la propriété intellectuelle

[4] Article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle

[5] L’influenceuse soutenait notamment avoir été à l'initiative des prétendus choix artistiques suivants :
- Le choix du décor, à savoir une cage d'ascenseur au revêtement argent éclairée par une lumière artificielle et non un lieu à l'extérieur avec une lumière naturelle ;

- le choix du sujet c'est-à-dire de se photographier elle-même avec un téléphone, sans faire appel à un photographe professionnel ;

- le choix de mettre en scène son chien ;

- le choix d'une posture particulière, la laisse de son chien dans une main, son téléphone portable dans l'autre main et le regard vers le bas ;

- le choix du cadrage, en optant pour un format vertical permettant une photographie en pied et la mise en valeur de sa tenue vestimentaire.

[6] Le risque de confusion dans l’esprit du public résultant de la reproduction ou commercialisation d’un produit serait considéré comme un comportement déloyal, constitutif d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil

[7] La cour d’appel va jusqu’à souligner que l’influenceuse ne justifie que d’un taux d'engagement à hauteur de 1,02 %, ce qui représente une audience de 300 personnes par publication.

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Auteur Haas Avocats

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