Par Gérard Haas et Virgile Servant Volquin
A propos de Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – Ch. 11, arrêt du 17 septembre 2021
Le secteur de la pharmacie en ligne connaît des évolutions rapides liées à la digitalisation du secteur.
Cette évolution s’appréhende par les effets combinés de l’évolution matérielle et territoriale du métier de pharmacien. En effet :
- La parapharmacie en ligne connaît une croissance régulière et importante de son chiffre d’affaires.
- La digitalisation du marché est marquée par la mise en concurrence des pharmaciens français avec des acteurs européens du secteur structurés depuis plus longtemps.
Cette cohabitation n’est pas sans susciter des frictions liées aux diverses réglementations nationales, qui ont donné notamment lieu à un contentieux judiciaire entre plusieurs organisations représentatives de pharmaciens français et le groupe néerlandais Shop-Apotheke BV.
Le contexte
En 2015, Shop-pharmacie.fr a lancé une campagne publicitaire à destination du public français. La promotion des services de parapharmacie en ligne a été faite en :
- Insérant massivement des prospectus publicitaires dans des colis d’opérateurs tiers du commerce en ligne comme Zalando (méthode de « l’asilage ») ;
- Proposant des rabais à compter d’un certain montant de commande ;
- En ayant recours au référencement payant sur Internet
- N’exigeant pas le remplissage d’un questionnaire de santé dans le processus de commande de médicaments en ligne, comme le veut la réglementation française.
Ces pratiques pouvant être interprétées comme contraires aux règles qui encadrent l’activité de vente en ligne de médicament en France, une action a été intentée par un groupement de pharmaciens sur le fondement de la concurrence déloyale.
Une question de droit européen
Le 11 juillet 2017, le Tribunal de commerce de Paris a rendu une décision allant dans le sens du groupement de pharmaciens français, considérant que la concurrence déloyale était caractérisée par le caractère indigne de la sollicitation de la clientèle française par Shop-Apotheke.
Soutenant que le droit français n’est pas applicable au litige, le groupe néerlandais a interjeté appel de la décision. Devant la difficulté de la question, la Cour d’Appel de Paris a sursis à statuer et saisi à titre préjudiciel la CJUE pour éclairer la conventionnalité des dispositions du code de la santé publique.
L’arrêt de la CJUE du 1er octobre 2020
La CJUE, citant nombre de jurisprudences antérieures, conclut à l’applicabilité de la directive 2000/31 sur le « commerce électronique » au litige[1].
Elle rappelle néanmoins que les Etats disposent d’une possibilité de déroger à ce cadre pour des raisons liées notamment à la protection de la santé publique[2], dans la mesure où lesdites mesures sont proportionnelles et nécessaires à la protection de l’intérêt visé.
Aux termes de l’arrêt, la Cour considère que la directive :
- Ne s’oppose pas à des restrictions nationales à la méthode de l’asilage, sauf à ce que le prestataire se voit ainsi privé de la possibilité de faire toute autre publicité pour ses services ;
- Ne s’oppose pas à des restrictions nationales sur un rabais promotionnel de médicaments, dans la mesure où les produits parapharmaceutiques sont écartés de cette restriction ;
- Ne s’oppose pas à des restrictions nationales tendant à soumettre la vente de médicaments en ligne à la soumission d’un questionnaire ;
- S’oppose à l’interdiction du référencement payant, sauf à démontrer sa proportionnalité au vu de la protection de la santé publique.
Décision du Conseil d’Etat du 17 mars 2021 n°440208
Dans le même temps, le Conseil d’Etat a été saisi de plusieurs demandes d’annuler pour excès de pouvoir la disposition de l’arrêté prévoyant l’interdiction du référencement payant des produits parapharmaceutiques en ligne.
La Haute Juridiction a considéré que cette interdiction était inconventionnelle et a enjoint le gouvernement à abroger la disposition. Il a, en effet, été décidé que la mesure n’était ni proportionnelle ni nécessaire à la protection de la santé publique.
La décision de la CA du 17 septembre 2021
Tenant compte des éléments mentionnés par la CJUE et du nécessaire examen de proportionnalité des mesures contestées, la Cour d’appel a tranché en faveur de Shop-Apotheke BV et a débouté les pharmaciens français de leurs demandes. Elle a ainsi considéré que :
- Les reproches tirés du risque de surconsommation de médicaments (asilage, rabais et absence de questionnaire) sont inopposables[3] à la société néerlandaise dans la mesure où l’Etat français n’en a pas notifié la Commission européenne et l’Etat-membre.
- La concurrence déloyale de la société néerlandaise n’est pas caractérisée dans la mesure où la réglementation française est formulée en des termes trop « abstraits» et que leur inadéquation au commerce électronique ne permet pas d’établir le cadre de l’examen de proportionnalité[4].
- La cour rajoute que les règles françaises auraient été considérées « inadaptées » voire à la « limite du protectionnisme» par l’Autorité de la concurrence[5].
Cependant, l’arrêt est critiquable pour trois raisons :
- L’arrêt fait peser des conséquences importantes sur les pharmaciens français, auxquels les dispositions du code de la santé publique restent opposables.
- Dès lors, il existe une distorsion de concurrence entre acteurs sur le territoire français puisqu’il reste impossible pour les pharmaciens français de faire de la publicité par voie d’asilage ou de se soustraire à l’obligation de faire remplir un questionnaire.
- L’arrêt retient l’inopposabilité des arrêtés à la société néerlandaise du fait de leur non-notification, qui n’est pas contestée.
- Pourtant la CJUE précise que cette inopposabilité est valable entre particuliers[6], ne précisant rien des conséquences de la non-notification pour les professionnels. Or, la société néerlandaise est bien un professionnel au sens du droit, qui aurait dû s’informer sur la réglementation applicable avant de proposer une offre au public français.
- Enfin, la Cour d’appel ne se prête pas à l’exercice de l’examen de la proportionnalité requis par la CJUE des dispositions contestées sous un double prétexte. D’une part elle souligne l’inopposabilité des mesures à la société néerlandaise, ce qui n’est pas ce qui ressort de l’arrêt de la CJUE. D’autre part, la Cour d’appel soutient que la réglementation française serait trop « abstraite » pour permettre un examen de proportionnalité in concreto, ce qui est contestable.
Impact sur la réglementation
Si un pourvoi en cassation n’est pas formé contre l’arrêt de la Cour d’appel, la situation qui en résulterait pour les pharmaciens français pourrait potentiellement recevoir la qualification de discrimination à rebours.
- Il s’agit, au sens du droit de l’Union européenne, de la situation dans laquelle les opérateurs étrangers sont favorisés par rapport aux opérateurs nationaux du fait de la protection de la libre circulation des services et marchandises du droit de l’Union.
L’Etat français n’aurait alors d’autre choix que :
- De notifier dans les plus brefs délais à la Commission européenne ainsi qu’aux Etats-membres concernés les mesures en cause dans le litige ;
- Ou d’abroger l’arrêté en cause, sauf à prendre le risque de voir les recours se multiplier devant le Conseil d’Etat.
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[1] Point 33
[2] Point 63
[3] Paragraphe 23, 34
[4] Paragraphe 43
[5] Paragraphe 44
[6] Point 43