Par Gérard Haas et Fleur Nougaret-Fischer
Les entreprises font face à une dépendance croissante vis-à-vis des logiciels informatiques, piliers de leur activité. Dépendance vis-à-vis des logiciels, et par conséquent, dépendance vis-à-vis de celui qui en assure la maintenance. En effet, seul celui qui a accès au code-source, peut assurer une maintenance corrective, évolutive et réglementaire.
Le code source est un ensemble d’instructions à la source d’un programme informatique. Il se présente sous la forme d'un texte lisible par un utilisateur et permet d'écrire les programmes destinés aux ordinateurs.
La jurisprudence le qualifie « d’œuvre de l’esprit » et lui accorde, à ce titre, la protection de la propriété intellectuelle.
Le 20 septembre 2021, la Cour d’appel de COLMAR a confirmé cette position jurisprudentielle.
Cela est l’occasion de revenir sur le régime juridique applicable au code-sources et sur les enjeux qu’il représente pour l’autonomie des utilisateurs vis-à-vis de leur fournisseur.
Les faits
Après plusieurs années de collaboration, une société utilisatrice résilie le contrat de service qu'elle avait conclu avec une entreprise informatique. Ce contrat portait sur l'installation et la maintenance d'un ERP. Souhaitant continuer à utiliser le progiciel, elle mit son fournisseur en demeure de lui communiquer les codes-source. Celui-ci s’y oppose.
La décision
La Cour d’appel de COLMAR rejette les demandes de la société cliente au motif que celle-ci n’avait acquis que le droit d‘utiliser le logiciel mais n’en avait pas acquis la propriété.
En outre, elle lui ordonne de cesser d’utiliser le progiciel, considérant que les effets d’un contrat résilié ne peuvent pas être prorogés après sa résiliation par l’une des parties.
La confirmation de la protection des codes-source par la propriété intellectuelle
L’article L112-2 du Code de la propriété intellectuelle prévoit la protection des logiciels par le droit d’auteur. Cette protection a été étendue aux codes-source par la jurisprudence depuis de nombreuses années. Celle-ci considère en effet que « les programmes sources sont pareillement protégés par le code de la propriété intellectuelle, ainsi que les codes sources, dans la mesure où ils sont la matérialisation d’un effort intellectuel » (Tribunal de commerce de Paris, 15 octobre 2004, Conex/Tracing Server).
On comprend la logique de cette jurisprudence puisque fournir les codes sources reviendrait à permettre à un autre prestataire concurrent de l’auteur du logiciel de se servir de son savoir contenu dans celui-ci pour le développer.
D’ailleurs, l’utilisation et la reproduction d’un code source, sans autorisation de son propriétaire, constitue une contrefaçon des droits d'auteur. (Tribunal de grande instance de Paris, 3ème chambre 3ème section, 5 mars 2008, 05/18627).
Dans l’arrêt de la Cour d’appel de Colmar, les juges ont relevé que les conditions générales prévoyaient que « sauf stipulation contraire, le logiciel mis à disposition du client dans le cadre du présent contrat reste la pleine et entière propriété du fournisseur. »
Ils en ont déduit que le logiciel appartenait au fournisseur et ont rejeté la demande de la société cliente portant sur la transmission des codes sources. Les juges confirment donc, in fine, que la propriété du logiciel entraine celle des codes sources. Ceux-ci sont ainsi appréhendés juridiquement comme l’accessoire du logiciel.
La décision de la Cour d’appel de COLMAR s’inscrit donc dans la droite ligne de la jurisprudence antérieure.
Néanmoins, si cette solution parait logique sur le plan juridique et patrimonial, elle peut poser problème sur le plan technique.
La dépendance des utilisateurs vis-à-vis de leur fournisseur
En effet, en l’absence de transmission des codes sources, l’utilisateur pour lequel a été conçu l’ERP ne peut procéder aux modifications nécessaires sans l’intervention du fournisseur. Il se retrouve donc en possession d’un logiciel qui devient rapidement obsolète et inadapté à son activité. Pire encore, l’utilisateur ne peut pas mettre en conformité le logiciel avec la législation en vigueur, notamment avec le RGPD, ce qui peut être lourd de conséquence en termes de responsabilité.
Par conséquent, sans accès au code-source, les utilisateurs sont dépendants de leur fournisseur.
La transmission des codes-source en cas de défaillance du fournisseur
Une solution alternative avait été prévue en l’espèce pour anticiper cette situation. En effet, une clause prévoyait la transmission des codes sources en cas de « défaillance » du fournisseur. La société cliente demandait à ce que cette clause soit appliquée, quand bien même le contrat avait été résilié.
Or, le terme de « défaillance » n’était pas précisément défini.
S’agissait-il de la rupture unilatérale du contrat par le prestataire ? D’une panne informatique non-résolue par celui-ci ?
La Cour d’appel a refusé d’appliquer cette clause et de transmettre les codes, considérant que les effets d’un contrat résilié ne pouvaient être prorogés après sa résiliation par l’une des parties.
La « défaillance » a donc été analysée par les juges comme un évènement ayant lieu pendant l’exécution du contrat et empêchant de procéder à la maintenance du logiciel. De toute évidence, la Cour a considéré que cela ne renvoyait pas à une rupture des relations commerciales.
Cet arrêt reflète la nécessité de définir précisément, au sein du contrat, ce que l’on entend par défaillance.
Ainsi, il apparaît que même si des précautions ont été prises en matière d’aménagement contractuel, accéder au code-source demeure extrêmement difficile en raison d’une jurisprudence très protectrice.
La rédaction du contrat de service et notamment de la clause de défaillance doivent donc faire l’objet d’une rédaction attentive afin de diminuer d’une part, la dépendance de l’utilisateur à l’égard du fournisseur, tout en protégeant, d’autre part, la propriété des codes-source.
Cette problématique peut être mise en parallèle avec celle de la « réversibilité », qui est la capacité, pour une entreprise ayant confié la gestion des documents numérisés et des données à un prestataire extérieur, de récupérer ceux-ci à l'issue du contrat. Cependant, là aussi, le processus ne va pas de soi : une clause de réversibilité doit être prévue afin d’assurer à la société cliente d’être autonome vis-à-vis de son prestataire informatique en cas de rupture du contrat, même si ce dernier s'achève de façon conflictuelle.
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