Par Amanda Dubarry et Emilien Burel
L’époque est indiscutablement marquée par l’omniprésence des réseaux sociaux tels que YouTube dont les heures de visionnages culminent à près d’un milliard d’heures chaque jour, d’Instagram, qui revendique 1,22 milliards de cibles potentielles pour les marques, ou encore de TikTok et ses 56 millions de téléchargement sur le seul mois de décembre 2020.
Le développement de ces plateformes s’est accompagné de l’émergence de nouveaux acteurs : les influenceurs.
Ces derniers jouissent d’une notoriété « numérique » du fait des nombreux internautes abonnés à leur chaine et/ou compte. Fort de cette communauté, les influenceurs sont approchés par des marques qui souhaitent mettre en avant leurs produits et services par leur intermédiaire.
Si prêter son image à une marque est courant, en particulier dans le monde du mannequinat, il en va différemment lorsque cela concerne des mineurs qui peuvent, volontairement ou malgré eux, devenir du jour au lendemain « influenceurs ».
L’influenceur est défini, selon l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) comme « un individu exprimant un point de vue ou donnant des conseils, par écrit, audio et/ou visuel, dans un domaine spécifique et selon un style ou un traitement qui lui sont propres et que son audience identifie ».
On observe que de nombreux mineurs, sur leur temps libre, utilisent les réseaux sociaux et essaient, à l’instar de leurs influenceurs favoris, de faire grandir leur propre communauté. Dans certains cas, ce sont les parents qui mettent en scène leurs enfants sur les plateformes en ligne afin de partager avec leurs « viewers » (spectateurs) leurs réactions dans des vidéos bien souvent monétisées. Les chaînes familiales, à mesure que leur notoriété croît, obtiennent ainsi un vrai pouvoir « d’influence ».
L’exploitation commerciale des enfants et plus précisément de leur image soulève de nombreuses questions, comme en témoignent les nombreuses polémiques suscitées par les chaînes dites « familiales ». Si ces questions ne sont pas nouvelles - de nombreuses stars sont devenues célèbres dès leur enfance - , l’impact psychologique des plateformes en ligne sur les enfants reste encore difficile à évaluer. Il apparaît sans nul doute que les nombreux commentaires haineux que reçoivent les influenceurs peuvent rapidement déstabiliser les plus jeunes, tout comme ils nuisent à la santé mentale de certains adultes.
1. La nécessité d’un régime légal sur mesure
Le travail des mineurs est réglementé depuis déjà bien longtemps. Ainsi, sous certaines conditions, comme l’autorisation du représentant légal ou la non-dangerosité des travaux, tout mineur peut dès 16 ans conclure tout type de contrat de travail.
Avant 16 ans, la loi prévoit également la possibilité pour ces enfants de travailler et de récolter le fruit de leur labeur. C’est ainsi que l’article L. 7124-1 du code du travail disposait déjà depuis le 1er mai 2008 que les enfants de moins de 16 ans ne peuvent, sans une autorisation individuelle préalable accordée par l’autorité administrative, être, à quelque titre que ce soit, engagés dans certaines activités professionnelles énumérées par la loi. Par conséquent, une autorisation permettait déjà à ces enfants d’exercer dans des entreprises de « spectacle », de « cinéma », de « télévision », de « compétitions de jeux vidéo » ou encore de « mannequinat ».[1]
Mais peut-on considérer que ces dispositions encadraient suffisamment les mineurs influenceurs ? Probablement pas puisque le législateur a récemment pris part au débat social, éthique et juridique sur le sujet.
Or cette activité d’influenceur ne semblait pas entrer dans le champ d’application de l’article L. 7124-1 du code du travail, à moins qu’elle ait été assimilée à celle de « mannequin », comme l’ont proposé certains auteurs. Cependant, même si elle semble habile, cette analogie reste fragile, et la nécessité d’un régime juridique spécifique se faisait ressentir. En effet, aucune jurisprudence n’avait jusqu’alors confirmé ce raisonnement pour les mineurs qui étaient alors exposés à un risque juridique. Or l’influenceur semble se distinguer du mannequin par la communauté qu’il fédère et ainsi l’influence qu’il développe sur celle-ci.
L’une des raisons de ces polémiques se situe également au regard de l’aspect financier. Le code du travail prévoyait déjà que pour les professions précitées soumises à autorisation, une part de la rémunération perçue par l’enfant pouvait être laissée à disposition des représentants légaux (L7124-9 du code du travail), le surplus étant versé à la Caisse des dépôts et consignations en attendant la majorité de l’enfant (ou son émancipation). Tout l’enjeu était donc de faire entrer l’activité d’influenceur dans le champ d’application des normes protectrices des articles L7124-1 et suivants pour mettre fin à l’incertitude qui planait.
2. Un nouveau régime suffisant ?
La loi n° 2020-1266 du 19 octobre 2020 visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne, entrée en vigueur le 20 avril 2021, a ainsi élargi le champ d’application des dispositions existantes. L’article L7124-1 prévoit désormais que les normes protectrices s’appliqueront aux mineurs dans les entreprises « d'enregistrements audiovisuels, quels que soient leurs modes de communication au public ». Ainsi, sans parler d’influenceurs, la loi les englobe dans son champ d’application grâce à des dispositions suffisamment larges pour prévoir un maximum de cas.
L’article L7124-1 du code du travail précédemment cité est désormais catégorique : les enfants influenceurs doivent eux aussi faire l’objet une autorisation administrative demandée par leurs représentants légaux auprès de l’inspection du travail. L’autorisation, qui prenait la forme d’un agrément pour les agences de mannequins employant des mineurs revêt désormais également cette forme pour les agences d’influenceurs employant des mineurs, sans qu’aucun doute ne subsiste, comme le précise l’article L7124-4-1 au code du travail.
Or, si une autorisation suppose un certain contrôle préalable, elle pourrait ne pas être suffisamment protectrice dans la durée. C’est pour cette raison que l’article L7124-3 du code suscité prévoyait déjà que l’autorisation pouvait être retirée à tout moment, et il en va de même pour l’agrément. Mais qui assure alors l’application de ces textes ? L’inspection du travail, sans doute, pourrait effectuer des contrôles a posteriori, mais il semble que le législateur ait confié aux plateformes en ligne un rôle essentiel dans la gestion des contenus d’enfants diffusés, afin d’avertir les autorités compétentes en cas de suspicions.
Face à la masse de vidéos impliquant des mineurs diffusés chaque jour sur les plateformes en ligne, celles-ci devront mettre à jour leur charte, voire perfectionner leurs algorithmes afin de répondre aux exigences qui leur incombent désormais au titre de l’article 4 de la loi du 19 octobre 2020, à savoir :
- De favoriser l’information des utilisateurs sur les dispositions applicables en matière de diffusion de l’image d’enfants et de leurs risques notamment psychologiques et juridiques, ainsi que des droits dont ils disposent (en particulier le droit à l’oubli dont la mise en œuvre doit être facilitée) ;
- De favoriser le signalement lorsque l’intégrité physique, l’intégrité morale, ou la dignité d’un enfant est en jeu, et d’améliorer la détection de telles situations ;
- D’empêcher que les données personnelles transmises à l’occasion de la mise en ligne d’un contenu soient utilisées à des fins commerciales.
La loi précise également que dès lors qu’un revenu est tiré de l’activité de l’enfant, une autorisation est toujours requise et la somme ainsi générée est placée à la Caisse des dépôts et consignations tout comme elle l’est pour les activités professionnelles. La part des revenus pouvant être mis à disposition des représentants légaux est alors déterminée par l’autorité compétente.
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[1] Voir articles L. 7124-1 à L. 7124-21 et R. 7124-1 à R. 7124-38 du Code du travail