Par Gérard Haas, Eve Renaud Chouraqui et Magali Lorsin-Cadoret
Par trois arrêts rendus le 16 février 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation est venue réaffirmer la liberté dont dispose la tête d’un réseau de distribution sélective pour choisir ses distributeurs[1].
Dans les faits, les constructeurs automobiles Mercedes et Hyundai avaient conclu des contrats de distribution sélective avec des sociétés distributrices, ainsi que des contrats de réparateur agréé.
Souhaitant anticiper l’entrée en vigueur du règlement (UE) n°330/2010 du 20 avril 2010 relatif à l’application de l’article 101, paragraphe 3 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées, les constructeurs ont résilié les contrats de distribution, aux fins de pouvoir réorganiser leur réseau de distribution de manière conforme à ce nouveau règlement.
Postérieurement à cette résiliation, les distributeurs n’ont pu obtenir un nouvel examen de leur demande d’agrément.
Considérant que ce refus d’examen (ainsi que la résiliation successive du contrat de réparateur agréé) constituait une faute, les anciens distributeurs ont assigné les constructeurs aux fins d’obtenir la réparation de leur préjudice.
Leurs demandes étaient à la fois fondées sur le droit de la concurrence (les articles 101 du TFUE et L 420-1 du code de commerce) et sur le droit civil (notamment l’ancien article 1382 du code civil).
Leurs demandes ont été rejetées sur les deux fondements.
La licéité du refus d’agrément sur le terrain du droit de la concurrence
L’article 101 du TFUE interdit les accords entre entreprises « qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur ».
Cependant, il est de jurisprudence constante que les réseaux de distribution sélective ne sont pas contraires au droit des ententes.
Dans son arrêt Metro[2] , la CJUE a précisé que « la commission a, à juste titre, reconnu que des systèmes de distribution sélective constituaient, parmi d’autres, un élément de concurrence conforme à l’article 85, paragraphe 1 ; à condition que le choix des revendeurs s’opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, relatifs à la qualification professionnelle du revendeur, de son personnel et de ses installations, que ces conditions soient fixées d’une manière uniforme à l’égard de tous les revendeurs potentiels et appliquées de façon non discriminatoire ».
Cette jurisprudence a été consacrée en 2010 par le règlement n°330/2010 puisque les articles 3 et 4 de ce dernier prévoient une exemption de tels accords :
« à condition que la part de marché détenue par le fournisseur ne dépasse pas 30% du marché en cause sur lequel il vend les biens ou services contractuels et que la part de marché détenue par l’acheteur ne dépasse pas 30% du marché en cause sur lequel il achète les biens ou services contractuels » et à la seconde condition qu’il n’existe pas de restriction caractérisée.
En l’espèce, la Cour de cassation a relevé :
- d’une part, que les constructeurs et les distributeurs détenaient respectivement moins de 30% des parts de marché et,
- d’autre part, que les distributeurs n’avaient ni soulevé ni prouvé l’existence d’une restriction caractérisée.
Prenant acte de ce constat, la Cour en conclut :
« qu’un système de distribution sélective dans lequel la tête de réseau refuse son agrément sans avoir évalué la candidature sur la base des critères qualitatifs et quantitatifs ne perd par le bénéfice de l’exemption conférée par le règlement sur les accords verticaux ».
La licéité du refus d’agrément sur le terrain du droit civil
La Cour de cassation dans une formule dénuée de toute ambiguïté rappelle que[3] :
« Le principe de la liberté contractuelle et la prohibition des engagements perpétuels s’opposent à la reconnaissance d’un droit à l’agrément d’un ancien membre d’un réseau de distribution ».
Poursuivant son raisonnement, la Cour indique :
« En outre, l’obligation de bonne foi contractuelle n’impose pas à la tête d’un réseau de distribution, ni la détermination, ni la mise en œuvre d’un processus de sélection des distributeurs sur le fondement de critères définis et objectivement fixés, ni l’application de ceux-ci de manière non discriminatoire ».
Enfin, dans l’arrêt Mercedes, la Cour de cassation retient que l’abus du droit de ne pas contracter n’est pas caractérisé, compte tenu du fait que le constructeur a fondé son refus d’agrément sur le contentieux qui l’oppose au distributeur et qui met à mal la confiance nécessaire entre les deux parties.
Naturellement ces arrêts, s’ils permettent, dans les limites fixées, de libérer la tête de réseau et de lui permettre de disposer d’une possibilité (sans risque) de renouveler d’anciens distributeurs, ne sont pas sans conséquence sur les distributeurs, lesquels auront investi et capitalisé sur cette relation contractuelle.
La sortie de tels contrats et la sécurisation de cette sortie au regard du droit civil et du droit de la concurrence nécessite une analyse préalable et circonstanciée afin d’anticiper tout risque.
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Fort d’une expérience dans le domaine du droit de la concurrence et de la régulation économique et du droit des plateformes, le Cabinet HAAS Avocats dispose d’un département entièrement dédié à l’accompagnement de ses clients.
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[1] Cass. com., 16 févr. 2022, n°20-11.754, Mercedes ; Cass. com., 16 févr. 2022, n°21-10.451, Hyundai 1 ; Cass. com., 16 févr. 2022, n°20-18.615, Hyundai 2
[2] CJCE, 25 oct. 1977, aff. C-26/76, Metro, spec. n°20
[3] Elle avait déjà statuer en ce sens dans un précédent arrêt : Cass. com., 12 mai 2021, n°19-17.580