Par Gérard Haas et Kate Jarrard
Jambon 2 - Carotte Yuka 0
Moins de cinq mois après une condamnation similaire par le tribunal judiciaire de Paris, l’appli alimentaire Yuka a de nouveau été condamnée pour avoir dénigré des charcuteries industrielles.
Cette fois-ci, le classement d’une gamme de jambon cuit parmi les additifs cancérigènes et génotoxiques était en cause devant le tribunal de commerce aixois.
Au-delà du débat de santé publique sur les nitrites, c’est l’occasion pour nous de vous rappeler les règles relatives au dénigrement et aux pratiques commerciales trompeuses.
Le dénigrement est la divulgation d’une information visant à jeter le discrédit sur les produits ou les services d’une entreprise, et ce y compris en l’absence d’une situation de concurrence entre les personnes concernées.
Le dénigrement est caractérisé lorsque les conditions suivantes sont réunies :
Cependant, il est possible d’échapper à cette qualification en apportant la preuve que l’information en cause se rapport à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve que cette information soit exprimée avec une certaine mesure.
Une pratique commerciale est considérée comme déloyale lorsqu'elle :
Susceptibles de tromper le consommateur, ces pratiques sont donc interdites.
Une pratique commerciale est trompeuse si :
Font partie des caractéristiques essentielles du bien ou du service : ses qualités substantielles, sa composition, son origine, sa quantité, ses propriétés, ou encore les résultats attendus de son utilisation, etc.…
Une pratique commerciale est également trompeuse si, compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l'entourent, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu'elle n'indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte.
Dans une affaire précédente, en mars 2020, Yuka avait été obligée de supprimer certaines parties d’un article intitulé « Halte aux emballages toxiques » alertant les consommateurs sur les dangers de l’aluminium lorsqu’il est contenu dans les emballages de produits comestibles.
En effet, les propos tels que « 1. Evitez au maximum » les aliments en conserve manquaient de mesure, compte tenu de l’amalgame réalisé entre les conserves contenant de l’aluminium et celles, majoritaires, qui n’en contiennent pas.
Surtout, l’article reposait sur une source unique ayant été interprétée de manière extensive et citée à mauvais escient (soit une interview d’un nutritionniste), soit une absence de base factuelle suffisante.
Dans l’affaire de mai 2021, qui opposait Yuka à la Fédération des industriels charcutiers traiteurs (FICT), le tribunal a considéré qu’un lien dans l’application, qui renvoyait vers une pétition en ligne appelant à interdire ces composants, constituait un acte de dénigrement.
Plus précisément, en scannant un produit de charcuterie dans l’application :
Les magistrats ont considéré que Yuka avait eu pour objectif de disqualifier les produits de charcuterie-salaison et d’inciter les consommateurs à ne pas consommer ces produits.
Au cas présent, le groupe ABC Industrie s’est plaint d’un mauvais classement sur l’application relatif à l’une de ses gammes de jambons cuits, compte tenu notamment de leur teneur en nitrites.
Le fabricant de charcuterie reprochait alors à Yuka de diffuser des informations fausses sur les dangers des nitrites pour la santé des consommateurs, lui occasionnant d’importants préjudices financiers et moraux, et une atteinte grave à sa réputation.
Plus précisément, la présence de l’additif E250 dans les produits de ABC sur l’application Yuka provoque une note basse aux détails non communiqués et, dans les défauts du produit, figure la mention « additifs : présence d’additifs à éviter », l’ensemble estampillé d’une pastille rouge.
En cliquant sur un symbole « V » accolé à l’additif, le consommateur découvre qu’il est noté « à risque élevé ».
Le consommateur doit ensuite ouvrir plusieurs pages afin d’en savoir plus, et de découvrir notamment des « sources scientifiques », parfois en anglais, et non nuancées.
Enfin, un bandeau apparaît sous l’image du produit ABC : « pétition interdiction des nitrates. Additif favorisant l’apparition du cancer colorectal et de l’estomac ».
Et le magistrat de confirmer :
« les informations accessibles au consommateur sont difficiles d’accès par des manipulations multiples, donc à contretemps, mais aussi dissuasives, inintelligibles donc ambiguës pour le consommateur, parcellaires en ne citant souvent que le titre de l’étude et incomplètes voire orientées en omettant d’autres sources tout aussi essentielles délivrant des informations pourtant substantielle rééquilibrant la vérité scientifique du message délivré, souvent pour le rendre plus rassurant pour sa santé. »
Aussi, en utilisant les mentions « cancérigènes » et « génotoxiques », Yuka trompe effectivement les consommateurs.
Susceptibles d’induire en erreur le consommateur, les pratiques commerciales trompeuses sont interdites et passibles d’une peine d’emprisonnement de 2 ans et d’une amende d’un montant de 300 000 euros, lequel peut être porté à 10% du chiffre d’affaires moyen annuel ou 50% des dépenses engagées pour la réalisation de la publicité ou de la pratique.
Ici, le groupe ABC réclamait plus de 500 000 € de préjudice.
Le tribunal d’Aix-en-Provence a condamné l’application au paiement de 25 000 € pour préjudice moral et réputationnel (et 10 000 € de frais d’avocats).
C’est 5 000 € de plus que la condamnation parisienne de mai dernier au profit de la FICT, et 22 000 € de plus que la condamnation versaillaise en référé de 2020 au profit de la Fédération française des industries des aliments conservés (Fiac).
De plus, la société a notamment été condamnée à :
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La société qui scanne l’alimentation a cependant interjeté appel de ce jugement, ainsi que celui rendu par les magistrats parisiens en mai dernier.
Un nouveau procès devrait également se tenir le 17 septembre prochain opposant une fois de plus l’application à un charcutier, cette fois-ci aveyronnais.
A suivre...
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