Par Gérard Haas et Marie Cadot
Le consommateur, soucieux de ce qu’il consomme, ressent le besoin de s’informer sur les produits du quotidien. Afin de répondre à ce besoin, la société Yuca a développé l’application « Yuka » qui permet de déchiffrer la composition des produits alimentaires et cosmétiques et attribue à ceux-ci une note de 0 à 100, dont 30% de la note est liée aux additifs et donne un avis sur la qualité de ces produits, de « excellent » à « médiocre » jusqu’à « mauvais ».
Avec plus de 18 millions d’utilisateurs dans une dizaine de pays et touchant près de 22% des français, l’application Yuka est le leader français des applications alimentaires et détient une réelle influence sur les choix des consommateurs.
Cette influence l’expose à des risques juridiques plus importants, en effet c’est la seconde fois que Yuca fait l’objet en un an de poursuites judiciaires sur le fondement du dénigrement. Déjà condamnée en mars 2020 par le tribunal de commerce de Versailles pour dénigrement à l’encontre de la Fédération Française des Industries des Aliments Conservés à la suite de son article « Halte aux emballages toxiques »[1], Yuca vient d’être condamnée à nouveau pour dénigrement et pratiques commerciales déloyales et trompeuses.
En proposant de signer une pétition contre les nitrites et les nitrates à ses millions d’utilisateurs, l’application Yuka a attiré l’attention de la Fédération des industriels charcutiers traiteurs (ci-après « la FITC ») qui l’a assignée en justice. Le 25 mai dernier[2], le tribunal de commerce de Paris a rendu sa décision et condamne Yuca pour dénigrement et pratique commerciale déloyale et trompeuse.
Constitue un acte de dénigrement la divulgation d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé, mettant en cause ses qualités pour en déconseiller fortement l’utilisation. Le dénigrement suppose de caractériser cet objectif de disqualification chez son auteur.
Le dénigrement peut être caractérisé même en l’absence de situation de concurrence entre les personnes concernées, dès lors qu’est établi que les propos litigieux ont un impact sur le comportement de la clientèle de la partie qui se prétend dénigrée.
Cet impact peut être avéré ou potentiel en ce qu’il est susceptible de conduire à un mouvement d’opinion défavorable pouvant aller jusqu’à infléchir la réglementation en défaveur d’un produit visé. L’acte de dénigrement apparaît donc d’autant plus préjudiciable qu’est grande la confiance qu’accordent à son auteur les clients des produits visés.
Le dénigrement est caractérisé lorsque les conditions suivantes sont réunies :
Il est cependant possible d’échapper à cette qualification en apportant la preuve de l’existence d’une base factuelle suffisante d’observations objectives au regard de la gravité des allégations en cause et, dans cette hypothèse, sous réserve que cette information soit exprimée avec une certaine mesure.
En scannant un produit de charcuterie, la note de « 0/100 » apparaissait, l’adjectif « mauvais » venait qualifier le produit et le consommateur se voyait invité par l’application Yuka à signer une « Pétition interdiction des nitrites - Additifs favorisant l’apparition du cancer colorectal et de l’estomac ».
Par ces pratiques, Yuca a eu pour objectif de disqualifier les produits de charcuterie-salaison et d’inciter les consommateurs à ne pas consommer ces produits. Notons que l’application détient un impact considérable sur la clientèle et avait de ce fait une incidence sur la vente de produits de charcuteries-salaison. En effet, la mesure d’impact que Yuca a fait réaliser par un organisme tiers révèle d’une part que :
Par conséquent, Yuca exerce un double impact sur le comportement des consommateurs
1 |
Dissuade d’acheter certains produits dans un objectif sanitaire |
2 |
Incite à des arbitrages collectifs comme moyen de pression visant à interdire la vente de certains produits |
Au surplus, le tribunal relève que les « allégations [de Yuca] peuvent ne pas reposer sur une base d’observations objectives mais « vraisemblables », qu’elle émet des avis péremptoires sur des produits alors qu’elle reconnaît qu’ « il n’existe pas une seule « bonne » appréciation des additifs » et que « la liberté de critique » l’autorise à « l’encouragement à ne plus consommer certains produits sans aucune base factuelle ». Là où la réglementation européenne fait contrepoids puisqu’elle autorise l’ajout d’addictifs à certains produits.
En outre, le tribunal de commerce de Paris "interdit à Yuca d'opérer un lien direct entre, d'une part la pétition +Interdiction des nitrites+ ou tout appel à interdire l'ajout de nitrites ou de nitrates dans les produits de charcuterie, d'autre part les fiches de l'application Yuka relatives aux produits de charcuterie".
En application de l’article L121-1 du Code de la consommation, une pratique commerciale est considérée comme déloyale lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service. Susceptibles de tromper le consommateur, les pratiques commerciales déloyales sont interdites.
Suivant l’article L121-2 du Code de la consommation une pratique commerciale est trompeuse lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant notamment sur les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir notamment ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation. Il résulte de l’article L121-3 du même code, une pratique commerciale est considérée comme trompeuse si elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou si elle n’indique pas sa véritable intention commerciale.
Au sujet des pratiques commerciales trompeuses,
n’hésitez pas à lire notre article relatif à la plateforme de vente Vinted.
Yuca attribuait une note et appréciait la qualité des produits en se référant à des institutions et des travaux scientifiques sans que le consommateur puisse vérifier la corrélation entre ces travaux et les conclusions que Yuca en tirait. Son appréciation des produits ne reposait pas sur une base factuelle suffisante d’observations objectives au regard de la gravité de ces allégations.
Par conséquent, Yuca a commis :
Yuca clame vouloir informer au mieux les consommateurs et fait appel de la décision du tribunal de commerce de Paris ne comprenant pas cette dernière. Cette décision est exécutoire et ordonne la suppression et la modification d’allégations négatives contre les nitrites et nitrates utilisées par Yuca.
Le match n'est par conséquent pas terminé, rendez-vous à la sortie de la décision de la Cour d’appel de Paris.
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Fort d’une expérience dans le domaine du droit de la concurrence et du droit de la consommation, le cabinet HAAS Avocats dispose de départements entièrement dédiés à l’accompagnement de ses clients, capables de réaliser tout audit, étude d’impact des pratiques commerciales déployées et de les assister dans leur contentieux judiciaire.
Le Cabinet est naturellement à votre entière écoute pour toutes problématiques que vous pourriez rencontrer.
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[1] Tribunal de commerce de Versailles, 5 mars 2020 - n° 2020R00032
[2] Tribunal de commerce de Paris, 1ère chambre, 25 mars 2021