Contrôle de l’âge en ligne : l’Europe protège-t-elle les mineurs ?

Contrôle de l’âge en ligne : l’Europe protège-t-elle les mineurs ?
⏱ Lecture 5 min

Par HAAS Avocats

La frontière entre réalité et virtuel s'estompe, les enfants naviguent sans carte ni boussole. Nos jeunes, ces nouveaux poissons rouges au temps d'attention limité, tournent en rond dans le bocal numérique des plateformes qui les emprisonnent, où chaque geste, chaque clic, est soigneusement mesuré, prédictible, monétisé.

Nous assistons à une mutation anthropologique silencieuse : la marchandisation de l’attention des mineurs.

La prolifération fulgurante des plateformes numériques pose un défi sociétal sans précédent. Les mineurs s'y retrouvent exposés, souvent malgré eux, à des contenus violents ou inappropriés, leur développement affectif et cognitif compromis par cette consommation d'écrans aussi excessive qu'addictive.

Cette addiction n'est pas accidentelle. Les architectes du numérique ont construit des pièges d'attention parfaits, exploitant les vulnérabilités psychologiques avec la précision d'horlogers suisses. Comme dans les expériences de Skinner, nos enfants appuient compulsivement sur les notifications, prisonniers d'un système de récompense aléatoire qui transforme chaque consultation en potentielle gratification.

Face à ces prédateurs de l’attention, il est impératif de protéger activement les mineurs car il serait illusoire de croire que ce phénomène est marginal ou passager.

La vérification de l’âge en ligne est donc devenue un enjeu majeur pour protéger les mineurs des contenus susceptibles de nuire à leur santé mentale[1]. Alors que le Digital Services Act impose de nouvelles obligations aux grandes plateformes, les géants du numérique — Meta, Google et Apple — se renvoient la responsabilité de cette vérification.

Dans un contexte d’initiatives dispersées, de pression croissante des institutions et d’inquiétudes grandissantes autour du bien-être des jeunes, le débat reste vif[2].

Dès lors, protéger les mineurs ne relève pas d’un simple impératif moral : c’est un enjeu civilisationnel.

Si les États tardent, si les entreprises tergiversent, si les familles sont désarmées, alors la génération qui vient risque de grandir dans un monde sans seuil, sans filtre, sans protection. Il ne s’agit plus de réguler les plateformes : il s’agit de sauver ce qui reste de l’enfance.

Mais lorsque les géants se rejettent la balle, qui doit réellement prendre en charge la protection des mineurs sur Internet ?

Un bras de fer entre les géants du numérique : qui doit vérifier l’âge des mineurs ?

Il faut poser les bases d’une architecture de la responsabilité. La vérification de l’âge en ligne, trop longtemps reléguée au rang de formalité technique, devient un pivot stratégique. 

Le Digital Services Act tente de redessiner les contours de cette régulation, mais les géants du numérique — Meta, Google, Apple — jouent au billard à trois bandes, chacun prétendant que l’autre détient la clé du problème : Qui doit assumer la charge — non pas juridique seulement, mais éthique et politique — de la protection des plus jeunes ?

Meta mise sur les app stores pour déléguer le contrôle de l’âge des mineurs

Meta propose de transférer la responsabilité de la vérification de l’âge des utilisateurs des plateformes elles-mêmes aux magasins d’applications, en amont de l’accès aux services.

Selon Meta, cette centralisation faciliterait le contrôle parental en permettant aux familles de gérer plus aisément l’ensemble des applications utilisées par leurs enfants, en moyenne de 44 chez les adolescents.

Cependant, cette proposition semble également motivée par des intérêts stratégiques. En déléguant la vérification d’âge aux app stores, Meta cherche indirectement à affaiblir ses concurrents, notamment TikTok, dont l’audience est majoritairement composée de jeunes.

Une telle vérification en amont pénaliserait davantage TikTok que Facebook, qui reste aujourd’hui marginal auprès des mineurs.

Google et Apple répondent : stratégies contrastées face à la vérification d’âge

Consciente de la pression grandissante autour de la sécurité numérique des mineurs, Apple a rapidement répondu en déployant une série d’outils techniques : une configuration simplifiée des comptes enfants, un filtrage de la nudité dans FaceTime, un partage contrôlé des données d’âge avec les développeurs, ainsi que de nouveaux classements par âge sur l’App Store.

Par ces mesures, Apple affirme avoir pleinement assumé sa responsabilité de régulateur technique.

De son côté, Google a vivement contesté la proposition de Meta. Kate Charlet, directrice mondiale de la vie privée, l’a qualifiée de « trompeuse », estimant qu’elle exonérerait les développeurs de leurs responsabilités tout en contraignant les app stores à collecter des données inutiles.

En réponse, Google a déployé « Credential Manager », une API permettant aux applications Android de procéder à une vérification sécurisée de l’âge des utilisateurs directement au sein de leurs services.

Protection des mineurs en ligne : la France avance seule, le cadre européen reste limité

Les failles du DSA et de la régulation européenne

Entré en vigueur en 2024, le DSA impose aux grandes plateformes des obligations de protection des mineurs, notamment par l’article 28 prévoyant des mécanismes fiables de vérification de l’âge. Cependant, les lignes directrices européennes attendues en juillet 2025 risquent d’être limitées, non contraignantes, et focalisées sur l’alcool, les jeux d’argent et la pornographie, laissant de côté des enjeux majeurs comme le cyberharcèlement, les contenus violents, la haine en ligne ou l’impact sur la santé mentale.

Pour en savoir plus sur le DSA, vous pouvez consulter notre article dédié ici.

Par ailleurs, une application européenne de certification d’âge est en cours de développement, avec un lancement prévu en 2026. Toutefois, son efficacité demeure limitée, puisqu’elle reposera sur le principe du volontariat et ne concernera que les personnes âgées de plus de 18 ans.

La France veut durcir l’accès des mineurs, mais reste isolée

Le gouvernement français adopte une posture plus ambitieuse. En effet, Emmanuel Macron a réaffirmé son souhait d’élever l’âge légal d’accès aux réseaux sociaux à 15 ans, contre 13 ans actuellement, position également soutenue par la ministre déléguée au Numérique, Clara Chappaz.

Toutefois, cette démarche se heurte à l’absence d’harmonisation au niveau européen sur la notion de « majorité numérique », créant une fragmentation réglementaire fortement exploitée par les GAFAM.

Régulation numérique : une responsabilité collective mal partagée

Le rôle attendu des associations et des opérateurs télécoms

Les associations de défense des mineurs pointent l’inaction des pouvoirs publics et le morcellement des responsabilités. Ces dernières demandent un contrôle de l’âge coordonné à tous les niveaux (plateformes, app stores et opérateurs télécoms, etc.), tout en protégeant les petits développeurs des contraintes techniques excessives.

Par ailleurs, celles-ci préconisent d’associer les opérateurs téléphoniques, déjà en mesure d’identifier les abonnés mineurs, afin d’instaurer un filtre complémentaire et limiter le monopole des grandes plateformes.

La nécessité d’une gouvernance européenne collective et réglementée

Un consensus commence à émerger face à cette problématique : la vérification de l’âge ne peut reposer uniquement sur la responsabilité des plateformes ou des app stores. Il est nécessaire d’instaurer un cadre juridique et technique commun.

Cela implique notamment l’adoption d’un standard européen d’identification numérique, la mise à disposition d’API interopérables pour tous les développeurs, ainsi que l’application de sanctions strictes en cas de manquement, conformément aux exigences du DSA.

Seule une coordination équilibrée entre plateformes, magasins d’applications, opérateurs télécoms et pouvoirs publics garantira une protection efficace des mineurs tout en soutenant l’innovation dans le secteur numérique.

La vérification de l’âge des mineurs en ligne cristallise alors un affrontement juridique et politique majeur entre acteurs privés, régulateurs et société civile. Si le DSA constitue un cadre légal, son efficacité reste limitée sans un engagement contraignant et coordonné. Protéger les mineurs exige alors une régulation européenne ambitieuse, harmonisée et pleinement appliquée, garantissant un équilibre entre innovation et responsabilités.

***

Le cabinet HAAS Avocats est spécialisé depuis plus de vingt-cinq ans en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle. Il accompagne de nombreux acteurs du numérique dans le cadre de leurs problématiques judiciaires et extrajudiciaires relatives au droit de la protection des données. Dans un monde incertain, choisissez de vous faire accompagner par un cabinet d’avocats fiables. Pour nous contacter, cliquez ici.

 

[1] Autre solution le contrôle parental, soulignons ici qu’à partir du 13 juillet 2024, tous les appareils connectés à internet commercialisés en France doivent pouvoir proposer une fonctionnalité de contrôle parental. Cette nouvelle disposition fait suite à la loi Studer votée en mars 2022 afin de protéger les mineurs de l'exposition aux écrans. L’Agence nationale des fréquences (ANFR) est chargée de faire respecter les exigences de la loi n° 2022-300 du 2 mars 2022 visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d’accès à internet.

[2] Protéger les jeunes des dangers des écrans et mieux réguler les réseaux sociaux

Question écrite n°03759 - 17e législature

https://www.senat.fr/questions/base/2025/qSEQ250303759.html

 

Haas Avocats

Auteur Haas Avocats

Suivez-nous sur Linkedin