Contrats : le Covid-19 est-il un cas de force majeure ?

Contrats : le Covid-19 est-il un cas de force majeure ?
⏱ Lecture 5 min

Par Frédéric Picard et Lucile Desbordes

Le 12 mars 2020, la Cour d’appel de Colmar rend sa première décision concernant le Covid-19 et la force majeure[1], dans une affaire de rétention administrative. La Cour a statué en l’absence de la partie à raison du risque sanitaire qu’elle représentait.

Elle s’est exprimée ainsi : les circonstances « étant extérieures, imprévisibles et irrésistibles, vu le délai imposé pour statuer et le fait que, dans ce délai, il ne sera pas possible de s’assurer de l’absence de risque de contagion et de disposer d’une escorte autorisée à conduire M. G. à l’audience ». La Cour a donc qualifié le risque de contagion du Covid19 comme de la force majeure.

Quelques jours plus tard, nous sommes le 17 mars 2020, à 12h00, et il est désormais interdit de sortir de chez soi, sauf dérogation manuscrite, dans des cas strictement limités.

Insuffisant, le 23 mars 2020, un Décret vient renforcer le confinement : une seule heure pour sortir dans un rayon d’un kilomètre est autorisée.

Les déplacements interdits, les contacts proscrits, les embrassades anéanties… mais qu’advient-il de nos contrats ? 

La force majeure évoquée par la Cour d’appel de Colmar avant que l’inévitable confinement ne se produise peut-elle s’appliquer dans tous les cas ?

1. Le contrat et la force majeure

Dans un contexte de confinement total, l’argument de la force majeure est sans cesse répété pour les professionnels qui, à raison de la situation sanitaire, ne peuvent pas honorer leurs obligations.

Cette croyance, s’est renforcée lorsque Monsieur Bruno Le Maire ministre de l’économie et finance, le 28 février dernier, s’est exprimé ainsi « l'Etat considère le coronavirus comme un cas de force majeure pour les entreprises ».

Dans des cas, où il est impossible de mettre en œuvre ce pour quoi on a signé, ou lorsque les évènements de la nature nous poussent à remettre à plus tard nos exécutions, la force majeure semble être le parfait argument pour s’exonérer de ses obligations et sans avoir à payer des dommages et intérêts à son cocontractant.

L’article 1218 du Code civil réformé dispose ainsi qu’« il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.

Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 ».

Il faut retenir deux choses sur la force majeure :

D’une part, il faut établir que l’évènement était imprévisible et irrésistible. D’autre part, si l’empêchement n’est que temporaire, l’exécution des contrats doit être suspendue, et ce n’est que si cet empêchement s’avère définitif que le contrat sera résolu de plein de droit.

Naturellement, le contrat pourra aménager les effets de la force majeure. C’est pourquoi, il conviendra toujours de se reporter au contrat avant de suspendre ou résilier le contrat.

En tout état de cause tous les contrats ont été bouleversés par cette interruption soudaine. Il faut donc déterminer si le Covid-19 peut être considéré comme un évènement susceptible d’être qualifié de force majeure et quelles en sont les conséquences sur les contrats en cours.

 2. La force majeure à l’épreuve du Covid-19 

Dans les cas de maladies infectieuses, la force majeure n’a jamais été admise. Le chikungunya[2], la dengue[3], la grippe H1N1[4] et même le bacille de la peste[5], n’ont pas fait céder l’exécution du contrat.

Ces maladies n’ont pas été considérées comme des cas de force majeure pour deux raisons, la maladie était déjà connue et n’était pas assez « mortelle » pour justifier l’inexécution du contrat.

A deux choses près, à l’époque de l’apparition de ces maladies, aucune mesure de confinement n’avait été prévue, et la propagation des virus et des personnes atteintes étaient de très loin moins importantes.

Le contexte du Covid-19 est pour le coup totalement inédit, et donc amène naturellement plusieurs questions.

Le virus est-il irrésistible au contractant ?

Le 30 janvier 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclarait que le covid-19 constituait une urgence de santé publique de portée internationale.  Au jour du 29 mars, il y a en France 40 174 cas de personnes infectés confirmés et 657 140 dans le monde. Il s’agit d’un virus létal, dont la vitesse de propagation est incontrôlable et pour lequel aucun remède n’a été encore trouvé.

C’est à raison de ces éléments et de l’inconnu dans lequel les jours s’enchainent que les autorités nationales multiplient les mesures restrictives, démontrant alors le caractère incontrôlé de la situation d’une part, et totalement inédit et imprévu d’autre part. Les décisions des pouvoirs publics de restreindre très fortement la liberté d’aller et venir, d’interdire tout rassemblement consistent en des cas de force majeure qui sont insurmontables à l’exécution d’obligations contractuelles.

Le virus est donc bien irrésistible au contractant.

Une autre question se pose : est-ce que le virus pouvait être raisonnablement prévu au moment de la conclusion du contrat ? A partir de quand ce virus peut être considéré comme de la force majeure ?

Il faut démontrer le lien entre l’évènement et l’impossibilité d’exécuter les obligations issues du contrat. Toutes les prestations liées à l’organisation d’évènements supposant le rassemblement de personnes, doivent analysées sous l’égide des arrêtés qui ont réduit petit à petit le nombre de personnes pouvant se réunir jusqu’à interdire toute réunion. Tous les évènements qui devaient avoir lieu avant les mesures de restrictions et qui ont été annulés par précaution, ne pourraient pas se prévaloir de la force majeure car ils n’étaient pas légalement contraints d’annuler l’évènement.

De plus, toutes les représentations culturelles, colloque, ou meeting par exemple, peuvent être reportés jusqu’à la fin du confinement et l’autorisation de pouvoir se rassembler. Ainsi, la résolution du contrat n’est pas nécessairement la solution.

Pour les contrats conclus avant même les mesures de confinement, peut-on dire qu’en décembre 2019 lorsque la Chine connaissait ses premiers cas infectés, les conséquences futures étaient-elles prévisibles au point de justifier une inexécution contractuelle ? Quand les premiers confinements ont commencé, et notamment Italie, est-ce qu’on peut considérer que les mêmes mesures allaient être mises en place en France quelques semaines plus tard ? La réponse à ces questions va faire dépendre la qualification de force majeure. Mais pour le moment, il n’y a qu’une seule décision rendue sur le sujet et qui ne concerne pas la matière contractuelle, les juges nous diront la suite.

Enfin, la qualification de la force majeure va aussi dépendre des clauses contenues au contrat. De manière générale, la clause force majeure est encadrée et délimitée. Il faudra apprécier les évènements en fonction de ce qui a été prévu au contrat.

Une dernière chose, l’article 1195 du Code civil prévoyant l’imprévision n’est pas non plus totalement étranger à la situation. En effet, « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe ».

Dès lors que le recours à l’imprévision n’est pas interdit par le contrat, les parties auront toujours la possibilité de renégocier les termes de leurs obligations.

Le cabinet HAAS se tient à votre disposition pour analyser votre contrat et l’application de la force majeure à ce dernier.

***

Le Cabinet HAAS Avocats, fort de son expertise depuis plus de 20 ans en matière de nouvelles technologies, accompagne ses clients dans différents domaines du droit, mais aussi en matière de droit des contrats. Si vous souhaitez avoir plus d’informations au regard de la réglementation en vigueur, n’hésitez pas à faire appel à nos experts pour vous conseiller. Contactez-nous ici

 

[1] CA Colmar, 6e ch., 12 mars 2020, n° 20/01098

[2] CA de Basse-Terre, 17 déc. 2018, n° 17/00739

[3] CA Nancy, 22 nov. 2010, n° 09/00003

[4] CA Besançon, 8 janv. 2014, n° 12/0229

[5] CA Paris, 25 sept. 1996, n° 1996/08159

 

Frédéric PICARD

Auteur Frédéric PICARD

Suivez-nous sur Linkedin