Par Haas Avocats
Le 4 février 2025[1], la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu une décision marquante concernant l'appel au boycott publicitaire sur la chaîne de télévision CNews, confirmant l'ordonnance de non-lieu émise en première instance. Cet arrêt intervient dans un contexte où la liberté d'expression se confronte aux débats sur la légitimité des actions militantes visant à dénoncer certains discours médiatiques.
Liberté d'expression et lutte contre la haine en ligne : un encadrement jurisprudentiel renforcé
L'affaire trouve son origine dans la plainte de la chaîne CNews, qui considérait que l'appel au boycott publicitaire lancé par le collectif Sleeping Giants à l'encontre de son émission « Face à l'info » constituait une discrimination fondée sur des opinions politiques, visant à entraver son activité économique. En cause, les déclarations polémiques de l'éditorialiste Éric Zemmour, qui avaient suscité des réactions vives et divisé l'opinion publique.
La Cour de cassation a dû arbitrer entre la liberté d'expression et les limites imposées par la loi pour lutter contre les abus susceptibles d'affecter les activités économiques. Cet arrêt s'inscrit dans une jurisprudence plus large sur la responsabilité des acteurs publics et privés dans l'espace médiatique, en particulier lorsqu'il s'agit d'appels à des actions collectives influençant l'économie.
La liberté d'expression : un principe fondamental sous contrôle
L'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme consacre la liberté d'expression comme un droit fondamental. Toutefois, cette liberté n'est pas absolue et peut être soumise à des restrictions déterminées par la loi, dès lors qu'elles répondent à un objectif légitime et sont proportionnées à cet objectif.
Dans l'affaire du boycott publicitaire sur CNews, la Cour de cassation a jugé que l'action militante des Sleeping Giants s'inscrivait dans un débat d'intérêt général, relevant ainsi de la protection conférée par l'article 10. Elle a estimé que l'incitation des annonceurs à retirer leurs publicités constituait une expression politique et sociétale, et non un acte discriminatoire sanctionnable par le droit pénal. Ce raisonnement rappelle que les actions collectives destinées à influencer des comportements économiques peuvent relever de la liberté d'expression, tant qu'elles ne dépassent pas certaines limites.
Cependant, la Cour insiste sur la nécessité d'un contrôle rigoureux de la proportionnalité des restrictions éventuellement imposées à cette liberté. En effet, une sanction disproportionnée porterait atteinte à l'exercice légitime du droit d'expression et créerait un précédent dangereux en matière de censure indirecte.
Lutte contre la haine et protection des activités économiques : une conciliation complexe
La liberté d'expression n'exclut pas la responsabilité de ceux qui l'exercent. En France, le droit pénal réprime certains abus de la liberté d'expression, notamment les propos diffamatoires, injurieux ou incitant à la haine[2]. Toutefois, l'appel au boycott, en tant que tel, ne constitue pas systématiquement une infraction. Il peut cependant être sanctionné s'il est accompagné de manœuvres déloyales (dans un contexte de concurrence déloyale), de pressions abusives ou de discriminations caractérisées pouvant caractériser une infraction pénale.
Dans ce cadre, la décision de la Cour de cassation s'inscrit dans une volonté de ne pas criminaliser les formes de contestation qui participent à la vie démocratique. Elle rappelle toutefois que la discrimination et l’entrave restent strictement encadrées par la loi et peuvent faire l'objet de poursuites lorsqu'elles sont avérées.
Pour les acteurs économiques confrontés à des appels au boycott, cette jurisprudence souligne l'importance de bien délimiter les voies de recours possibles. Un conseil compétent en droit des médias pourra conseiller efficacement les entreprises victimes d'actions de dénigrement ou de campagnes de boycott abusives. De cette manière, il est primordial d'évaluer si une action en justice est pertinente, en s'appuyant sur des notions juridiques solides telles que la diffamation, la concurrence déloyale ou encore l'entrave à l'activité économique.
L'affaire CNews met ainsi en lumière les enjeux actuels de l'expression publique sur les réseaux sociaux et des limites posées par le droit. Elle incite les entreprises et les professionnels du droit à une vigilance accrue quant aux moyens de défense face aux attaques publiques, tout en garantissant le respect du cadre juridique protecteur de la liberté d'expression.
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[1] Cass. Crim. 4 février 2025 -Pourvoi : 23-86.384
[2] V. Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse - Légifrance