Cdiscount est-elle responsable des produits contrefaisants vendus ?

Cdiscount est-elle responsable des produits contrefaisants vendus ?
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Par Paul BENELLI et Julie SOUSSAN

En cas de commercialisation d’un produit contrefaisant par l’intermédiaire d’une place de marché, qui, du vendeur ou de l’opérateur de la plateforme serait considéré comme responsable juridiquement ?

Cette question est centrale pour tout opérateur de plateforme qui en tant que simple « intermédiaire » pense souvent, à tort ou à raison, qu’il n’a aucune responsabilité à l’égard des contenus publiés par ses marchands.

Le Tribunal de Grande Instance de Paris a répondu à cette question le 28 juin dernier en considérant que Cdiscount ne pouvait être tenue responsable pour la mise en vente de produits contrefaisants via sa marketplace.


En effet, la société Cdiscount était accusée de contrefaçon par la société Jansport Apparel Corp (JAC) exploitante de la marque de sacs à dos Eastpak, au motif qu’elle avait commercialisé via sa marketplace des sacs manifestement contrefaisants en provenance de Chine.

Cdiscount faisait quant à elle valoir son statut d’hébergeur lui conférant une responsabilité allégée en vertu de l’article 6-I de la Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique (LCEN).

1. Le cadre juridique de la responsabilité liée aux contenus publiés sur une place de marché

Pour rappel, schématiquement, la responsabilité des opérateurs de plateforme en ligne repose sur la distinction entre le statut d’éditeur et d’hébergeur qui a été instaurée en France par la Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique (LCEN) et régulièrement reprise, notamment au niveau européen par la Cour de Justice de l’Union Européenne.

Selon cette distinction, la personne publiant un site internet (ou tout autre service de communication au public) ou une plateforme sera considérée comme simple hébergeur[1] si elle n’exerce pas de contrôle sur les contenus ou autre données publiés sur ladite plateforme. Les responsabilités civile et pénale de l’hébergeur ne peuvent être engagées du fait des contenus publiés à la demande des utilisateurs, que :

  • S’il a « effectivement connaissance du caractère illicite ou de fait et de circonstance faisant apparaître le caractère illicite» de ces informations et activités ;
  • Ou encore si, ayant eu connaissance de ce caractère illicite, il n’a pas agi promptement pour retirer ces contenus ou en rendre l’accès impossible.

A l’inverse, est considéré comme éditeur la personne exerçant un contrôle ou une influence significative sur les contenus publiés sur la plateforme. La responsabilité de l’éditeur est une responsabilité de plein droit. La responsabilité de droit commun s’applique à l’éditeur et à l’auteur qui mettent en ligne un contenu portant atteinte aux droits des tiers. Cette responsabilité pourra se fonder notamment sur le droit de la consommation, le droit des données à caractère personnel ou encore le droit de la propriété intellectuelle.

L’enjeu est donc de taille pour les opérateurs de plateformes en ligne puisque si l’opérateur de la plateforme est considéré comme simple « hébergeur » il ne sera en principe pas responsable des contenus « illicites » publiés sur sa plateforme par les marchands qu’il référence. Dans le cas d’une marketplace, cela voudrait dire que l’opérateur ne sera en principe pas considéré comme juridiquement responsable des offres commerciales liées à des produits contrefaisants qui auraient été publiés.

2. L’évaluation du « rôle actif » de Cdiscount

L’éventuel statut d’hébergeur de Cdiscount et par extension sa responsabilité juridique quant aux contenus publiés par ses marchands dépendent du point de savoir si Cdiscount a joué un rôle actif ou non dans la vente des produits « illicites » figurant sur sa marketplace.

Le Tribunal de Grande Instance de Paris a ainsi étudié le fonctionnement de la Plateforme et a notamment relevé que :

  • Les Conditions Générales d’Utilisation de la Plateforme présentent Cdiscount comme hébergeur de la Plateforme et non comme éditeur ;
  • Cdiscount n’intervient pas dans la rédaction des annonces des marchands référencés sur Cdiscount ;
  • L’opérateur n’est pas partie au contrat de vente qui se noue entre le vendeur professionnel et l’acheteur (les Conditions Générales de vente encadrant la vente du produit acheté sur la marketplace Cdiscount);
  • Les fonctionnalités de la plateforme, à savoir notamment le moteur de recherche des produits, la notation des vendeurs, les outils permettant de présenter les produits, les outils de gestion et de promotion des offres etc. reposent sur des algorithmes n’impliquant aucun rôle actif de la part de Cdiscount. De plus ces fonctionnalités sont « inhérentes » au fonctionnement de toute place de marché.

Le Tribunal de Grande instance (TGI) considère donc que Cdiscount ne joue donc aucun rôle actif impliquant des choix éditoriaux de la part de l’opérateur et plus largement la connaissance ou le contrôle des contenus litigieux. Ainsi, Cdiscount se contenterait d’assurer un rôle de prestataire technique, automatique et passif de mise à disposition d’une plateforme pour la publication d’annonces rédigées par des vendeurs tiers.

Par cette décision, le TGI de Paris étaye sa position sur la responsabilité des opérateurs de plateforme concernant les contenus (les offres commerciales) publiés par les marchands qu’ils référencent. En effet, dans une affaire similaire opposant la marketplace Alibaba à la société LAFUMA, le TGI de Paris avait considéré qu’Alibaba était éditeur et donc responsable des contenus contrefaisants publiés sur sa plateforme, notamment en raison du fait que :

  • La marketplace offrait des abonnements « premium » permettant la mise en avant de certaines offres ou l’accès à une boutique personnalisée ;
  • L’opérateur offrait uniquement à certains vendeurs des facilités de paiement ;
  • L’opérateur exerçait un contrôle a priori sur le contenu publié (l’offre commerciale).

Cette nouvelle décision du TGI de Paris illustre bien les incertitudes des juridictions (y compris européennes, cf. notamment la décision UBER du 20.12.2017 de la CJUE) face à la responsabilité juridique des plateformes.

L’année 2020 sera à n’en pas douter une année où la justice française devrait préciser son analyse pour ainsi permettre aux opérateurs de plateformes de gagner en sécurité juridique.

Pour être accompagné dans votre projet de plateforme, ou pour tout renseignement complémentaire, n’hésitez pas à contacter le cabinet HAAS Avocats ici.

 

[1] L’article 6-I 2° de la LCEN définit les hébergeurs de site internet comme « toutes personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ».

 

Paul Benelli

Auteur Paul Benelli

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